Guadeloupe

Elie Domota

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«Il faut nous retrouver une fois par mois»

Elie Domota

Sur ce site nous avons répercuté, dans les limites de nos possibilités, la mobilisation des salarié·e·s de la Guateloupe. Le 2 mars 2008, un formateur à la retraite affirmait: «Là [dans cette lutte] cela ne se passait pas comme d’habitude. La délégation [du LKP, avec son porte-parole Elie Domota] connaissait très bien les dossiers. Et surtout, elle s’est mise à parler de tout ce qu’on savait. Elle s’est mise à exprimer ce que l’on vivait… Et on voyait en direct les cadres blancs autour du préfet entendre toutes ces choses que l’on savait.» Ainsi du 20 janvier 2009 – appel à la grève générale par le LKP (Comité contre l’exploitation outrancière), regroupant 52 organisations – au 26 février 2009 – date de la signature d’un accord entre le LKP et plusieurs organisations patronales, à l’exception du MEDEF – ce mouvement a été marqué «par le ciment qui est apparu entre nous», comme le traduit un professeur. Un accord complet – incluant le LKP, l’Etat, la Région Guadeloupe, L’association des maires de Guadeloupe, les communes et établissements publics de coopérations intercommunales – a été signé, le 4 mars, à Point à Pitre, un document de 21 pages et 165 articles. Il consacre l’essentiel des revendications avancées lors des 44 jours de grève.

La médias français – et helvétiques (voir Le Temps du 11 mars 2009 qui sous-titre: «Les patrons lui [Domota ] reprochent d’être raciste» – ont mené une campagne féroce contre Elie Domota. Il avait affirmé: «Soit ils appliqueront l’accord, soit ils quitteront la Guadeloupe. Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l’esclavage.»

Le procureur de la République de la Guadeloupe a ouvert une enquête, fait saisir la bande-vidéo de cette déclaration sur RFO (Radio-télévision Français d’Outre-mer). Il a déclaré que cette enquête devrait révéler s’il y a eu ou non «incitation à la haine racile et extorsion de signature par la force» !

Alain Huygues-Despointes, descendant des premiers colons et membre d’une des familles qui contrôle l’import-export, ne s’était pas retenu, lorsqu’il a déclaré, fin janvier 2009, sur Canal+. « Dans les familles métisses, les enfants sont de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie; moi je ne trouve pas cela bien. Nous [les békés] on a voulu préserver la race… Les historiens ne parlent que des aspects négatifs de l’esclavage et c’est regrettable. Les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent surtout des mauvais côtés de l’esclavage, mais il y eut aussi des bons côtés. C’est où je ne suis pas d’accord avec eux. Il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis, qui leur donnaient des possibilités d’avoir un métier, des choses…».

Certes Yves Jégo a dénoncé ces affirmations; mais il a fallu attendre longtemps (le 6 mars) jusqu'à ce que ce «békés» soit «rappelé à l’ordre» officiellement.

Or, Huygues-Despointes ne faisait que traduire une pratique administrée par «un esprit colonial» qui marque de son empreinte les rapports sociaux en Guadeloupe ainsi que le «délire d’une liturgie économique soumise au verset du profit-à-tout-prix», pour reprendre une formule de Patrick Chamoiseau (Le Monde, 14 mars 2009).

Nous publions ci-dessous la prise de parole d’Elie Domota, à Point à Pitre, le 13 mars 2009, lors d’un meeting tenu au Palais de la Mutualité. Elle exprime non seulement la force de cette grève, mais en quoi elle peut changer la «vie d’un peuple». (Réd).

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Byen bonswa tout moun !

J’ai un papier en poche que je sors avec le nom des entreprises qui ont signé ces jours-ci. Nous allons communiquer les noms de certaines de ces entreprises pour apporter la preuve qu’il y avait des chefs d’entreprises et des syndicats patronaux qui s’exprimaient; mais depuis la signature de l’accord BINO, il y a nombre d’entreprises qui ont dû signer parce que leurs travailleurs se sont mis en grève !

La liste qui suit n’est pas exhaustive, mais elle sert à montrer qu’on y trouve nombre d’entreprises adhérentes du MEDEF [Qui a quitté la table des négociations, après avoir tenté de torpiller celles-ci]. VIGILE SECURITE - JET SARL - GPS - RSP - MARSHALL SECURITE - EGSTP - DAUPHIN SECURITE - CARAIBES IMPORT - LA BRADERIE - SODEC DISTRIBUTION EDOUARD - SOPIMAT - SUPER U CHANZY - HOTEL FLEUR D’EPEE - HOTELS CARIBEA (SALACO, CLIPPER...) - MAC DONALD - LEADER PRICE - FEDREATION DU BATIMENT - SODEXHO - HOTEL ARAWAK - SUPER U LA ROCADE - MATCH - CORA - M. BRICOLAGE - ECOMAX - SOCREMA - L’ARTCHIPEL SCENE NATIONALE - CIMENTS ANTILLAIS - VIENNOISERIE PLUS - RENAULT - SOCAR - CODIMA - CADI SURGELES - SOFRIBER - CHAMPION BOISRIPEAUX...

Demain matin, les camarades de Carrefour Destrelan ont rendez-vous avec Hayot, et avec Despointes pour Carrefour Millenis.

C’est une belle lutte ! Les camarades ont donc eu raison de se mobiliser dans leurs entreprises pour exiger l’application de l’accord BINO.

Nous avons entendus les propos de JEGO [Yves Jégo secrétaire d’Etat à l’Outre-mer est arrivé en Guadeloupe pour entamer les négociations et repart rapidemment à Paris, le 9 février], et à sa suite le préfet: tous deux remettant en cause le préambule de l’accord Bino. Il y a là quelque chose d’extraordinaire !

Au moment de la rédaction du préambule, le préfet était présent ainsi que les deux médiateurs mandatés par le premier ministre FILLON. Ils ont tous trois participé à la rédaction su protocole. Ils nous ont même suggéré quelques formules à y inclure.

Et voilà qu’aujourd’hui nous les entendons affirmer leur opposition à ce préambule !

Il y a une autre chose qui les gêne dans le protocole BINO. C’est ce que nous avons appelé la clause de convertibilité. On est dans la situation suivante: ils sont d’accord pour signer l’augmentation de 200 euros des bas salaires pendant 3 ans. Et je rappelle que s’agissant des entreprises de moins de 20 salariés, les patrons paieront 50 euro, les collectivités 50 euro pendant 12 mois et l’Etat 100 euros pendant 3 ans. Et au bout de 12 mois pour les collectivités et de 3 ans pour l’Etat, l’entreprise versera l’intégralité de l’augmentation. Voilà ce que prévoit l’accord BINO.

Eux [syndicats patronaux non signataires de l’accord: MEDEF – CGPME – syndicat des petites et myoennes entreprises], considèrent qu’ils vont augmenter les salaires de 200 euros dans les conditions décrites plus haut; mais qu’au bout de 3 ans ils les reprendront, ces 200 euros !

Où a t-on déjà vu pareille chose ?!

Comment admettre qu’un travailleur ayant perçu 200 euros pendant 3 ans, soit 2400 euros pendant 12 mois, puisse accepter une brusque amputation de son salaire après 3 années, en avril 2012 ?!

C’est pourquoi l’accord salarial Jacques BINO [du nom du syndicaliste tué le 17 février] contient une clause stipulant que l’employeur prendra en charge les 200 euros au bout des 3 années.

Et tout naturellement toutes les entreprises, citées plus haut, sont d’accord et signent l’accord BINO. Car elles se rendent bien compte qu’il n’est pas normal qu’il y ait des gens percevant 200 euros et que dans 3 ans on puisse leur dire que « c’est fini », « vous perdez vos 200 euros mensuels de revenus » !

Nous avons bien constaté l’existence d’un certain nombre de frustrations. Notre camarade Marinette [Délégué syndical à l’usine Gardel] en a parlé plus tôt, on a ainsi entendu M. DIEULEVEULT, Directeur de GARDEL AFFIRMER QUE JAMAIS IL NE SIGNERAIT L’ACCORD BINO ! Mais faute de signature, l’usine n’ouvrira pas, les salariés étant en grève.

Nous avons aussi été invités à participer à la manifestation du 19 mars à Paris ! Un camarade du LKP s’y rendra et défilera au nom du LKP. Pour bien monter qu’il y a de la solidarité, il y a beaucoup de solidarité chez les travailleurs. Pour dire aussi que de très nombreux travailleurs de France nous aident spontanément en nous envoyant par chèque ou mandat de l’argent. Ils nous disent enfin de ne pas lâcher ce combat car nous avons raison de nous battre; que notre lutte est juste; et que cela leur donne plus de force pour qu’ils puissent eux aussi se battre !

Nous disons aussi qu’il y a des camarades qui sont toujours en grève, des camarades de la BRINK’S, de TOP ONE SECURITE, de l’AEROPORT... Il y a des camarades qui n’ont pas encore signé, ceux de CARREFOUR, de MILENIS, de la concession TOYOTA, et de tous les autres concessionnaires automobiles. Il y a beaucoup de camarades en grève.

Ce que nous vous demandons, c’est de leur apporter votre soutien.

Car le combat est rude; surtout quand vous avez en face les HAYOT, les DESPOINTES, qui ne veulent rien entendre, qui ne veulent rien lâcher ! Ils ont l’argent, ils peuvent payer l’augmentation ! Mais ils refusent que des petits nègres leur réclament une augmentation.

Et c’est pourquoi nous nous devons d’être très fermes dans tout ce que nous disons et dans tout ce que nous faisons !

Ces messieurs pensent pouvoir venir faire ce que bon leur semble ici: ils doivent bien comprendre qu’on n’est plus au 16ème ni au 17ème ni au 18ème siècle ! Que c’est fini ! Que dorénavant, dans tout ce qu’ils font, ils devront compter avec nous ! Sinon, ils ne le feront pas, dans ce petit pays de Guadeloupe !

La grève générale est suspendue, et il y a peut-être quelques nostalgiques. Mais nous avons un certain nombre de tâches à réaliser, de choses à continuer à faire ensemble. Et assurément, dans les jours à venir, nous demanderons aux travailleurs, aux Guadeloupéens, à tous les travailleurs de tous les pays présents depuis le 20 janvier et présents ce soir, de continuer à se rassembler ici, devant notre BIK au Palais de la Mutualité. Car nous continuerons les meetings et prises de paroles, nous continuerons les réunions d’information, nous continuerons à nourrir notre conscience, nous continuerons à discuter entre nous et à échanger... Pour que notre mouvement ne s’arrête pas, pour faire vivre tout ce que nous avons mis en place.

Parce que c’est ce qui se produit souvent: nous atteignons les sommets, ensuite nous nous endormons, nous oublions... Mais ce coup-ci nous ne devons pas oublier, nous devons continuer à travailler ensemble !

Et ce travail, nous devons le poursuivre dans les communes, dans les sections, dans les quartiers. C’est pourquoi nous invitons tous les camarades, à entamer des discussions avec les voisins, les familles, et les amis pour pour décider ensemble de mettre en place des comités LKP dans toutes les communes.

Dans toutes les communes, car il y a problèmes partout ! A Basse-Terre, à Saint-François... montons des comités LKP pour fédérer la Guadeloupe en comités LKP pou pé déliyanné péyi la !

Cela signifie que nous avons beaucoup de réunions à organiser pour écouter les gens. Car on ne peut imaginer le nombre de propositions qui sont faites ! Il y a des gens qui nous font part de leurs problèmes, d’autres qui viennent exposer leurs problèmes... Mais il y a beaucoup de monde qui vient nous trouver avec des idées: des idées à concrétiser; des idées dont la réalisation nécessite des financements, des idées de création d’activités, des idées pour développer la production...

C’est ce dont nous avons besoin !!!

Aussi, Jean Marie NOMERTIN en a déjà parlé, cette petite somme de 200 euros que nous venons d’arracher, eh bien cet argent là, n’allons surtout pas la jouer au Loto, n’allons pas la gaspiller chez HAYOT... [Le Groupe Bernard Hayot, d’une famille de colons esclavagiste, contrôle une part importante des supermarchés, et pas seulement en Guadeloupe, mais aussi en Martinique, en Guyane française, à Trinidad et Tobago, en République Dominicaine, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie, etc. ]

Faisons en sorte de développer la production locale, faisons plus souvent un petit tour au marché – même si des fois il nous arrive de penser ou constater que les denrées sont un peu chères, mais eux aussi vendront moins cher, faisons leur confiance... Faisons en sorte d’acheter notre poisson, de nous tourner vers la production locale...

Pour que justement ces 200 euros servent à développer la production locale, à développer l’emploi.

Car c’est ce que nous leur avons répondu quand ils nous ont affirmé vouloir encore créer plusieurs milliers de contrats aidés. Tout le monde peut bien voir les problèmes générés dans les communes par ces contrats aidés. Nous ne disons pas aux gens de ne pas accepter un contrat aidé, de ne pas en faire; car quand on cherche du travail dans un pays ayant un taux de chômage de plus de 40%, on prend ce que l’on trouve.

Mais aujourd’hui on se rend bien compte que ces contrats aidés sont devenus un outil aux mains des politiques. Un outil pour soit disant faire baisser le chômage; mais dans le même temps, un outil pour préparer et remporter les élections ! Car comme par hasard, quand un administré rencontre un problème d’emploi: contrat aidé ! Et quand vient la période des élections: contrats aidés !

Et c’est bien à cela qu’ils servent !

Nous devons aujourd’hui nous battre pour le développement de véritables contrats de travail; car on ne peut pas former un projet de vie avec un contrat aidé, même si ce dernier vous aide pendant un petit moment.

Et pour conclure, camarades, trop longtemps ils nous ont fait croire que tout ce qui venait de l’extérieur était meilleur que ce que nous produisions, que ce qui existait chez nous. Ainsi, le nombre de Mac DONALD implantés dans la région pointoise (Pointe-à-Pitre - Abymes - Baie-Mahault - Gosier) est impressionnant ! Cela signifie que nous avons un gros effort à faire pour habituer nos enfants à nos propres aliments; et pour nous-mêmes nous (ré)habituer à nos propres aliments.

Pour finir, je le redis, dans les jours, semaines et mois à venir nous devons nous retrouver ici même au moins une fois par mois, dans des bik a pawol, pour continuer à échanger et à discuter entre nous...

Afin ansanm ansanm de voir ce que nous faisons avec ce pays, parce que c’est notre pays !

Ansanm nou ka lité ! Ansanm nou ké gannyé ! Ansanm nou ka lité ! Ansanm nou ké gannyé ! Jou nou ké mété a jounou... Péké vwè jou !

(18 mars 2009)

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