France

 

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«Maintenant, on est obligés d’analyser les rapports de force»

Entretien avec Olivier Besancenot *

Le psittacisme – pour rappel, les perroquets sont de la famille des psittacidés – est à la politique de la «gauche radicale» de Suisse française ce que le copier-coller est à certains étudiants de la génération de la Toile. Cette répétition sans compréhension renvoie à une ignorance – parfois cultivée – de la formation sociale helvétique. Entre autres, une ignorance du type d’hégémonie instituée historiquement par le Capital, de ses institutions et de ses représentations politiques: les partis y sont institutionnellement faibles, en comparaison de ce qu’ils sont en France ou en Allemagne. A cela, il convient d’ajouter l’effacement d’un mouvement ouvrier, sans même insister sur l’extrême marginalité historique – au plan culturel comme politique – d’un «courant» marxiste critique.

Cette situation peut conduire des socialistes-révolutionnaires à développer une réflexion et des actions qui prennent en charge les difficultés et les obstacles propres à ce contexte. Et cela en les explicitant. Surtout dans une conjoncture où la formation sociale helvétique est marquée par les impacts d’une crise – aux facettes multiples – du système capitaliste mondialisé et où le patronat poursuit ses contre-réformes, sans devoir faire face à une «résistance» un peu significative des salarié·e·s.

Mais ce type de contexte helvétique peut aussi stimuler – sur le terreau constitué par l’ignorance effective ou feinte et/ou une rhétorique politique hors-sol – les grands écarts pratiqués par des illusionnistes politiques ou des aboyeurs attitrés.

Ainsi, l’air de rien, il est à la mode d’invoquer, quasi magiquement, le «socialisme du XXIe siècle», d’un côté, et, de l’autre, de participer à la gestion la plus traditionnelle – s’inscrivant dans le sillage historique du PdT-POP – d’une présence dans les exécutifs municipaux bourgeois (dans leur nature) de villes telles que Neuchâtel, Genève ou Lausanne.

Ce dédoublement politique donne lieu à un minimalisme institutionnel voisinant – sans que cela suscite une réflexion critique – avec des revendications proclamées telles que la «nationalisation des banques au sein d’un seul pôle de services bancaires, géré démocratiquement par les employé·e·s et les usagers·ère».

Une telle revendication – présentée comme une des quatre exigences immédiates dans un tract pour le 1er Mai 2009 (solidaritéS) – ne s’appuie sur aucune analyse, antérieure, des rapports de forces socio-politiques entre Capital et Travail en Suisse, de la structure du capital financier, de la place du «système bancaire» dans l’organisation du «bloc capitaliste» dominant en Suisse.

Cette revendication est tout simplement la reprise (du copier-coller) d’une revendication avancée aujourd’hui en France par le NPA. Mais, le NPA l’avance dans un pays où existait, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, un «pôle bancaire public», qui devait, certes, permettre la reconstruction et la relance d’une économie capitaliste dévastée. Donc, il s’agit, en France, d’une revendication qui cherche (et pourrait trouver) sa légitimité dans l’actualité (la crise bancaire et le prix que les salarié·e·s devront payer pour le renflouement des banques privées), dans l’histoire politique du pays ainsi que dans la mémoire de luttes sociales réelles.

En outre, en France, les salarié·e·s des banques font preuve d’une capacité de mobilisation qui, mesurée à l’aune helvétique, pourrait sembler relever du «socialisme du XXIe siècle». Voilà un exemple de ce psittacisme politique – auquel nous avons fait référence – qui confine à la tromperie politique.

Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France, fait montre d’une qualité qui se retrouve dans le titre de cet entretien: «analyser les rapports de force». Et cela afin de déterminer que proposer et comment agir.

On peut diverger – ou non – avec ce que le porte-parole du NPA dit et les perspectives programmatiques qu’il esquisse dans cet entretien. Mais son affirmation ayant trait à la compréhension des rapports de force effectifs, comme à leurs évolutions, relève d’une exigence qui devrait s’imposer à ceux et celles qui se revendiquent de l’anticapitalisme.

Un anticapitalisme effectif doit répondre de manière conjointe – et c’est là que réside toute la difficulté – aux exigences les plus immédiates des salarié·e·s et de leurs allié·e·s et, dans la foulée, au besoin de déboucher sur une perspective socialiste. Et cela n’est possible qu’au travers de luttes et d’expériences diverses, certes partielles. Ce sont ces luttes engagées – pas nécessairement victorieuses, mais partagées et réfléchies assez largement – qui permettront la coagulation et l’accumulation d’éléments constitutifs d’un socialisme démocratique, comme horizon crédible dans l’à-venir.

Pour illustration, ces mobilisations peuvent se préparer et se déclencher sur des terrains tels que: l’emploi (oppositions aux licenciements qui mettent en question l’élément inacceptable de la profitabilité privée et le coût social des licenciements) ; le salaire social (du pouvoir d’achat aux retraites, en passant par la formation et l’accès égalitaire et de qualité aux soins) ; la subversion des «nationalisations» factices, c’est-à-dire les prises de participation majoritaire de l’Etat afin de permettre une restructuration d’une branche ou d’une firme, restructuration qui sera payée, finalement, par les salariés en termes de salaire, de perte de postes de travail, d’intensification du travail; l’exigence face à de telles «nationalisations» de maintenir l’emploi, de modifier le type de production ainsi que les modalités de production (la question est déjà posée dans des secteurs comme ceux de l’automobile, de la chimie, des biotechnologies, de l’énergie, de la distribution), ce qui ouvre sur l’actualisation du thème de la socialisation – bien différente de la nationalisation – comme réponse à une crise intriquée: sociale, économique et écologique.

Au même titre, la dimension sécuritaire et répressive de la «réponse du Capital à sa crise» exige une riposte qui forge une unité des salarié·e·s et qui ouvre un débat public, large, sur les limites intrinsèques de la démocratie bourgeoise. Ces limites apparaissent, y compris, sur le terrain qu’elle semble revendiquer: les droits formels, civiques et civils. Ils sont de plus en plus mis en cause pour les migrant·e·s ou les salarié·e·s qui contestent le pouvoir patronal sur le lieu de travail. Ces limites ressortent avec plus de force sur le terrain économique et social. Là, la propriété privée – plus précisément celle concentrée dans les mains des véritables donneurs d’ordre qui disposent du pouvoir économique – s’élève comme un mur face aux droits de décider de la large majorité. Le droit de décider quoi et comment produire, de l’utilisation de la richesse sociale produite, de l’allocation des ressources, au plan national comme international.

Prenant appui sur des luttes ou même sur la nécessité de les mener (qui peut être ressentie par une partie des salarié·e·s), des revendications de ce type nécessitent non seulement une pédagogie, mais aussi la constitution d’une réflexion collective. C’est-à-dire qui intègre tous les maillons que constitue le travail associé qui est à la base de la production de la vraie richesse, dans les domaines matériels comme idéels.

Une période de crise peut ouvrir cette possibilité. En effet, elle met en relief (le travail du négatif) les failles du système en relation avec ce qui apparaît comme légitime et raisonnable (au sens de propre à l’être doué de raison) à imposer pour répondre aux besoins – et donc aux droits qui en découlent – de l’ensemble des êtres humains. C’est dans ce sens que nous avons développé, depuis des années, l’idée de ré-inventer le «bien commun», soit le communisme.

Mais une crise décisive du capitalisme mondialisé commande aux dominants des ripostes qui visent à organiser-gouverner un assujettissement plus strict des salarié·e·s, sous des formes d’ailleurs différentes de celle des années trente. La notion répétée à souhait de la «gouvernance» résume, aujourd’hui, une des modalités dominantes de cette domination rénovée, censée obéir à une raison supérieure d’efficience.

D’où l’importance de saisir les rapports de forces et leurs évolutions, ainsi que les formes de domination propres aux formations sociales – comme traduction concrète de leur histoire – pour élaborer des programmes d’urgence dans cette phase historique particulière. C’est de cette façon que pourra s’affirmer la possibilité de faire évoluer, dans un sens favorable aux salarié·e·s, les rapports de forces sur les différents terrains dans lesquels ils s’incrustent. Les formes du combat mené par les salarié·e·s des Ateliers des CFF de Bellinzone sont directement redevables d’une compréhension de l’histoire de ces ateliers dans une région spécifique: le Tessin. D’où la précaution nécessaire à avoir lorsqu’on s’y réfère comme exemple fétiche.

Sans obéir à ces impératifs élémentaires, les opérations d’illusionnisme politique risquent bien de se terminer comme une soupe de perroquet, c’est-à-dire ce rêve éphémère que se paie celui ou celle qui trempe son pain sec dans un peu de vin, pour reprendre la formule de Zola dans L’Assommoir. (cau)

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En panne le NPA ? Olivier Besancenot ambitionnait de polariser toute la gauche radicale autour du Nouveau Parti anticapitaliste. Pour son premier test électoral, la formation se retrouve au coude-à-coude dans les sondages (entre 5 % et 7 %) avec le Front de gauche, fruit de l’alliance entre le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, le PCF et d’ex-unitaires de la LCR. Il revient pour Libération sur sa stratégie dans cette campagne. (Libération)

Quel est l’enjeu de ces élections européennes pour le NPA ?

C’est de prouver électoralement qu’il y a bien un espace politique pour les anticapitalistes. Ici et en Europe, puisque, pour la première fois, on fait une campagne simultanée au Portugal, en Espagne, en Irlande, au Danemark, en Belgique et en Pologne, avec, pour objectif, d’aboutir à un parti anticapitaliste européen. Pour nous, le socialisme sera sans frontières ou ne sera pas. Entre le repli franchouillard souverainiste, y compris chez certains à gauche, et la démarche d’amendement de l’Europe, notre troisième voie consiste à dire: il ne faut pas changer l’Europe, mais changer d’Europe. En faire une nouvelle avec une harmonisation par le haut, avec le salaire minimum, des services publics européens, une taxation des profits des multinationales.

Pourquoi êtes-vous parti si tard en campagne ?

Certains font campagne depuis des mois. Notre stratégie était de donner un prolongement à la campagne politique que l’on mène sur le terrain des luttes sociales depuis janvier. Quatorze grands meetings et des dizaines de réunion publiques sans compter les rencontres avec les salariés: on ne peut pas nous faire le procès de ne pas faire campagne. Par rapport à d’autres partis, nous n’avons pas à rougir. C’est notre première échéance électorale en tant que NPA. Ceux qui nous surestimaient ont tendance à nous sous- estimer. C’est le jeu…

Sur l’Europe, ne peinez-vous pas à mobiliser les jeunes auxquels s’adresse le NPA ?

A nous de convaincre les milieux dans lesquels le NPA est présent, celui des prolos, de la jeunesse et des précaires, de voter pour nous. Il y a des gens orphelins d’une représentation politique ou qui ne se retrouvaient plus nulle part. Est-ce qu’ils vont se retrouver avec nous dans les urnes ? C’est cela l’enjeu. Notre seul concurrent, c’est l’abstention.

Et pas le Front de gauche qui fait jeu égal avec vous dans les sondages ?

Si l’objectif pour Mélenchon est de battre le NPA, le nôtre n’est pas de le battre, mais de savoir si on aura un maximum de voix et d’élus. Nous lui avions fait une proposition unitaire: celle d’un front anticapitaliste - et non pas antilibéral - qui propose, par exemple, un service public bancaire ayant le monopole du crédit et non pas un simple pôle public en concurrence avec des groupes privés. Et surtout un rassemblement qui soit durablement indépendant du PS, avec la nécessité de lier les européennes aux régionales de 2010. La direction du PCF l’a refusée. Faire un bon coup aux européennes pour qu’ensuite certains retournent dans le giron du PS, cela créerait de l’espoir politique déçu.

N’avez-vous pas raté une occasion de talonner le PS en ne vous alliant pas avec le Front de gauche ?

En politique, il n’y a rien d’arithmétique ou d’automatique. Les scores ne s’additionnent pas toujours. Lorsque la LCR s’est présentée avec LO aux européennes en 2004, nous avions fait 2,5 %. On laisse à d’autres les objectifs chiffrés et le retour sur investissement. Il y a deux-trois circonscriptions où l’on peut avoir des élus. C’est notre objectif. Nous ne tondons pas la laine sur le dos du PS. Quand il nous tape dessus, il ne choisit pas le bon adversaire. Pour l’instant c’est plutôt Bayrou, les Verts et le Front de gauche qui le grignotent.

Mais l’alliance avec le Front de gauche…

Son objectif, c’est: «On va fumer les socialistes.» Le nôtre, c’est d’exploser la droite. Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet sont ensemble, mais ce n’est pas la première fois. Ils l’étaient dans un gouvernement de gauche plurielle qui a privatisé plus que deux gouvernements de droite réunis.

En parvenant à une gauche de la gauche unie, n’auriez-vous pas aidé le PCF à s’émanciper du PS ?

C’est leur problème ce n’est pas le nôtre. Ceux qui disent: «On va faire des gros scores pour peser de l’intérieur», eh bien qu’ils essaient ! Au début des années 80, le PCF faisait des scores à deux chiffres et était dans des gouvernements socialistes. On ne peut pas dire qu’il a beaucoup pesé sur l’orientation politique. Je ne vois pas comment cette tactique qui n’a pas fonctionné pendant trente ans serait validée, alors qu’aujourd’hui la seule différence, c’est qu’il y a François Bayrou et le Modem dans les bagages.

Vous faites donc cavalier seul…

Nous sommes sur une autre orientation. Maintenant, il faut assumer qu’il y a une gauche qui n’est pas contrôlée et pas contrôlable par la direction du PS. Et que c’est le NPA qui est le plus efficace, à la fois pour donner un débouché politique aux luttes sociales, pour chahuter la gauche et pour s’opposer efficacement à la droite.

Sur le front social, vous appelez à la grève générale, mais rien ne bouge…

C’était juste, et cela le reste. Maintenant, on est obligé d’analyser les rapports de force. La séquence ouverte en janvier, la résistance massive face au gouvernement, enregistrent un ressac. Notamment à cause du manque d’unité de la gauche syndicale et politique. Mais cette séquence reste ouverte. Comme l’ont dit certains du LKP en Guadeloupe, plutôt que de faire une grande journée de manifestation nationale tous les deux mois, il aurait été plus utile d’appeler à trois jours consécutifs de grève générale en bloquant les capitales pour faire en sorte que Sarkozy et Parisot nous parlent un peu mieux.

Votre slogan électoral «riposter utile» suffit-il pour mobiliser ?

Quand on dit riposter utile, il ne s’agit pas simplement de contester. D’abord, il n’y a pas de honte à protester. Il ne faut pas s’abstenir d’exprimer sa colère sociale y compris dans les urnes. Les actionnaires, les banquiers vont se mobiliser et savent pour qui ils vont voter. Nous, nous devons aussi nous mobiliser. Quand j’entends Ségolène Royal dire aux salariés de Molex et d’Arcelor: «L’Europe sociale à besoin de vous», je dirais que ce sont eux qui auraient besoin du PS, qui n’a pris aucune mesure pour faire que cette Europe sociale soit palpable. Ils nous refont le coup du vote utile, c’est quand même gonflé. Nous disons riposter utile, pour apporter dans les urnes les solutions pour lesquelles on milite au quotidien.

* Entretien conduit par Matthieur Ecoiffier, dans Libération, 31 mai 2009.

(31 mai 2009)

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