Les nôtres
Peter Gowan
Peter Gowan
(15 janvier 1946-12 juin 2009)
Misha Glenny *
En Suisse romande, au cours des années 1980, se constitua le Comité de solidarité socialiste avec les pays de l’Est (le Cssope). Il publiait un périodique intitulé Samizdat. Cette publication faisait écho, entre autres, à Labour Focus qu’animait Peter Gowan à Londres.
Certainement que plus d’un·e militant·e a encore le souvenir de Peter Gowan et de Labour Focus dans le cadre de ce travail de solidarité effectif avec les «opposants» qui faisaient face aux régimes en Europe de l’Est, régimes que d’aucuns osaient, sans réticence aucune, qualifier de socialistes.
Plus tard, en 1997, Peter donna une conférence à l’Université de Lausanne sur le thème: «Europe de l'Est: vers quelle intégration?». Elle fut publiée dans la revue Les Annuelles, sous le titre «Vers une nouvelle division de l'Europe?».
En 2004, à l’occasion d’un colloque organisé par le Groupe Regards Critiques de l’Université de Lausanne, Peter Gowan cherchait à répondre à la question: «La finance mondialisée au service du dollar ?».
Les lectrices et lecteurs de la New Left Review – publication qui, depuis les années 1960, se trouvait sur les rayons de la bibliothèque universitaire de Lausanne – ont certainement un souvenir marquant des articles que Peter Gowan y publia, depuis la fin des années 1980.
Il y a quelques semaines, alors que je prenais des nouvelles sur son état de santé, je lui avais indiqué le projet des Editions Page deux de publier divers de ses essais et d’offrir, de la sorte, la possibilité de les faire mieux apprécier par un lectorat de langue française.
La disparition de Peter Gowan, le 12 juin 2009, ne pouvait que susciter tristesse et, simultanément, révolte chez quelqu’un qui le connaissait depuis quelque quarante ans. L’article de Misha Glenny, publié dans The Guardian, permettra aux lecteurs et lectrices du site alencontre.org de découvrir ou de mieux connaître un intellectuel et militant qui, simplement, suscitait amitié et estime. (Charles-André Udry)
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Peter Gowan (15 janvier 1946 – 12 juin 2009) est mort d’un mésothélium à l’âge de 63 ans. Parmi les jeunes membres de la Nouvelle Gauche des années 1960 en Grande-Bretagne, il était l’un de ceux qui disposaient des plus amples aptitudes intellectuelles. Il avait une grande faculté de travail et un talent pour le dialogue, ce qui en faisait un enseignant d’une très grande efficacité. Depuis 2004, il était professeur de relations internationales à la London Metropolitan University.
Depuis 1990, il faisait partie du comité de rédaction de la New Left Review (NLR). Il était considéré comme l’un de ses animateurs les plus sagaces ; au cours de la dernière décennie il fut encore plus fécond. Un grand nombre d’amis et d’étudiants ont bénéficié de ses connaissances dans le domaine de la politique et de l’économie internationale, que ce soit au sein de l’International Marxist Group (IMG), trotskyste, ou dans les écoles et les universités, et, de plus, dans les différents pays où il s’était investi politiquement.
On se souviendra, en particulier, du travail de Peter mené depuis 1978, avec sa femme Halya Kowalsky: celui de cofondateur du périodique fort influent Labour Focus on Eastern Europe. Cette publication soutenait les mouvements d’opposition socialistes et démocratiques en Europe de l’Est, y compris Solidarnosc en Pologne et la Charte 77 en Tchécoslovaquie.
En éditant ce périodique sous le pseudonyme d’Olivier MacDonald (ce surnom renvoyait au nom de jeune fille de sa mère), Peter a créé une plate-forme de collaboration au milieu d’une ambiance de batailles politiques fractionnelles qui caractérisaient la gauche britannique au cours des années 1970 et 1980. Il a persuadé des membres de l’IMG et du Socialist Workers Party (SWP) de laisser de côté leurs débats sur la nature de l’URSS. Il s’adressa à des membres du Labour Party déçus par le soutien tacite accordé par leur parti aux régimes néo-staliniens de l’Europe de l’Est.
A partir de cette initiative il mit sur pied un groupe bigarré de militants de Grande-Bretagne et d’immigrés (des pays de l’Est) qui ont apporté un soutien concret aux divers mouvements d’opposition dans les pays du «bloc de l’Est». Peter a aussi rassemblé une des meilleures documentations sur les divers combats pour les droits démocratiques sous le «communisme».
Suite à la fin des régimes dits communistes en Europe de l’Est, Peter a fermement marqué sa différence avec de nombreuses voix qui considéraient «le capitalisme réellement existant» comme étant le seul horizon pour l’avenir. Toutefois, au cours des deux dernières décennies de sa vie, il a mobilisé ses énergies intellectuelles sur le terrain de l’étude des relations internationales et de l’économie internationale. Dans son ouvrage, publié en 1999, The Global Gamble. Washington's Faustian Bid for World Dominance (Ed. Verso), il initia une analyse pénétrante de ce qu’il qualifia de «the dollar/Wall Street regime».
Son département à la London Metropolitan University acquit une présence significative sur la scène académique internationale. Il était très demandé comme orateur en Europe comme aux Etats-Unis, ainsi qu’au Brésil, en Argentine, en Chine et en Corée du Sud. A chaque fois, il impressionnait son audience grâce à ses analyses clairvoyantes portant sur les faiblesses fondamentales du nouveau modèle capitaliste.
Né à Glasgow, tout enfant, il migra à Belfast avec sa mère. A l’âge de neuf ans, il s’installa en Angleterre, où il commença sa scolarité à l’école d’Orwell Park, dans le Suffolk, puis continua au collège de Haileybury, dans le comté de Hertfordshire. Par la suite, il étudia à l’Université de Southampton. Il s’intéressa à la politique de la gauche radicale et centra ses études sur l’héritage de la Révolution russe.
Plus tard, il renonça à ses travaux au Russian Studies Centre de l’Université de Birmingham afin de pouvoir s’engager dans l’hebdomadaire d’extrême gauche Black Dwarf [Le Nain noir – titre qui faisait référence à un journal satirique défendant les intérêts de la classe ouvrière au début du XIXe siècle en Grande-Bretagne]. Cela le conduisit à rejoindre la Vietnam Solidarity Campaign (VSC) ; plus tard il se rendit en Espagne et au Moyen-Orient.
Il rencontra Tariq Ali en 1968 dans le cadre de la VSC. Ils devinrent des figures marquantes de l’IMG, section de la IVe Internationale (Secrétariat Unifié), un des principaux groupes trotskystes de la gauche dans les années 1960 et 1970. Peter a organisé l’aile jeune de l’IMG, la Spartacus League, où ses capacités pédagogiques ont été de suite reconnues.
Il enseigna dans des collèges à Londres avant d’occuper un poste au Barking College (East London). Ce fut dans ces bâtiments de l’éducation publique tombant en ruine qu’il fut certainement exposé à l’amiante qui provoqua son mésothélium.
J’ai rencontré pour la première fois Peter lorsque nous avons partagé une chambre à Prague, en 1980. Nous participions à un cours d’été pour étudiants. N’étant pas un étudiant tout à fait normal en linguistique, Peter avait comme but prioritaire d’établir des liaisons clandestines avec des membres de gauche de la Charte 77 et d’apporter un soutien à leur lutte. Beaucoup de militants de Labour Focus, y compris moi-même, étions animés par l’engagement de Peter et nous aidions à diffuser en contrebande des livres, des machines à photocopier [des machines à ronéotyper] et d’autres matériels pouvant aider les dissidents.
En opposition aux batailles sectaires existantes, Peter encourageait Labour Focus à devenir un forum de discussions pour tous les points de vue politiques, qu’ils reflètent ses propres idées socialistes ou pas. Je lui dois beaucoup pour avoir stimulé mon intérêt pour les développements politiques en Europe de l’Est et m’avoir fait rencontrer de nombreuses personnes remarquables de l’opposition.
Nombre d’étudiants qu’il accompagna jusqu’à leur licence ou dans la suite de leurs études au North London Polytechnic (maintenant London Metropolitan University) lui sont reconnaissants pour son appui patient et pour ses conférences éclairantes. Peter était «un des camarades les plus généreux que j’aie jamais connus, sans une trace d’égotisme», rappelle Tariq Ali. «Il était bon avec tout le monde, que ce soit des étudiants, des camarades ou des personnes célèbres, et il était un enseignant inné.»
Le diagnostic de sa maladie[de son cancer] mortelle fut posé seulement quelques semaines après le commencement de la crise financière mondiale. Bien que sachant que sa situation était sans issue et face à un état de santé se détériorant rapidement, il le supporta non seulement en conservant une humeur égale, mais en continuant de travailler jusqu’aux limites de ses capacités dans les mois qui suivirent. Son article paru dans le numéro de janvier-février 2009 de la New Left Review fournit un exposé concis de son interprétation des origines de la crise financière. (Traduction A l’Encontre)
Il rencontra Halya en 1973. Elle lui survit, ainsi que ses trois fils, Ivan et les deux jumeaux, Boris et Marko.
* Cet article a été publié dans le quotidien The Guardian en date du 17 juin 2009.
(21 juin 2009)
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