France
De Châtellerault à Châteaufort, des salariés font monter la pression.
Le cas Nortel et l’analyse de J.-M. Pernot
Dans la foulée de l’action des travailleurs de New Fabris (voir sur site l’article en date du 15 juillet) à Châtellerault (Département de la Vienne, France), les salariés de Nortel Networks SA à Châteaufort (Département des Yvelines, France) ont menacé de faire sauter leurs bureaux. Ils avaient positionné des bouteilles de gaz reliées entre elles dans leurs locaux. Leur entreprise, filiale de l’équipementier en communications canadien Nortel, a été placée en liquidation judiciaire le 28 mai 2009. La société de Châteaufort est un centre de recherche (R & D) sur les technologies GSM.
La maison mère, Nortel, depuis début janvier 2009, est sous protection de la loi américaine sur les faillites (Chapter 11), loi qui permet aussi des restructurations de groupes aux Etats-Unis et au Canada, sous la stricte autorité d’un juge. Cette stratégie économique et judiciaire est utilisée pour de brutales «cures d’amaigrissement», dans des secteurs «anciens» (acier, automobile…) ou dans ceux desdites nouvelles technologies.
Pour ses filiales européennes, la firme Nortel a ouvert une procédure d’insolvabilité intracommunautaire. Cela lui permet de piloter la restructuration brutale de 17 filiales européennes, depuis le Royaume-Uni. Dans un premier temps, le reclassement a été offert, puis rapidement des menaces sur le versement des salaires se sont manifestées.
La décision de liquidation judiciaire du centre de Châteaufort (Nortel France) était assortie d’une seconde décision: la continuation d’activités en vue d’une revente. Si un repreneur n’était pas agréé par les administrateurs, français et britanniques, la liquidation deviendrait effective à fin août 2009.
Les salariés de Châteaufort ont rapidement dénoncé cette «liquidation abusive». Ils sont entrés en grève, car les administrateurs judiciaires de la liquidation n’ont pas réagi à leurs revendications qui, rapidement, portèrent sur l’obtention «de vraies indemnités de licenciement». Chaque salarié réclame 100'000 euros. Dès le 7 juillet, les salariés de Nortel Networks SA entrèrent en grève permanente. Ils demandaient de pouvoir «bénéficier d’indemnités de départ dans le cadre du Plan de sauvegarde de l’emploi et de mesures d’accompagnement dignes de ce nom». L’administrateur français, sous influence de la firme Ernst & Young UK, propose un plan «au rabais» et «le minimum conventionnel» («LeMagIT», 7.07.09). Les salariés de Nortel Networks SA dépendent de la convention de la métallurgie. La moyenne d’âge est de 39 ans, dix de moins qu’à New Fabris à Châtellerault. Pour les moins de 40 ans, la durée maximale de chômage est de 11 mois ; de 20 mois pour les plus de 40 ans ; et de 3 ans pour les plus de 50 ans.
Dans ce contexte, face au silence des administrateurs, qu’un représentant des grévistes, le 14 juillet, déclarait: «Si les administrateurs ne prennent pas leurs responsabilités, le site risque de péter. Les gens n’ont plus rien à perdre. Ils vont aller jusqu’au bout.» Un ultimatum a été fixé au 20 juillet. C’est la date à laquelle le comité d’entreprise doit donner son avis sur le plan de licenciement. Le plan social prévoit 467 suppressions de postes sur le total de 683. Un gréviste affirmait le 14 juillet: «Si pour nous c’est fini le 20, ce sera fini pour tout le monde.»
Face à cette accélération du conflit, le gouvernement français (Ministère du travail et Ministère de l’industrie, respectivement Xavier Darcos et Christian Estrosi) a proposé une rencontre qui doit se tenir le jeudi 16 juillet 2009, ce qui a conduit les salariés à «déconnecter» les bonbonnes de gaz.
Le quotidien économique «Les Echos», le 16 juillet, écrivait: «Au début d’un été propice à la multiplication des plans sociaux, ces deux conflits [New Fabris et Nortel] interpellent. Voir des salariés réclamer des indemnités plutôt que la sauvegarde des emplois et menacer de s’attaquer à l’outil de travail (une pratique déjà vue, mais rare dans la tradition ouvrière) témoigne, s’inquiètent Bercy [Ministère des finances] et le Ministère du travail, d’une montée du désespoir et des risques de radicalisation. Ces affaires illustrent aussi l’incapacité croissante des syndicats à canaliser les ardeurs des salariés. En réponse, le gouvernement s’appuie sur la méthode déjà employée au printemps face aux conflits chez Caterpillar ou Continental: ne pas jeter d’huile sur le feu et monter rapidement au créneau pour rétablir le dialogue.»
Ces grèves, le type de revendications, leur écho régional – au-delà de l’écho médiatique – devraient susciter la plus grande attention de la part de la gauche radicale. C’est peut-être là, plus que dans les déclarations de Mélenchon sur l’unité pour les régionales, que se trouve le «test acide» – selon la formule anglaise – pour les «anticapitalistes».
Nous publions, ci-dessous, un entretien significatif que «Les Echos» ont conduit avec Jean-Marie Pernot, chercheur à l’IRES, Institut de recherches économiques et sociales, et auteur de «La grève», avec Guy Groux (Presses de Sciences Po) et «de Syndicats: lendemains de crise ?» (Folio, 2005). La remarque de Jean-Marie Pernot sur le «dialogue normalisé» entre le gouvernement français et les directions syndicales indique combien est central dans la stabilisation politico-sociale le rôle des appareils syndicaux, de la CGT à la CFDT, en passant par FO. Ce qui débouche sur une interrogation d’évidence: la dialectique présente entre le social, le politique et l’institutionnel n’est plus celle des années 1950 ou 1970 ou même début 1980. Il serait utile d’y réfléchir et d’en débattre. (cau)
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«De telles menaces risquent de se multiplier»
Les menaces des salariés de Nortel Networks et de New Fabris marquent-elles un nouveau cap dans les tensions sociales ?
Elles ne sont pas une surprise. Il faut noter que cela reste des conflits défensifs et réactifs à une autre forme de violence: les salariés, au fond, ne demandent que l'ouverture de négociations, pas la révolution. Ce qui est incroyable, en réalité, c'est de devoir en arriver, pour cela, à menacer de tout faire sauter. Mais si le jeu normal de la régulation de conflits ne peut avoir lieu faute d'interlocuteurs dans les directions d'entreprise, comme c'est le cas par exemple chez Nortel, il ne faut pas s'étonner de voir des salariés sortir des méthodes classiques. Ils ont compris qu'il fallait attirer l'attention dans l'espace public pour obliger les pouvoirs publics à intercéder.
Faut-il s'attendre à voir se développer d'autres conflits de cette nature ?
Si les fermetures de sites continuent de prendre cette forme, à distance et sans négociations véritables, alors de telles menaces risquent de se multiplier. Surtout si la démarche finit par payer dans les entreprises concernées. On voit aussi nettement évoluer les revendications. Avant, on se battait le plus souvent pour sauver les emplois. Avec la crise, les salariés n'y croient plus. Les demandes d'indemnisation ont tendance à s'élever. Cela témoigne de la perception très sombre qu'ont les salariés de leur avenir. Les polémiques sur les rémunérations astronomiques des patrons les ont décomplexés.
Les centrales syndicales perdent-elles le contrôle de la situation ?
Le problème se pose en réalité plus à la base qu'au sommet. Les syndicats sont habitués aux institutions et au dialogue normalisé avec les directions. Quand ces procédures ne fonctionnent pas, les salariés, avec ou sans les syndicats, décident d'initier directement eux-mêmes une nouvelle phase d'action. L'important, c'est que les syndicalistes de terrain arrivent ensuite à retrouver leur place dans ce mouvement pour l'encadrer, ce qui reste aujourd'hui le cas la plupart du temps.
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La carte des licenciements et menaces de licenciements
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(16 juillet 2009)
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