Irak

Allaoui et le proconsul américain Paul Bremer (juin 2004)

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L'empereur l'a décrété: il y aura donc des élections !

Patrick Cockburn *


Pour diverses raisons, relevant de conflits sur la distribution des prérogatives et gains économiques, des partis et clans – membres ou proches du gouvernement installé par les Etats-Unis – ont réclamé le report des élections fixées au 30 janvier 2005.

Il s'agirait des «premières élections libres dans l'histoire moderne» de l'Irak. Une formule qui sonne aussi juste que: la «plus vieille démocratie du monde» pour caractériser le système politique Suisse en 1965... quand les femmes ne disposaient pas du droit de vote.

L'administration américaine n'est pourtant pas prête, pour l'heure, à faire des concessions. Certes, elle cherche à négocier une intégration accrue de dirigeants sunnites dans ses projets. Dans cette perspective, elle envisage de repousser la date limite pour l'inscription des électeurs sur les listes. Cette date est fixée au 10 décembre 2004. Elle pourrait être modifiée (New York Times, 29 décembre 2004, S.R. Weisman: «U.S. Firm on Iraq Election Date in Face of Rising Concernes»).

L'effort effectué, de concert, pour coopter un secteur composite «des élites irakiennes» – anciennes et nouvelles – ainsi que pour accentuer l'offensive militaire contre les résistances devrait, pour l'administration Bush, aboutir à une étape faisant de l'occupation une «transition vers un vrai pouvoir irakien». L'histoire des pays occupés fournit des dizaines d'exemples de ce genre de politique.

A la porte de l'Irak, les majors du pétrole piétinent. Il est temps que les conditions soient rétablies afin que des investissements rentables puissent s'y effectuer. Pour cela, il faut que les capacités de production et d'exportation puissent être relancées. Un volume de production/exportation qualitativement supérieur à celui existant aujourd'hui, soit au maximum 1,8 million, s'affirme comme une exigence. Cela d'autant plus que cette maigre production ne peut transiter que par un terminal: celui de Mina Al-Baqr (près de Bassora). L'objectif de 3 millions de barils/jours permettrait le développement des gisements déjà découverts et l'exploration; ce qui intéresse en priorité les grandes compagnies du pétrole. Pour qu'un tel objectif soit atteint, il faut d'importants investissements de rénovation, qui, eux, exigent la «stabilité» (l'écrasement de la résistance). C'est aussi une condition pour financer «l'effort américain» par le biais des retombées de la rente pétrolière.

Les premiers contrats de prospection viennent d'être signés entre des sociétés occidentales; cela pour l'étude du potentiel des deux principaux gisements, celui de Roumailla (sud) et celui de Kirkouk (nord). Ces recherches seront utiles aux grands du pétrole qui passeront des accords, par la suite, avec ces petites sociétés qui ont signé des engagements avec le ministre du pétrole, Thamer Abbas Ghadbane.

En arrière-fond des élections se dresse donc la résistance à l'occupation. Elle rend l'occupation du champ pétrolifère irakien incertain... Des «élections démocratiques» sont nécessaires pour faire prospérer la rente pétrolière. Ce qui est présenté dans les médias ainsi: «pour reconstruire l'Irak». Comme on peut le constater dans les ruines de Fallouja. réd

 

Iyad Allaoui, le Premier Ministre intérimaire de l'Irak (coopté par le 28 mai 2004 par la Conseil intérimaire de gouvernement, nommé par les Etats-unis), a décidé d'aller de l'avant avec les élections du 30 janvier 2005. Et ce malgré les appels d'hommes politiques sunnites à les reporter de six mois et malgré l'insécurité qui règne dans tout le pays. «Le gouvernement irakien a décidé de maintenir les élections à la date prévue» a déclaré Thair al Naqeeb, porte-parole d'Allaoui. Il a ajouté que le gouvernement «appelle tous les Irakiens à y participer et à contribuer à former un gouvernement démocratique fort».

Quelques heures auparavant, les dirigeants de 17 partis politiques, dont la majorité appartenant à la communauté musulmane sunnite, s'étaient réunis dans le manoir qui est la demeure d'Adnan Pachachi, un ex-chancelier Iraquien très respecté et influent. Presque tous étaient d'avis qu'il était trop dangereux pour les Irakiens de voter, et pressaient pour un report des élections. Comme pour souligner le manque de sécurité, une bataille rangée a éclaté à quelques rues de la maison de Pachachi, dans le district de Mansour. Les échanges de tirs ont également souligné le fait que la capture de Fallouja par l'armée américaine - dans une bataille où plus de 2000 civils et 50 marines ont perdu la vie - n'a pas transformé l'Irak en un pays plus sûr.

Il est possible qu'Allaoui éprouve la secrète envie de prolonger son mandat de premier ministre, mais il va lui être difficile de reporter des élections que le président Georges Bush a promis de faire tenir le 30 janvier. Durant la campagne électorale étatsunienne, ces élections ont en effet été présentées par la Maison-Blanche comme un symbole de la réussite de la politique nordaméricaine en Irak.

Une partie de ceux qui ont pris la parole dans la résidence de Pachachi durant la nuit du vendredi 26 novembre 2004, a souligné le fait que le grand ayatollah Ali al Sistani - le leader chiite le plus influent - était résolument en faveur de la tenue des élections, mais d'autres ont argumenté que l'ayatollah pouvait être flexible en ce qui concerne la date de leur tenue. Le 60% des Irakiens sont chiites.

Les dirigeants politiques sunnites se trouvent dans une situation impossible. Une grande partie de leur population soutient l'insurrection. Tout politique suspecté de soutenir les Etats-Unis ou le gouvernement intérimaire court le risque d'être assassiné. Dans les quartiers sunnites, les commerçants sont terrorisés devant la perspective de devoir distribuer des formulaires d'inscription aux habitants avec les rations alimentaires, comme on le leur a ordonné. Un argument pour reporter les élections, est que la situation au niveau de la sécurité pourrait être meilleure d'ici le milieu de l'année prochaine. Mais Iyad Jamal al Din, un dignitaire religieux, a dit que cet espoir n'était pas réaliste. «Les Etats-Unis vont rester, le gouvernement va rester, et ceux qui les combattent continueront eux aussi à les combattre». Et il a demandé que les élections soient reportées de deux ans. Le sens de cette demande est on ne peut plus clair: avec des élections libres et sous le système de représentation proportionnel, les Sunnites perdront la place dominante qu'ils détenaient depuis l'époque coloniale dans les postes clés de l'administration, car le plus probable est que des Chiites soient élus.

La seule suggestion pratique quant à la manière dont on pourrait améliorer la sécurité est venue de Ayham al Sammarai, le Ministre de l'Electricité. «Nous devons parvenir à un accord avec les baasistes» a-t-il déclaré, en soulignant qu'il ne se référait pas au cercle intime de Saddam Hussein. Il a affirmé que le noyau de l'insurrection était constitué de membres du Parti Baas, des gens qui ont perdu leurs emplois et ont assisté à la dissolution de l'armée. Si l'on pouvait trouver un accord avec eux «il serait facile de faire plier les quelques milliers de fanatiques religieux».

* Patrick Cockburn écrit, depuis Bagdad, pour le quotidien anglais The Independent.

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