Grande-Bretagne
La crise et un début de relance des luttes
Martin Smith *
Nos dirigeants utilisent le désarroi économique en cours pour intensifier leurs attaques contre les travailleurs et travailleuses. Mais la riposte des salarié·e·s en Grande-Bretagne est en train de changer de manière significative.
Lorsque Lehman Brothers, la quatrième plus grande banque du monde, a coulé le 15 septembre 2008, la tourmente économique est devenue un tsunami. L'étendue de la crise atteignait de telles proportions que certains commentateurs politiques ont déclaré que le capitalisme lui-même était sur le point de s'effondrer.
Pourtant, une année plus tard, une grande partie de ces mêmes personnes prétendent que l'économie mondiale est déjà en voie de rétablissement. Dans un article récent au sujet de la gauche en Grande-Bretagne, un journaliste du Guardian [quotidien considéré comme de centre-gauche] a même soutenu que la crise était en voie de recul et que «la gauche avait loupé le coche».
Le Produit Intérieur Brut (PIB) en Allemagne et en France a augmenté de 0,3% au cours du deuxième trimestre de 2009, et ces chiffres osnt déclenché une rafale de premières annonçant la reprise.
Cependant les gros titres d'une journée sont régulièrement contredits le lendemain. Par exemple, des économistes vantaient par récemment le fait que le Japon avait émergé de sa pire récession depuis un demi-siècle.
Mais à peine l'encre de cette histoire était-elle séchée que le quotidien The Guardian devait expliquer: «Au cours du mois passé le chômage au Japon a atteint des niveaux records et l’indice des prix à la consommation a chuté à un rythme sans précédent, faisant craindre que la reprise économique du pays ne soit déjà en train de caler sous l'influence de la déflation.»
Catastrophique
Jusqu'à maintenant, les classes dirigeantes du monde ont réussi à éviter un effondrement catastrophique de l'économie mondiale en déversant des milliards de dollars dans le système.
Mais cette mesure a conduit à une hausse en flèche de l’endettement des gouvernements. La dette de la Grande-Bretagne se situe actuellement autour des 800 milliards de livres [1368 milliards de CHF], soit plus de 56% du PIB de ce pays. Certains commentateurs prédisent que la dette nationale aux Etats-Unis atteindra 7410 milliard de dollars au cours de la prochaine décennie.
Mais les dirigeants mondiaux sont pris dans un piège économique. Même si le «stimulus budgétaire» – l'injection d'argent public dans l'économie – atteignait son objectif, on ne sait pas dans quelle mesure ses effets ne seront pas temporaires. On peut en effet se demander si les niveaux massifs de la dette publique ne risquent pas d'entraîner à nouveau l'économie vers le bas.
Il existe également de gros risques à freiner ce que les économistes appellent une sortie complexe des facilités en termes monétaires et budgétaires. En effet, celle-ci pourrait impliquer une augmentation des impôts et un frein aux dépenses, ce qui pourrait torpiller la reprise et faire à nouveau glisser l'économie vers la récession et la déflation.
La prudence reste donc le mot d'ordre des capitalistes au niveau mondial. La reprise est limitée et fragile, voire, dans de nombreux pays, inexistante.
Il est important pour les socialistes de comprendre que les problèmes à long terme du capitalisme ne seront pas résolus en déversant de l'argent dans l'économie. Il faut d'ailleurs noter que la facture complète pour toute reprise – quelle qu'elle soit – reste être à être payée. En effet, comment les économies nationales qui ont déversé des milliards dans les banques en déroute vont-elles rééquilibrer leurs budgets?
La seule solution que les politiciens et les économistes peuvent envisager pour résoudre le problème de la dette consiste à procéder à des coupes massives. Ce qui signifie que nous devons nous attendre à une période d'attaques permanentes contre la classe travailleuse.
Même le Fonds Monétaire International (FMI) a admis dans un récent rapport que «la reprise ne sera pas assez forte pour réduire le chômage.»
En Grande-Bretagne, le chômage touche 2,4 millions de personnes, son niveau le plus élevé en 14 ans. La plupart des commentateurs estiment que ce taux atteindra 3 millions en décembre et qu'il continuera à augmenter pendant l'année 2010.
Les attaques contre les retraites vont également se poursuivre. La Royal Bank of Scotland (RBS), qui appartient maintenant pour 70% aux contribuables, étant donné son sauvetage par l’Etat, a annoncé qu'elle allait faire des coupes dans les plans de retraite de ses travailleurs. Par contre, Sir Fred Goodwin, le patron qui a conduit la banque à la quasi-déroute, a reçu une rente d'une valeur de 16 millions de livres [27,4 millions de CHF].
La firme technologique japonaise Fujitsu, non contente d'annoncer des projets de liquider son ultime plan de caisse de retraites, vient d'annoncer, le 25 août 2009, qu'elle allait licencier 1200 travailleurs. Fujitsu emploie quelque 12'500 salarié·e·s en Grande-Bretagne.
Et ce n'est pas un secret d'Etat que le gouvernement de Gordon Brown (Parti travailliste) prévoit de saisir la première occasion pour déchirer les accords pour les retraites dans le secteur public.
Ces attaques vont encore s'aggraver après les élections. Le quotidien de la City, le Financial Times, a récemment publié un éditorial intitulé: «Le Royaume-Uni n'échappera pas aux licenciements», avant de poursuivre avec audace: «Quiconque gagnera les élections, et quel que soit son zèle réformateur, le prochain gouvernement se distinguera par le nombre de coupes qu'il effectuera.»
Quelle sera la réaction des salarié·e·s ?
Pour les socialistes, la question clé est celle de savoir comment réagira la classe ouvrière britannique.
La réponse à la crise économique en Grande-Bretagne a été lente par rapport à beaucoup d'autres pays européens. Il y a eu d'énormes grèves et des manifestations en Grèce, en Irlande et en France à l'époque de Noël l'année dernière, en 2008. En Grande-Bretagne, les réactions étaient plus molles. Mais à l'époque l’intensité des attaques que subissaient les salarié·e·s britanniques était aussi significativement plus bas qu'ailleurs en Europe.
Un manque de confiance persistant de la part de la base s'est ajouté au découragement de beaucoup de dirigeants syndicaux, entraînant l'abandon des campagnes salariales en automne 2008. Mais au cours des derniers six mois on a pu constater une montée modeste mais significative de la lutte de classes.
Il y a eu une série d'occupations d'entreprises pour sauver les emplois, en particulier dans les entreprises clés comme Prisme, Visteon et Vestas. A juste titre, la campagne menée actuellement à Vestas (firme danoise qui est le plus grand producteur d’éoliennes au monde) est bien accueillie dans le public et dans les médias parce qu'elle associe les questions du changement climatique et de l'emploi.
L'occupation de Visteon [filiale sous-traitante de Ford] s'est fixé la barre plus haut. L'entreprise concerne de très nombreux travailleurs, et l'occupation a été victorieuse. Visteon reste un modèle de ce que nous devrions faire à l'avenir.
Il y a également beaucoup de grèves importantes contre les suppressions d'emplois – par exemple, à niveau national, à Royal Mail [poste] et à Tower Hamlets College dans l'est londonien. Quelque 8000 pompiers préparent également une grève.
On voit surgir de nouvelles conceptions, plus militantes, dans les luttes syndicales: des occupations, des sit-ins et des grèves générales.
Une partie du conservatisme du passé subsiste cependant. Il se traduit dans les grèves d'une journée, les scrutins consultatifs sur l’action à engager, voire les capitulations abjectes. Mais on ne peut mettre les deux sur le même plan. Les nouvelles luttes ont un impact plus important et fournissent l'inspiration aux syndicalistes et aux militants.
Un renouveau
Au centre de ce renouveau de la lutte de classe des travailleurs, il y a l'amertume et la colère provoquées par la crise économique. Mais il existe également toute une série de facteurs politiques qui se combinent et qui nourrissent à leur tour la volonté de lutter. Le scandale des dépenses privées des députés anglais, la guerre en Afghanistan [plus de 200 soldats britanniques ont été tués depuis 2001 et 52% des Britanniques étaient pour le retrait des troupes lors de la visite de G. Brown en Afghanistan en fin août 2009]. A cela s’ajoute la nouvelle tournée de bonus distribués des banquiers. Tous ces facteurs alimentent l'amertume et de soulever des questions sur les priorités du système et sur la légitimité du gouvernement.
Des millions de personnes sont convaincus que le Parti Travailliste (Labour Party) met les intérêts des riches et des puissants avant toute chose.
Même des annonces évoquant des premiers bourgeons d'une relance peuvent redonner confiance aux travailleurs et les encourager à réagir: «Mais alors, pourquoi supprime-t-on nos emplois?». De même, les travailleurs de Vestas ont été fortifiés dans leur action par les engagements du gouvernement concernant des «emplois verts».
Le gouvernement de Gordon Brown est vu comme mauvais, mais en même temps comme faible. Pour n'importe quelle direction politique c'est la pire des combinaisons.
Mais la gauche n'a pas été la seule à connaître des développements politiques. Le parti fasciste, le British National Party ( Parti National Britannique - BNP) a gagné des voix sur le plan électoral, et les Conservateurs (Tories) connaissent une remontée. Lors d'une crise, l'opinion tend à se polariser – certains s'en prennent au système, et d'autres cherchent des boucs émissaires.
Plus que jamais nous avons maintenant besoin, entre autres, d'une alternative électorale socialiste. Le Socialist Worker's Party (SWP) mène une campagne dans ce sens.
Jusqu'à maintenant une grande partie de la gauche n'a pas saisi sa chance. Lors d'un récent meeting à Wigan [Lancastre] sur les perspectives de la gauche, l'orateur du SWP a défendu l'idée d'une campagne électorale unie. Mais malheureusement l'orateur de Respect [coalition menée par George Galloway qui est député] a déclaré qu'ils n'étaient intéressés à mener campagne que pour trois sièges, alors que l'orateur du Parti Socialiste annonçait qu'ils allaient lancer une nouvelle organisation, soutenue par le parti communiste et Bob Crow, le leader du RTM [Rail, Maritime and Transport].
Les salarié·e·s en Grande-Bretagne espéraient mieux et méritaient mieux. Néanmoins nous maintenons notre engagement à travailler avec d'autres en faveur de la création un projet électoral uni et à renforcer notre soutien électoral là où nous avons une base.
Des opportunités
La crise économique en cours et le ferment idéologique se combinent pour offrir de réelles opportunités pour le SWP.
Les étudiants proches du SWP ont débuté l'année en jouant un rôle central dans l'occupation de collèges contre l'offensive israélienne à Gaza. Ils vont finir l'automne en organisant une manifestation anti-guerre appelant à un retrait des troupes britanniques d'Afghanistan. Nous avons joué un rôle crucial en menant campagne contre le BNP nazi et en faisant fermer les portes de leur festival de haine à Codnor [dans le Amber Valley District].
Nous avons contribué à préparer la résistance à la crise. En ce qui concerne les occupations d’entreprises, les membres du SWP ont été aux premières lignes dans les débats, dans la participation et pour le travail de solidarité. Nous devons continuer à concentrer tous les efforts pour amplifier les possibilités de résistance. Il est vital que nous établissions un lien entre toutes les luttes. Le mouvement de protestation lors de la conférence du New Labour à Brighton ce mois de septembre [dès le 27 septembre 2009] est un bon point de départ.
Des syndicats et des groupes de travailleurs de Vestas et de Visteon sont en train de se joindre à des campagnes comme Fight for the Right to Work (Lutter pour le droit à travailler), Stop the War Coalition et Unite against Fascism.
Pour la gauche, cela offre une réelle opportunité pour combiner les luttes économiques avec les mouvements politiques qui ont joué un rôle si important pour modeler le paysage politique. Cette manifestation sera suivie par une importante conférence à la fin de l'automne.
La chaîne de télévision One Sky a rapporté au sujet de l'occupation de Vestas: «Dans certains secteurs Il y a une réelle crainte que des occupations telles que celle de Vestas ne deviennent la nouvelle forme des relations industrielles».
Notre tâche au cours des semaines et les mois à venir est de faire tout ce que nous pourrons pour que ces craintes se réalisent. (Traduction de A l’encontre)
* Martin Smith est un des principaux animateurs du SWP britanniques et a publié cet article dans le mensuel Socialist Review.
(16 septembre 2009)
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