Honduras

 

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Entre mobilisations et médiation

Pablo Biffi *

Suite à la destitution manu militari du président hondurien Manuel Zelaya, le Honduras a connu, pour la première fois depuis fort longtemps, la constitution d’un mouvement social d’ampleur, qui s’oppose aux militaires et au nouveau président mis en place, Roberto Micheletti. Face à cette situation, la machine diplomatique a été enclenchée afin de trouver une «médiation». La secrétaire d’Etat du gouvernement Obama, Hillary Rodham-Clinton, annonçait le mardi 7 juillet 2009, après avoir rencontré le président hondurien «déposé» Manuel Zelaya que ce dernier accepterait de rencontrer Roberto Micheletti. La figure politique mise en avant pour cette médiation est le président du Costa Rica, Oscar Arias, Prix Nobel de la paix en 1987 pour avoir joué un rôle clé dans ce qui fut appelé «les processus de paix en Amérique centrale» au cours des années 1980. C’est-à-dire au cours des années où le Honduras est devenu la plate-forme militaire des Etats-Unis dans la région. La réunion entre Zelaya et Micheletti doit se tenir à San José, capitale du Costa Rica. Oscar Arias, descendant d’une famille de grande exploitant de café au Costa Rica, doit être apte à comprendre aussi bien Zelaya que Micheletti et à saisir le rôle des Etats-Unis dans la région. Micheletti, qui était à la tête du Congrès hondurien, a souligné, le 8 juillet, qu’il n’était pas prêt à permettre le retour de Zelaya, ce qui avait été de fait déjà confirmé à l’occasion de l’interdiction d’atterrissage de l’avion dans lequel se trouvait Zelaya le dimanche 5 juillet. L’article que nous publions ci-dessous, paru dans le quotidien argentin «Clarin» le 6 juillet, fournit une description du type de mobilisation populaire en cours au Honduras, un fait assez peu relevé dans les médias qui présentent la crise hondurienne sous un angle strictement politico-diplomatique, tout en ayant donné un relief aux manifestations qui se sont produites le 5 juillet lors du retour avorté de Zelaya. (Réd.)

Les pires prévisions se sont confirmées. L’opération de retour à Tegucigalpa [capitale du Honduras] de Manuel Zelaya, le président démis, et toutes les manœuvres du gouvernement imposé de Roberto Micheletti se sont soldées hier [5 juillet] par deux morts et des dizaines de blessés autour de l'aéroport international de Toncontin. C'est là qu'entre 30'000 et 50'000 personnes ont attendu en vain que l'avion, immatriculé au Venezuela, dans lequel rentrait le président démis, n'atterrisse sur le sol hondurien après avoir survolé la capitale.

A midi le gouvernement «de facto» avait annoncé qu'il ne laisserait pas atterrir cet avion. Il avait appelé au dialogue avec l'OEA (Organisation des Etats américains) et à un projet de réunion avec des délégués de la région et des membres de second plan de l’organisation interaméricaine (OEA).

Les deux morts ont été confirmées par un officier de la police qui ne s'est identifié avec le seul nom de Mendoza. Des sources hospitalières ont confirmé un mort, un jeune de 19 ans, identifié comme étant Isis Murillo, qui a reçu une balle dans la tête. L'autre victime serait un jeune d'une trentaine d'années qui a reçu un tir dans l'abdomen. Personne n'a revendiqué la responsabilité de ces morts – les premières depuis que Zelaya a été démis le dimanche 28 juin –, mais la police a accusé l'armée d'avoir été l'auteur de ces tirs.

Des dizaines de francs-tireurs postés dans des points stratégiques de l'aéroport contrôlaient les manifestants qui tentaient d'atteindre la piste d'atterrissage pour permettre à l'avion dans lequel Zelaya rentrait accompagné du Nicaraguayen Miguel D'Escoto, président de l'Assemblée générale des Nations unies, de se poser.

Les heurts entre les manifestants et les forces de sécurité – surtout l'armée, car la police ne s'est pas opposée à ce que les manifestants s'approchent de Toncontin – ont débuté aux environs de 16h, lorsqu'un groupe d'un millier de personnes a tenté de pénétrer sur la piste par le sud de l'aéroport. Embusqués à terre, à l'intérieur de l'aéroport et derrière les barrières de sécurité, les militaires arrosaient les manifestants avec des gaz lacrymogènes et tiraient en l'air. Ils recevaient des cailloux qui volaient comme des missiles et des bouts de fer arrachés aux balustrades.

«Ils nous tirent dessus pour tuer», criait une femme, prise dans un nuage de gaz.

Les heurts ont duré au moins une heure à partir du moment où l'avion avec Zelaya à son bord commençait à survoler cette capitale.

Alors qu'il volait en cercles au-dessus des collines, l'avion a dû abandonner la zone car, outre l'interdiction d'atterrir – un avertissement que le gouvernement de Micheletti avait lancé sur une chaîne de radio nationale –, l'armée avait bloqué la piste avec des camions, des autos, des blindés et des soldats pour éviter que l'appareil ne se pose sur le sol de Tegucigalpa.

En bas, des milliers et des milliers de personnes hurlaient: «Mel [Manuel] revient ! Mel revient !» et agitaient des mouchoirs rouge et blanc, quelques drapeaux du Honduras (bleu et blanc) et tout ce qu'ils trouvaient sous la main pour que le président déchu voie la foule qui l'attendait.

Depuis l'avion, Zelaya parlait sur la chaîne Telesur [1] (chaîne TV du Venezuela sur laquelle certains médias de cette ville se sont «branchés», alors que d'autres transmettaient des matches de football). Il expliquait que la tour de contrôle ne laissait pas descendre son avion et lui faisait savoir que, s'il ne quittait pas la zone, on l'y obligerait avec des avions des forces aériennes.

Zelaya déclarait aussi: «Je suis le commandant général des Forces armées, élu par le peuple, et je demande à l'état-major des Forces armées qu’il obéisse à cet ordre et ouvre l'aéroport.» Mais en bas personne n'obéissait à cet ordre. Malgré cela, Zelaya a affirmé qu'il tenterait tous les jours de revenir dans le pays, et demandait aux gens de continuer à manifester pour obtenir son retour.

L'avion a été détourné sur Managua, où il a fait une brève escale avant de se diriger vers San Salvador pour rencontrer Cristina Kirchner.

600 km à pied

La veille, la journée avait commencé dans une ambiance très tendue. Alors que les manifestants se rassemblaient à proximité de l'Université Pédagogique pour marcher vers l'aéroport, le président «de facto», Roberto Micheletti, convoquait une conférence de presse dans le bâtiment présidentiel pour faire plusieurs annonces. Il accusait Managua d'avoir organisé des mouvements de troupes sur la frontière entre le Nicaragua et le Honduras, ce que le président Daniel Ortega a nié.

La vice-ministre des Affaires étrangères, Martha Lorena Alvarado, a annoncé que suite à un "consensus" des puissances, le gouvernement imposé proposait à l'OEA «la mise en place d'un dialogue de bonne foi entre la délégation de la République du Honduras et une délégation de représentants des Etats membres et des fonctionnaires de second rand du secrétariat général». Cette proposition a été remise hier au représentant de l'OEA à Tegucigalpa, Jorge Miranda, mais tout laisse supposer qu'il n'y aura pas de réponse [2].

Avec des bâtons et à pied, les paysans ont esquivé les barrages et sont arrivés à la capitale. Certaines personnes ont parcouru presque 600 km pendant quatre jours pour arriver à Tegucigalpa.

Horacio est un paysan de Ahuas, dans le département de Gracias a Dios, presque 600 km au sud de Tegucigalpa. Il a voyagé durant plus de quatre jours en empruntant tous les moyens de transport possibles, y compris en marchant à pied dans la montagne. Il a dû éviter les barrages militaires qui avaient été élevés le long des principales routes du pays pour empêcher les paysans de l'intérieur – où se trouve le soutien la plus solide de Zelaya – avant d'atteindre enfin la capitale, Tegucigalpa. Cette ville est située au milieu des collines, et, depuis hier, également au milieu de chars d'assaut, de chars et de camions militaires.

«J'ai mis trop de temps à arriver, et je ne partirai d'ici que lorsqu'ils laisseront rentrer le président», expliquait Horacio au journal Clarin. Horacio venait à peine de se lever et était en train de déjeuner avec du café et du pain fournis par le siège de l'Université Pédagogique, où les partisans de Zelaya avaient commencé à se rassembler et se préparaient à marcher vers l'aéroport international de Toncontin.

Horacio et Manuel – un autre paysan qui arrivait de loin – ont trouvé un truc apparemment efficace pour traverser les barrages avec lesquels les militaires ont bloqué les routes: ils se sont armés de pancartes et de slogans favorables au président imposé, Roberto Micheletti (ou «Goriletti» et «Pinocheletti», comme l'appellent ses détracteurs), pour faire croire aux militaires qu'ils venaient lui démontrer leur soutien.

«Si la police ne nous laisse pas atteindre l'aéroport, cela ne fait rien, nous trouverons bien la manière d'arriver auprès de notre président et de lui dire que nous sommes de son côté.» Car, a-t-il ajouté: «C'est le seul qui nous a défendus.»

Derrière lui, un groupe concentré de policiers monte la garde devant une station-service qu'il protège et qui fait partie du premier «anneau de sécurité» que les forces armées et les policiers ont construit en cercles autour de l'aéroport, dans cette ville qui est difficile de bloquer à cause de la structure de ses avenues.

Plus loin, le long de l'avenue des Forces Armées, un groupe de soldats dévie la circulation vers des ruelles avoisinantes de colonia América, à 1 km de l'aéroport.

Là, devant la porte d'une maison de briques peinte en vert, «Doña Rosa» (en chair et en os et non pas imagination) est un peu effrayée. Elle explique que la politique ne l'intéresse pas beaucoup, car avec les politiciens c'est toujours la même chose: ils se bagarrent entre eux et «pour le peuple il n'y a jamais rien».

Mais lorsque les militaires s'éloignent, elle commente d'un air complice: «Moi je suis avec Mel, et je vais bien sûr aller vers l'aéroport pour l'accueillir.»

Au siège de l'université, alors qu'il se prépare à participer à la marche vers l'aéroport et coordonne avec d'autres dirigeants des mouvements sociaux les actions à développer, Rafael Alegria déclarait devant le journaliste de Clarin: «Nous irons aussi loin qu'ils nous le permettront, car nous ne voulons pas qu'il y ait des morts à déplorer.» Il était trop tôt pour savoir qu'au moins deux personnes allaient mourir l'après-midi dans les affrontements avec l'armée aux environs de Toncontin. Et il a ajouté: "Et s'ils ne les laissent pas descendre aujourd'hui, nous nous organiserons pour voir comment poursuivre la lutte la semaine prochaine, car tout ceci ne va pas se terminer ni aujourd'hui ni demain."

Horacio et Manuel ne savent pas quand ils pourront rentrer à Ahuas s'occuper de leurs changas (travaux d'ouvriers agricoles) dans une propriété rurale qui ne leur appartient pas. Cela ne semble pas trop les préoccuper, car ils expliquent que «Mel» ne va pas les laisser seuls, et qu'il faut avoir confiance. «S'il revient, c'est pour nous. Et nous n'allons pas l'abandonner.» Ils ne pouvaient imaginer que quelques heures plus tard Zelaya ne parviendrait pas à atterrir à Toncontin, et que son avion devrait toucher terre à Managua, capital du Nicaragua. Ils ne pouvaient pas non soupçonner que des morts allaient bientôt endeuiller Tegucigalpa. (Traduction A l’encontre)

* Correspondant à Tegucigalpa, Clarin, Buenos Aires 6.7.2009.

1. La chaîne vénézuélienne a été retirée du bouquet des chaînes TV diffusées au Honduras. Y compris l’américaine CNN, en langue espagnole, a été suspendue durant un certain temps. (Réd.)

2. L’article, écrit à chaud, sous-estime l’effort de médiation engagé par l’OEA et donc les Etats-Unis et la disponibilité de Zelaya à participer à cette médiation; une disponibilité qui n’est peut-être pas partagée par le secteur populaire qui s’est mobilisé. (Réd.)

(10 juillet 2009)

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