Irak
Bagdad, vue panoramique de la rive est du Tigre: le quartier Sinak (2004). © C.Pieri
Entre deux fleuves, le manque d'eau tue
Ali al-Fadhily *
L'effondrement des l'infrastructures en Irak a entraîné une pénurie d'eau qui ne fait que s'aggraver et qui tue un grand nombre d'Irakiens. L'Irak, avec ses célèbres fleuves du Tigre et de l'Euphrate qui coulent tout le long du pays, n'arrive pas à fournir de l'eau potable à la plupart de ses habitants. L'ingénieur chef Ahmad Salman, du Service des Eaux de Bagdad a expliqué à l'IPS (Inter Press Service News Agency): «Les deux fleuves sont encore là, toujours majestueux, et ils coulent tout au long de l'année. Pourtant, les Irakiens ont soif, et nous avons honte d'être des ingénieurs dans ce service. Nous avons simplement échoué à fournir à notre peuple la moitié de l'eau potable dont il a besoin.» Une grande partie du pays souffre d'un manque d'eau aigu, et les faibles quantités fournies sont impropres à l'utilisation humaine. Selon le Dr Ibrahim Ali, propriétaire d'un laboratoire à Bagdad:«J'ai analysé l'eau fournie par le service de l'eau, et le résultat était choquant. Elle n'est certainement pas bonne pour la consommation humaine, et chaque fois que nous l'analysons nous trouvons de nouvelles substances qui pourraient, avec le temps, entraîner la mort.» Et il a ajouté: «Plusieurs sortes de pollutions microbiennes et bactériologiques que nous trouvons peuvent être aussi dangereuses que des armes biologiques.» Les hôpitaux irakiens sont pleins de gens qui ont des maladies dues à de l'eau dangereuse. Des médecins de plusieurs hôpitaux ont confirmé au correspondant d’IPS que l'eau est une des pires causes de maladies, surtout parmi les enfants, et que des enfants étaient morts de maladies véhiculées par l'eau, aggravées par un manque aigu de médicaments. Ces problèmes sont exacerbés durant l'été, lorsqu’aussi bien la quantité que la qualité de l'eau sont au plus bas. Un membre du conseil municipal de Bagdad a confié à IPS, sous condition d'anonymat: "Une des raisons pour cette pénurie d'eau est le manque d'électricité et de combustibles pour les générateurs. Nous avons assez de mettre en avant nos besoins concernant les stations de pompage, car nos ministres et leurs dirigeants sont trop occupés à lutter pour des postes pour pouvoir gagner le plus d'argent possible avant d'être jetés." Le 19 juillet, l'ambassadeur des Etats-Unis, Ryan Crocker, a confirmé que les habitants de Bagdad n’avaient accès, en moyenne, qu'à une heure d'électricité par jour. Avant l'invasion menée par les Etats-Unis, ils en recevaient entre 16 et 24 heures [malgré l’embargo]. Or, sans électricité, on ne peut pas pomper de l'eau vers les habitations. Un rapport publié le 30 juillet 2007 par l’ONG internationale Oxfam et NCCI, un réseau d'organisations d'aide qui travaillent en Irak, disait que huit millions d'Irakiens – presque un sur trois – avaient un besoin désespéré d'aide d'urgence. Ce rapport, intitulé Répondre au défi humanitaire en Irak déclarait que 70% des Irakiens n'ont pas des fournitures d'eau adéquates, alors qu'en 2003, année de l'invasion de l'Irak menée par les Etats-Unis, ce pourcentage était encore de 50%. Selon ce même rapport, environ 80% des Irakiens manquent d'infrastructures sanitaires. Selon le rapport d'Oxfam: «le taux de malnutrition infantile, qui était de 19% avant l'invasion menée par les Etats-Unis en 2003, atteint maintenant 28%.» Le manque d'eau potable est à l'origine de la plupart de ces cas. D'après un ingénieur du Service des Eaux de Bagdad qui a demandé l’anonymat: «C'est surtout le résultat de la corruption. Les autorités sont corrompues de bas en haut, et il n'y a aucun moyen d'améliorer la situation à moins d'améliorer la situation politique en retirant ces officiels corrompus.» On a recommandé à un correspondant de l'IPS de ne pas se rendre au Ministère Irakien de la gestion des eaux, car il courrait le risque d'être enlevé par les forces de sécurité du ministère. Selon Abou Mahmoud, un charpentier de 62 ans de Bagdad: «C'est encore une arme avec laquelle les Américains nous tuent. Ne pas avoir de l'eau entraîne des maladies qui conduisent à une mort lente mais sûre. Ils ont déjà fait cela lors des sanctions, et maintenant c'est leur chance de le faire à nouveau sans tirer de munitions et sans faire de scandales». Rares sont les Irakiens qui ont encore de l'espoir sous le gouvernement actuel. Un habitant de Bagdad, Nabhan Mukhlis a expliqué au correspondant d'IPS:«Le problème, c'est que nous n'avons pas un gouvernement comme n'importe quel autre pays. Nous devrions arrêter de nous plaindre et nous incliner devant la peine de mort qui a été décrétée lorsque les Américains ont décidé d'envahir notre pays.» (Trad. A l’encontre)
* Ali al-Fadhily est correspondant d'IPS à Bagdad
(18 août 2007)
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