France
La mobilisation contre «une immigration jetable».
Analyse de la réforme dite Sarkozy (16 mai 2006)
Quelque 35 000 personnes ont protesté, le 13 mai 2006, à Paris contre le projet de réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Dans d’autres villes, parmi la vingtaine où des cortèges se sont formés, les manifestations y ont été très importantes, notamment à Marseille et à Clermond-Ferrand où certains observateurs parlent de la plus grosse manifestation depuis 1998.
Organisée à l’appel des 600 organisations associatives, politiques et syndicales du collectif Uni-e-s contre une immigration jetable (UCIJ), la manifestation visait à obtenir le retrait du projet qui facilite l’«immigration utile» à la France au détriment de l’«immigration subie» qui serait rejetable quels que soient les droits - vie familiale et personnelle ou asile, notamment - dont elle peut se prévaloir. Le débat doit encore avoir lieu au sénat français en juin 2006.
Les manifestant·e·s ont rejeté la conception purement utilitariste de l’étranger admissible en France, conception qui fonde la ligne politique du gouvernement, laquelle tend à devenir également celle de l’Union européenne (UE). Cette orientation est aussi à l’œuvre en Suisse et trouve une concrétisation encore plus «ferme» dans la LEtr et la LAsi soumises à référendum.
Selon les critères définis dans le CESEDA, l’immigré·e est d’autant plus «utile» qu’il est condamné à la précarité. Suppléant aux carences conjoncturelles de l’économie nationale, il est un intermittant jetable dont le droit au séjour peut être remis en question dès lors qu’on jugerait ne plus avoir besoin de lui.
Nous portons ci-dessous à la connaissance de nos lectrices et lecteurs une analyse du CESEDA effectuée par le collectif Uni·e·s contre une immigration jetable (disponible aussi au format pdf). Son argumentation fait écho aux arguments avancés contre la LEtr et la LAsi en Suisse. réd.
Le collectif «Uni·e·s contre une immigration jetable» a lancé une pétition contre ce projet de loi. Nous vous invitons à la signer sur le site web www.contreimmigrationjetable.org
Uni·e·s contre une immigration jetable
Analyse du projet de loi [1] modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA)
2e édition, 11 avril 2006
Sommaire
I - Pour en finir avec une immigration prétendument «subie»:
de nouvelles atteintes aux droits fondamentaux
1°- La délivrance des titres de séjour: la carte "vie privée et familiale" et la carte de résident
A - La fin des possibilités légales de régularisation: l'irrégularité à perpétuité
B - Les conjoints de Français: un amour suspect
C – Les parents d’enfant français
D – Les jeunes
E – Les malades étrangers
2° – Le regroupement familial
A – la procédure de droit commun: toujours plus de précarité
B – L’unité de famille des réfugiés
3° - L’UE et la circulation des personnes (ressortissants communautaires et résidents dits de longue durée)
A - Les ressortissants des États membres de l’Union européenne, des autres États parties à l’Espace économique européen et de la Suisse ainsi que les membres de leurs familles.
B - Les ressortissants des pays tiers «de longue durée»: un faux statut ?
II – Pour le compte d’une «immigration choisie»:
la sélection des «bons éléments»
1°- Des étrangers réduits à leur force de travail
A - la carte de séjour temporaire mention «salarié»
B - la carte de séjour temporaire mention «travailleur temporaire»
C - la carte réservée aux professions non soumises à autorisation
D - la carte de séjour temporaire permettant l’exercice d’une profession commerciale, industrielle ou artisanale relevant des dispositions du Code de commerce
E - la carte de séjour temporaire mention «travailleur saisonnier».
2°- La carte «compétences et talents»: pour le «rayonnement» de la France
3°- Les étudiants: l’officialisation de la sélection
III – L’éloignement
1° - Le retour de l’interdiction administrative du territoire
2° - La création d’une nouvelle mesure d’éloignement: l’obligation de quitter le territoire français
3° - La protection rognée contre les mesures d’éloignement
4° - Modifications relatives à la rétention administrative
IV – Le droit d’asile ou ce qu’il en reste
1° – La liste nationale des pays sûrs
2° - Allocation temporaire d’attente: pas encore appliquée, déjà modifiée
3° - Les CADA sous contrôle
V – L’outre-mer: terre d’exception
1° - «Paternité de complaisance» à Mayotte
2° - L’éloignement de la Guyane, de la Guadeloupe et de Mayotte
3° - Extension des pouvoirs de contrôle
4° - Modifications du code du travail de Mayotte
Deux ans après la loi dite Sarkozy du 26 novembre 2003 modifiant la législation sur l'immigration et l'asile, le gouvernement a décidé de procéder à une nouvelle réforme. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une nième modification du statut des étrangers résidant en France.
La précédente, présentée comme une merveille de réalisme et d'équilibre, avait pour objectif affiché de lutter contre l'immigration irrégulière, par une prétendue maîtrise des flux migratoires, et d'en finir avec la double peine. Le ministre de l'intérieur entendait alors afficher «fermeté» à l'égard de ceux jugés indésirables et qui profitaient des failles du système pour s'installer dans la clandestinité et «humanité» à l'égard de ceux, victimes de la double peine, qui avaient grandi en France et qui méritaient à ce titre de ne pas être expulsés vers un pays d'origine inconnu. Le bilan finalement réalisé n’est guère convaincant [2]. Les organisations, dont le rôle consiste à aider, conseiller et accompagner les étrangers et leurs familles dans leurs démarches administratives, savent que la loi a rendu la vie impossible à des milliers de personnes, en remplissant au passage les centres de rétention, sans oublier la multiplication des interpellations fondées sur la couleur de la peau.
Mais cette loi n'a pas suffi. Persévérant dans sa volonté de désigner l'étranger comme le responsable de tous les maux et l'immigration comme Le problème, en sa période préélectorale prompte à générer abus et écarts verbaux, le gouvernement s'apprête à mener une nouvelle bataille destructrice sur le statut des étrangers, en les livrant plus encore au pouvoir discrétionnaire des préfets.
S'inspirant pour partie de la politique européenne, le projet de loi consacre officiellement une reprise de l'immigration, en l'enfermant dans une approche entièrement utilitariste. Il est censé correspondre au nouveau credo gouvernemental, à savoir stopper l'immigration «subie» et promouvoir une immigration «choisie». Cette réforme n’est pas une réforme de plus: elle constitue une véritable rupture en ce sens que, pour la première fois, on désigne officiellement comme «immigration subie» l’immigration de famille (terme entendu ici largement).
«Uni(e)s contre l'immigration jetable», qui rassemble plus de 300 organisations, propose une analyse commune de ce projet, fruit d'une réflexion et d'un travail collectifs. Indiquons que ce projet a été plusieurs fois remanié pour atteindre sa forme définitive. Il nous est apparu nécessaire de faire état des évolutions de ce document d'une part parce que le premier document de travail interministériel (en date du 18 décembre 2005) est transparent sur les intentions réelles du gouvernement, d'autre part parce que rien n'indique que le projet finalement déposé à l’assemblée nationale n'évoluera pas encore au fil des débats parlementaires dans un sens proche de ces intentions originelles.
En tout état de cause, «Uni(e)s contre l'immigration jetable» entend se battre avec force contre cette réforme qui projette de réduire l'étranger à la force de travail qu'il représente, en niant les droits attachés à sa personne. Ce faisant, le gouvernement poursuit son entreprise de déstabilisation de populations déjà fragilisées par des années de politique aveugle, indigne et méprisant les libertés fondamentales.
I - Pour en finir avec une immigration prétendument «subie»: de nouvelles atteintes aux droits fondamentaux
Le projet «relatif à l'immigration et à l'intégration» - puisque tel est son nom ! – s’attaque une fois de plus aux droits et libertés dont la valeur constitutionnelle doit ici être rappelée: Le respect de la vie privée ; Le droit à mener une vie familiale normale ; -La dignité ; -Le droit d'asile ; - L’intérêt supérieur de l’enfant. De la sorte, le projet de loi, sans conteste, va créer de nouveaux cas de sans-papiers et des situations administratives inextricables.
1°- La délivrance des titres de séjour: la carte «vie privée et familiale» et la carte de résident
La carte «vie privée et familiale» a fait son apparition dans le paysage juridique en 1997. Elle ne doit pas être considérée évidemment comme une avancée, car il s'est agi à l'époque de prévoir la délivrance «systématique» d'un titre précaire (carte de séjour temporaire) - la carte a une durée de validité d'un an - à l'égard de catégories d'étrangers qui à l'origine bénéficiaient de «plein droit» d'une carte de résident. Par la suite, le législateur n'a eu de cesse de grossir les cas de délivrance de la CST, par transfert d'un titre vers un autre, en réduisant considérablement les catégories pouvant obtenir de plein droit la seule carte permettant raisonnablement de trouver un emploi stable et un logement, à savoir la carte de résident.
Avant d'analyser les catégories pouvant obtenir de plein droit la CST «vie privée et familiale» telles qu'elles sont redéfinies par le projet, il convient d'indiquer que toute délivrance d'un titre temporaire sera subordonnée à la production d'un visa long séjour: «Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent Code, l’octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour ‘compétences et talents’ sont subordonnés à la production par l’étranger d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois» (art. L 311-17 du CESEDA, art. 2 du projet). Certaines exceptions sont prévues par le texte. Cette exigence, qui permet de renforcer le contrôle en amont exercé par les autorités consulaires, a vocation à faciliter le travail des préfectures. Il suffira d'indiquer, à titre de motivation, l'absence de visa pour débouter la personne de sa demande.
A - La fin des possibilités légales de régularisation: l'irrégularité à perpétuité
Fondement textuel: article L 313-11 du CESEDA (ex 3° et 7°) (art. 24 du projet
1° - Le projet supprime tout d'abord la possibilité pour les étrangers résidant habituellement en France depuis 10 ans (ou 15 ans si, au cours de cette période, ils ont séjourné en tant qu'étudiant) d'obtenir une CST «vie privée et familiale». Le 3° de l'article L 313-11 est tout simplement abrogé. Cette carte représente jusqu'alors une perspective de régularisation pour toutes les personnes sans papiers, en leur permettant enfin de sortir de l'impasse administrative dans laquelle elles se trouvent depuis longtemps. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, le nombre de personnes régularisées à ce titre est très modeste, sans compter qu'il est très difficile de prouver ces 10 ans de séjour habituel eu égard aux exigences des préfectures en la matière.
Avant l’entrée en vigueur de la loi Pasqua du 24 août 1993, l’étranger qui justifiait par tous moyens avoir sa résidence habituelle en France depuis plus de 15 ans obtenait de plein droit une carte de résident. Le droit de se voir délivrer un titre de séjour (mais cette fois une carte temporaire d’un an) en raison de la longue présence en France (15 ans) a été rétabli en 1997, à la suite de la grève de la faim à l'église Saint Bernard. Il s'agissait alors de reconnaître qu'une telle présence en France avait permis nécessairement de nouer des liens privés et familiaux dont le législateur ne pouvait pas ne pas tenir compte. En conséquence, cette ouverture ne s'analyse aucunement comme «une prime à la clandestinité», mais comme la reconnaissance d'une intégration de fait dans la société française. Autrement dit, et sur le plan juridique, le séjour prolongé sur le territoire français - 10 ans d'une vie tout de même… - présume de l'existence d'une vie privée et/ou familiale sur place méritant d'être protégée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen. On peut du reste penser que, dans le cadre de litiges individuels, le refus de délivrance d'un titre de séjour pour des personnes pouvant faire valoir une telle antériorité sur le sol français pourrait être censuré par le juge administratif ou la Cour européenne des droits de l'homme.
Au bout du compte, les personnes sans papiers n'auront aucune possibilité réelle d'être régularisées. A tout le moins, comme le gouvernement l'a ironiquement rappelé, elles dépendront du bon vouloir des autorités préfectorales, pouvant ou non faire usage de leur pouvoir de régularisation. Lorsque l'on sait avec quel empressement elles usent de ce pouvoir, on peut craindre la poursuite sans fin de l'irrégularité pour des étrangers qui ont manifestement vocation à vivre ici. Ils continueront à alimenter en main d'œuvre certains pans de l'économie. Il n’est aucunement envisagé de permettre à des milliers de personnes déjà sur place de venir satisfaire aux «difficultés de recrutement» (v. II sur l’immigration «choisie») mises en avant pour justifier une reprise de l’immigration de travail.
2° - En second lieu, le projet s'attaque à une catégorie «fourre-tout» (7° de l'article L 313-11) permettant aux étrangers d'obtenir la même CST dès lors qu'ils peuvent faire valoir des liens personnels et familiaux en France. Là encore il ne s'agit pas d'une largesse du législateur. Cette catégorie a été créée par la loi du 11 mai 1998 afin de tenir compte de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme qui garantit le respect de la vie privée et familiale. Si par voie de circulaire on a en pratique considérablement réduit les possibilités de revendiquer ces liens privés et familiaux en fixant des conditions non prévues par la loi, le projet renforce les obstacles au point de vider le texte de sa substance.
Il convient d'abord de préciser que la mesure s'applique aux étrangers qui n'entrent dans aucune autre catégorie (parents d'enfants français, conjoints de Français, membre de famille ouvrant droit au regroupement familial), mais «dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus».
Le gouvernement a renoncé à décliner de façon précise les conditions requises pour pouvoir prétendre à une CST au titre des attaches personnelles et privées. Mais la formule vague, finalement élue, est tout aussi inquiétante car elle laisse une fois de plus une large marge de manœuvre aux préfets: les liens personnels et familiaux sont appréciés «notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine». Le «notamment» laisse entendre que d’autres éléments pourront être pris en compte. En pratique, il est certain que les quatre conditions édictées par le projet seront examinées en priorité, à savoir:
- l’intensité, l’ancienneté et la stabilité des liens familiaux et personnels ;
- les conditions d’existence de l’étranger (le projet a abandonné la référence à l’hébergement, mais la formule finalement choisie pourrait intégrer cette donnée) ;
- l’insertion dans la société française. A la suite de l’avis rendu par le Conseil d’État sur le projet, l’expression «intégration républicaine» a disparu du texte. On ne sait pas davantage comment sera mesurée l’insertion dans la société française ;
- la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine. Cette condition, absente des versions précédentes du projet, peut donner lieu à toutes les interprétations. Suffira-t-il qu’un membre de famille proche soit resté au pays pour offrir un nouveau motif de refus ?
A première vue, le fait d’exiger cumulativement ces conditions montre que le gouvernement entend verrouiller l’accès à cette catégorie. Rares, compte tenu desdites conditions, seront ceux qui pourront faire valoir leurs liens personnels et familiaux en France. Il s’agit d’une disposition visant à afficher le respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme mais qui n’en garantit pas le respect effectif.
On peut prendre l’exemple des personnes accompagnantes de malades afin de montrer l’incohérence et la dangerosité de telles modifications. Il n’existe pas les concernant de dispositif spécifique. Aussi elles peuvent aujourd’hui obtenir un droit au séjour sur le fondement de l’actuel article L 313-117°. Il y a toutes les chances qu’elles en soient privées si le projet était adopté en l’état. Il est en conséquence à prévoir que suite à un refus de séjour les accompagnants de malades resteront tout de même en France pour soutenir leur conjoint ou leur enfant malade, mais ce soutien sera entravé par l’irrégularité de leur séjour et la précarité qui en découle. En définitive, ce sera la santé et l’état psychologique des malades en question qui pâtiront de cette nouvelle disposition. Par exemple, comment un enfant atteint par une pathologie lourde pourra-t-il être suivi convenablement si l’irrégularité du séjour de ses parents l’enferme dans des conditions de vie très précaires et pathogènes ?
B - Les conjoints de Français: un amour suspect
Fondement textuel: articles L 313-11 4° (CST «vie privée et familiale») ; L 314-9, L 314-11 et L 314-5-1 nouveau (carte de résident) ; 21-2 du code civil (acquisition de la nationalité française) (art. 24, 26, 27, 28 et 59 du projet)
Les mariages français-étrangers sont dans le collimateur de l'actuel gouvernement. Après avoir, en 2003, créé le délit de mariage de complaisance et renforcé toujours en 2003 les contrôles lors de la célébration du mariage [3], il entend derechef durcir les conditions pour obtenir une simple carte de séjour temporaire (pendant très longtemps, la seule qualité de conjoint de Français donnait droit à une carte de résident dans la mesure où cela suffisait à démontrer des attaches particulièrement fortes et durables en France). Au regard de l’actuel projet de loi, pour obtenir un titre d’un an, les étrangers mariés avec des Français devront obligatoirement retourner dans leur pays d'origine pour y attendre la délivrance hypothétique d'un visa de long séjour. Actuellement il est requis qu'ils soient entrés de façon régulière en France, ce qui constitue déjà un obstacle majeur. Avec l'exigence d'un visa de long séjour, il est clair que beaucoup resteront bloqués dans leur pays, en raison de la pratique de nombreux services consulaires qui refusent la délivrance du visa au motif que le mariage a été contracté à des fins étrangères à la vie conjugales. Il s'agit là d'une atteinte essentielle au droit à mener une vie familiale normale.
Pour la délivrance d'une carte de résident, la suspicion est plus grande encore. L'article L 314-11 en vigueur donne accès de plein droit à la carte de résident, sous réserve de séjour régulier, «à l'étranger marié depuis au moins deux ans avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été préalablement transcrit sur les registres de l'état civil français». Il est tout bonnement prévu de supprimer ce cas de délivrance de plein droit de la carte de 10 ans.
A la place, le projet prévoit que les préfets auront la possibilité – et non l’obligation – d’attribuer une carte de résident aux conjoints de Français, à condition qu’ils soient mariés depuis au moins trois ans.
Ce déclassement opéré pour les conjoints de Français (éligibles de plein droit à la carte de dix ans pour devenir simples candidats livrés au pouvoir discrétionnaire de la préfecture) les soumettrait du coup automatiquement à la condition d'intégration dans la société française, avec toutes les incertitudes qu'elle emporte.
Il est prévu aussi de retirer la carte de résident en cas de rupture de la vie commune, dans la limite de quatre ans à compter de la célébration du mariage. L’examen de passage est bien long pour finalement avoir un droit permanent à rester sur le sol français. La survie et la pérennité du droit au séjour ne sauraient être subordonnées aux aléas de la vie de couple. Le fait de se séparer au bout de trois ou quatre ans ne rend en aucun cas suspect le mariage.
Enfin, la durée de communauté de vie permettant aux conjoints de Français de demander la nationalité française passerait de deux à quatre ans si le couple réside en France et de trois à cinq ans si le couple habite à l’étranger. Il faut ici ajouter que depuis la loi du 26 novembre 2003, l’accès à la nationalité du conjoint de Français a déjà été rendu plus difficile par l’allongement des délais et surtout par l’introduction de critères subjectifs, comme «la communauté de vie affective» et «la connaissance de la langue française». Au bout du compte, cette déclaration de nationalité, conçue comme simple, tend à s’apparenter à une procédure de naturalisation. En allongeant à nouveau le délai – ce qui ne se justifie pas – on retarde inutilement l’accès à la citoyenneté pleine et entière. Ainsi pour ne prendre que cet exemple, le conjoint de Français qui serait tenté par la fonction publique doit, avant de pouvoir passer des concours, attendre si longtemps qu’une fois qu’il remplit la condition, soit il ne peut plus se présenter aux concours pour des critères d’âge, soit il a dû y renoncer pour vivre.
Les modifications annoncées renforcent les situations de dépendance conjugale qui sont malheureusement propices aux violences et aux pressions.
C – Les parents d’enfant français
Fondement textuel: articles L 314-9 du CESEDA et 2291-1, 2291-2, 2291-3 et 2291-4 du Code civil (art. 27 et 75 du projet)
Le projet touche peu à la catégorie des parents d’enfants français. Ils devront attendre trois ans au lieu de deux pour pouvoir demander une carte de résident. De toutes les façons, depuis la loi du 26 novembre 2003, la préfecture n’est pas tenue de délivrer une telle carte aux parents d’enfants français. Auparavant, ces derniers pouvaient bénéficier de plein droit d’une carte de 10 ans (sous l’empire de la loi du 24 août 1993, c’était à la condition que le parent «exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant, ou qu’il subvienne effectivement à ses besoins», condition qui est aujourd’hui exigée pour obtenir une carte d’un an).
En revanche, le texte entend mettre en place une procédure de contestation des reconnaissances d’enfants tout à fait inédite en droit de la famille au point de créer en la matière un véritable bouleversement. Ce dispositif, initialement conçu par le ministère de l’Outre-mer pour Mayotte, a été au fil des avant-projets de loi successifs inscrit dans le Code civil comme un dispositif de droit commun, opposable à tous, puis expérimenté uniquement à Mayotte et en Guyane… jusqu’au projet de loi du 30 mars 2006 qui limite finalement l’expérimentation à Mayotte. C’est censé faire écho aux «dérives» prétendument constatées en la matière. Outre que le gouvernement poursuit la démarche - contestable - consistant à multiplier les «régimes d’exception» dans les territoires français lointains, ce dispositif doit s’analyser comme un ballon d’essai. Il n’est pas impossible qu’il finisse par s’étendre à l’ensemble du territoire.
Le projet envisage de permettre à l’officier d’état civil qui reçoit la reconnaissance d’un enfant de saisir le parquet s’il estime qu’il existe «des indices sérieux laissant présumer que la reconnaissance est invraisemblable ou frauduleuse». Le parquet devra alors dans un délai de quinze jours, soit autoriser la reconnaissance, soit s’y opposer. Il pourra aussi décider de surseoir pendant deux mois maximum pour faire procéder à une enquête, avant de prendre une décision. L’auteur de la reconnaissance pourra contester la décision de sursis ou d’opposition du parquet devant le tribunal de grande instance.
La reconnaissance pourra ainsi être retardée de deux mois et demi, délai auquel s’ajoutera le délai de dix jours au terme duquel le tribunal de grande instance devra avoir tranché le litige.
Actuellement, l’officier de l’état civil ne peut pas se faire juge de la sincérité d’une reconnaissance. L’instruction générale relative à l’état civil lui recommande seulement, si la reconnaissance lui apparaît mensongère, d’avertir l’intéressé des risques d’annulation, l’article 339 du code civil prévoyant que la reconnaissance peut être contestée en justice par toutes les personnes qui y ont intérêt. C’est donc seulement si la reconnaissance est invraisemblable, par exemple lorsque la différence d’âge est inférieure à 12 ans entre l’enfant et le «père», que l’officier d’état civil peut refuser de la recevoir et saisir le parquet.
La reconnaissance d’un enfant devant un officier d’état civil doit théoriquement coïncider avec la vérité biologique. C’est ce qu’affirment les manuels de droit de la famille. Mais il existe des réalités sociologiques dignes d’être prises en considération qui priment sur les liens du sang. Ainsi, il peut être de l’intérêt de l’enfant d’être reconnu par un père même si cela ne correspond pas à une vérité biologique.
Les cas de reconnaissance en dehors de tous liens biologiques sont nombreux et personne n’y trouve rien à redire. Ce projet n’a sûrement pas pour objet d’y mettre fin. Seuls les étrangers en situation irrégulière, à qui l’on prêtera toujours les pires intentions, seront tenus de s’en tenir au strict droit du sang. Car bien que ce projet de réforme du code civil n’en fasse aucune mention, il ne fait aucun doute qu’il cible exclusivement les sans-papiers. Les femmes comoriennes venant accoucher à Mayotte et suspectées de rechercher un Mahorais prêt à accepter de reconnaître la paternité de l’enfant sont explicitement ciblées par ce dispositif dans l’exposé des motifs. Si, comme on peut le craindre, le champ d’application de cette réforme s’étendait, les sans-papiers qui tenteront de reconnaître un enfant français en seraient les cibles principales
Concernant les risques réels de fraude, on peut s’interroger sur la nécessité de prévoir une procédure de contrôle a priori, reposant uniquement sur des indices, qui s’avérera humiliante et injuste pour les personnes de bonne foi alors qu’il existe déjà une procédure d’annulation a posteriori plus fiable et respectueuse des droits des personnes.
Cette procédure est entièrement calquée sur celle introduite par la loi Pasqua du 24 août 1993 en matière de lutte contre les mariages blancs. Dans les deux cas, le dispositif repose entièrement sur la suspicion a priori de l’officier d’état civil. L’expérience a démontré que ce type de contrôle était source de nombreux dérapages: refus systématiques des mairies hostiles aux étrangers, saisines abusives des parquets effectuées sur le seul fondement du séjour irrégulier du candidat au mariage, enquêtes intrusives dans la vie privée des couples, etc. De plus, en matière de mariage, cette procédure donne lieu à de nombreux détournements de procédure de la part de l’administration: le dépôt d’un dossier en mairie est devenu un moyen commode d’identifier et de reconduire les candidats au mariage en situation irrégulière, quelle que soit la réalité de leurs sentiments l’un pour l’autre.
Il y a de grandes chances que le contrôle a priori des reconnaissances d’enfants aboutisse au même résultat. Quels «indices sérieux» cherchera en priorité l’officier d’état civil pour conclure à un risque de fraude, sinon la situation irrégulière de l’un des parents ?
Si la reconnaissance d’un enfant revient à un risque de reconduite à la frontière, rares seront les sans-papiers qui tenteront le diable. A l’instar de ce qui s’est fait pour les mariages, ce projet de réforme du code civil, pour l’instant au champ d’application territorial limité à Mayotte, est ainsi avant tout destiné à dissuader les étrangers de faire valoir leurs droits à vivre en famille. On s’étonnera enfin que le gouvernement ait osé aborder un domaine sensible du droit de la famille, au travers d’une nième réforme du droit des étrangers, sans avoir songé un instant à consulter les personnes compétentes en ce domaine.
D – Les jeunes
Fondement textuel: article 313-11 2° du CESEDA ; 21-19 du Code civil (art. 24 et 61 du projet)
Sur ce point, le gouvernement a fait marche arrière. Alors en effet que la première version du texte prévoyait d’abaisser à 10 ans (au lieu de 13) l’âge en deçà duquel les jeunes doivent être arrivés en France pour bénéficier d’une carte «vie privée et familiale», la disposition semble effectivement abandonnée. Cela permet a priori de maintenir la cohérence entre l’accès à un titre de séjour et la protection face à l’éloignement (qui existe à l’égard des jeunes arrivés en France avant l’âge de 13 ans et qui y résident depuis).
Le projet prévoit – ce qui relève actuellement de simples circulaires - de régler la situation des jeunes confiés depuis l’âge de 16 ans au service de l’aide sociale à l’enfance. Le texte pose des conditions tenant au sérieux de la formation suivie, à l’absence de liens avec la famille restée dans le pays d’origine et à l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Cette prise en considération des mineurs isolés par la loi doit être appréciée à sa juste valeur: d’une part il est très difficile d’obtenir un placement à l’ASE pour ces jeunes, d’autre part ces jeunes n’obtiennent qu’un titre d’un an, alors qu’autrefois – avant la loi du 26 novembre 2003 – ils se voyaient reconnaître la nationalité française. En tout état de cause, la multiplication de conditions telles qu’elles sont formulées laissera à l’administration un large pouvoir d’appréciation et amoindrira d’autant la notion de plein droit qui devrait gouverner la délivrance d’un tel titre de séjour.
Une condition doit retenir l’attention: l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Elle est en contradiction avec les missions des travailleurs sociaux et l’éthique de la pratique sociale. Les travailleurs sociaux n’ont pas vocation à se transformer en agents de contrôle au service de la politique migratoire.
En dernier lieu, le projet de loi entend restreindre les possibilités d’obtenir la nationalité française pour les jeunes dont l’un des parents est devenu français. Ils ne pourront plus dans cette hypothèse bénéficier de la procédure simplifiée de naturalisation.
E – Les malades étrangers
Fondement textuel: article L 313-11 11°et 7° du CESEDA
Le projet semble renoncer aux modifications envisagées (v. notamment texte du 18 décembre 2005). Le ministre de l’intérieur, le 12 janvier 2006, a annoncé que finalement la disposition sur la carte de séjour temporaire attribuée aux étrangers malades ne «serait» pas modifiée, le dispositif restant en l’état. Dans la mesure où il n’est pas impossible que ces restrictions fassent leur réapparition, notamment au cours des débats parlementaires, il semble important d’indiquer les conséquences qu’elles auraient sur les étrangers malades (pour un argumentaire plus complet, voir le texte de l’Observatoire du Droit à la Santé des Étrangers sur le site www. contreimmigrationjetable.org).
Dans le projet initial en date du 18 décembre 2005, la disparition pure et simple du droit au séjour pour raison médicale était programmée:
- la régularisation des étrangers malades n’était plus envisagée comme un droit et était soumise au bon vouloir de la préfecture. Une telle procédure aurait légalisé l’arbitraire et permis d’échapper à tout contrôle opéré par le juge administratif ;
- les critères médicaux étaient considérablement durcis et circonscrits dans une définition restreinte de la santé où seule la mort à court terme était considérée comme impliquant un droit à un titre de séjour ;
- le fait qu’un traitement soit «disponible» au pays aurait suffi pour considérer qu’il était effectivement «accessible» à tous, faisant fi du coût et des modalités de distribution ;
- le droit au travail des personnes régularisées en raison de leur état de santé était supprimée, les amenant à vivre dans des conditions totalement incompatibles avec les pathologies et la prise en charge médicale qui justifient leur séjour en France ;
- le délai de résidence en France permettant d’obtenir une carte de séjour temporaire était fixé à un an. La conséquence aurait été de légaliser la délivrance des autorisations provisoires de séjour pour ceux qui ne remplissaient pas cette conditions ou qui n’étaient pas en mesure de le prouver. Or les autorisations provisoires de séjour, par leur durée et le fait qu’elles ne s’accompagnent pas du droit au travail, ne permettent pas l’intégration des étrangers dans la société française et pose des problèmes pour le bon suivi des soins médicaux et la survie au quotidien.
Indépendamment de la question des seuls malades étrangers, il convient de s’intéresser plus largement aux conséquences du projet sur la protection sociale et l’accès aux soins. Les nombreuses et substantielles modifications apportées au droit au séjour et au droit de vivre en famille par ce projet de texte laissent augurer d’importantes conséquences sanitaires. La multiplication des statuts et titres de séjour signifie une double insécurité administrative et sociale. Insécurité juridique par l'augmentation des pouvoirs discrétionnaires du préfet et le recul des catégories de «plein droit». Insécurité sociale par le caractère morcelé des droits adossés au statut administratif précaire. Le texte va même jusqu'à priver les étrangers sous titre de séjour précaire de droits acquis à des prestations sociales, les allocations chômage en particulier (par exemple, les «travailleurs temporaires» visés à l’article L 313-10-1° qui perdraient leur droit au séjour et au travail avec la rupture du contrat de travail ou les «travailleurs saisonniers» visés à l’article L 313-10 4°, voir infra).
Or l'exclusion juridique, administrative et sociale est un facteur majeur de vulnérabilité et de morbidité.
2° – Le regroupement familial
A – la procédure de droit commun: toujours plus de précarité
Fondement textuel: articles L 411-1, L 411-5, L 431-2 et L. 314-9 du CESEDA (art. 27, 30, 31 et 32 du projet)
Il est peu de dire que le regroupement familial est également dans le collimateur de ce gouvernement.
Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de reformer le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour s’attaquer à ce qu’il appelle «l’immigration subie». Font partie de cette «immigration subie» les entrées d’étrangers par le biais du regroupement familial et le droit d’asile. L’adoption de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 a été la première occasion de le faire. A la suite des événements en région parisienne, il a été relayé par le Président de la République qui a ainsi déclaré, lors de son allocution à la télévision du 14 novembre 2005: «les enfants, les adolescents ont besoin de valeurs, de repères. L’autorité parentale est capitale. Les familles doivent prendre toute leur responsabilité (…). Ce qui est en jeu c’est le respect de la loi mais aussi la politique d’intégration. Il faut être strict dans l’application des règles du regroupement familial. Il faut renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière et les trafics qu’elle génère…».
La loi de 2003, sous prétexte de mettre en conformité la législation interne au droit communautaire, a introduit d’importantes restrictions au regroupement familial: la suppression de l’accès direct à la carte de résident, de nouveaux critères d’appréciation des ressources, l’accroissement des prérogatives du maire, la remise en cause de l’autorisation de regroupement familial et la sanction du regroupement familial «de fait».
Cependant, toutes ces restrictions, qui ont conduit à diminuer fortement le nombre de regroupement familial dès 2004 (les chiffres de 2005 ne sont pas encore connus) [4], n’ont pas été considérées comme suffisantes et la surenchère continue.
Notons qu’alors que le ministre de l’Intérieur a choisi un temps de communiquer sur cette question principale du regroupement familial en laissant entendre que la procédure n’est pas encadrée par la loi, le gouvernement a en réalité fait marche arrière pour partie, notamment sur les conditions de ressources et de logement. Toutefois, les restrictions prévues dans le document du 18 décembre 2005 pourraient tout à fait faire leur réapparition lors de la discussion au Parlement, sans compter qu’elles peuvent transiter par des textes réglementaires, voire des circulaires.
En premier lieu, il est prévu d’allonger le délai pour déposer une demande de regroupement familial.
Les étrangers relevant du régime général devront avoir séjourné régulièrement en France, sous couvert d’un titre de séjour d’un an, depuis au moins dix huit mois (au lieu d’un an). Cette disposition s’explique par la volonté d’allonger le délai d’attente pour déposer une demande de regroupement familial. En pratique, les étrangers attendent bien plus longtemps, compte tenu des conditions de fond exigées, pour pouvoir enfin vivre avec leur famille.
Il ne paraît pas inutile, dans le contexte actuel, de faire état des conditions en vigueur, de celles envisagées un temps par le gouvernement et enfin de celles qui figurent dans le projet:
- pour ce qui concerne les conditions de ressources:
1° la loi actuellement en vigueur prévoit que les ressources du demandeur «doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel».
Le texte daté du 18 décembre proposait que le montant de ces ressources soit «au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel» lequel «est fixé en tenant compte du nombre de personnes composant la famille». Cela impliquerait donc l’adoption d’un décret fixant un barème des revenus minimum à démontrer selon le nombre de personnes composant la famille. Un seul avantage: le préfet ne pourrait plus ainsi faire un examen sur les «charges» du demandeur. Toutefois, un barème selon quelles règles ? sur quelles bases ? les règles pour l’octroi de l’aide juridictionnelle (149 € par personne à charge – barème AJ 2004) ? ou des prestations familiales ? il y a de forts risques que ce «barème» (si barème il y avait) apporte des restrictions supplémentaires au regroupement familial. En tout état de cause, le fait de moduler les ressources en fonction du nombre de personnes au foyer est plus que contestable. La personne, qui touche le SMIC ou les minima salariaux conventionnels, risque de ne jamais pouvoir faire venir sa famille. Le salaire n’a jamais été indexé sur le nombre de personnes appelées à en dépendre… Finalement, le projet écarte cette restriction et maintient le principe d’une appréciation globale des ressources, sans considération du nombre de membres de famille concernés, mais en maintenant l’exclusion, dans l’appréciation des ressources, d’un grand nombre d’allocations (v. infra).
En l’état actuel de la réglementation, on prend en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint, indépendamment des prestations familiales éventuellement perçues par le demandeur (ce qui est rare en pratique dans la mesure où les enfants ne sont pas présents et qu’en l’état actuel du code de la sécurité sociale, et en violation de la jurisprudence sur ce point de la Cour de cassation, seuls les enfants entrés dans le cadre du regroupement familial peuvent donner lieu à de telles prestations).
Le projet prévoit d’exclure de l’appréciation du montant et de la stabilité des ressources:
- le RMI (art. L 262-1 du Code de l’action sociale et de la famille)
- l’allocation solidarité aux personnes âgées (art. L 815-1 du code de la sécurité sociale) ;
- l’allocation adulte handicapé (art. L 821-1 du CSS). Dans le projet, il n’est plus question d’exclure l’AAH de la base de calcul ;
-l’allocation d’insertion (art. L 351-9 du code du travail) ;
-l’allocation solidarité spécifique (art. L 351-10 du code du travail) ;
- l’allocation équivalent retraite (art. L 351-10-1 du code du travail).
Au bout du compte, et en pratique, ce changement dans les ressources prises en compte dans le calcul ne va pas toucher beaucoup de monde. Il est presque impossible aujourd’hui qu’une personne (ou son conjoint) bénéficiant de ces allocations puisse prétendre au regroupement familial. En revanche, il ne fait que stigmatiser plus encore les populations en situation de précarité. Cet affichage n’est pas forcément sans arrière pensée pour le gouvernement: il est censé montrer dans le même temps que les étrangers sont une charge pour les finances publiques par le biais de ces prestations sociales non contributives.
- pour ce qui concerne les conditions de logement:
En l’état actuel de la réglementation, le logement du demandeur doit répondre à certaines normes de superficie, de confort et d’habitabilité. Autrement dit, concernant la superficie, la taille du logement exigé varie selon le nombre de membres de famille. Il suffit que quelques m² fassent défaut et c’est le refus assuré, sauf à s’engager dans un contentieux long et complexe.
1° le projet de réforme a tenté de revenir, avant d’y renoncer, sur la possibilité pour le demandeur de disposer d’un logement au moment de l’arrivée des membres de la famille et non au moment du dépôt de la demande. On sait – le gouvernement aussi - combien il est difficile en pratique d’obtenir un logement social lorsque la famille n’est pas encore sur place.
Dans le document du 18 décembre 2005, le texte parlait d’un logement «permettant l’insertion de la famille dans la société française au regard de sa localisation, de sa superficie, de son confort et de son habitabilité, du nombre et l’âge des enfants». Cela signifie-t-il qu’habiter dans certaines villes, ou dans une cité, exclura du droit au regroupement familial ? La notion de «localisation du logement» serait devenue un nouveau critère. Que doit-on comprendre par «logement permettant l’insertion de la famille dans la société française» ? Le confort, la superficie et l’habitabilité doivent être établis selon le nombre et l’âge des enfants. Ainsi, si la famille est composée de deux enfants de 2 et 10 ans, le logement doit-il comprendre forcément deux chambres ? On aurait ainsi écrit dans la loi, ce qui est aujourd’hui illégal et conforme à certaines pratiques. Le projet de loi n’a pas repris cette rédaction.
Le gouvernement a renoncé à modifier la condition relative au logement.
- La réforme entend en revanche fixer une nouvelle condition pour le regroupement familial: la condition d’intégration.
Elle viendrait s’ajouter à celles du séjour régulier, de logement et de ressources. Initialement, il s’agissait de la condition d’intégration républicaine du demandeur, appréciée, «au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance suffisante de la langue française dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État».
«L’engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française» est une notion extrêmement vague et se prêtant à des interprétations forcément diverses et divergentes. Qui aura compétence pour la vérifier ? Verra-t-on des enquêtes confiées aux policiers des Renseignements Généraux, comme pour les mariages, les naturalisations… Est-ce qu’au contraire il suffit de signer le contrat d’accueil et d’intégration sans autre vérification ? Cela ne semble pas le cas dans la mesure où le maire donne son avis sur la question (v. infra).
Dans le document de travail interministériel du 18 décembre, le respect des principes devait se mesurer dans «le comportement quotidien». Dans l’avant-projet, on parlait «du respect effectif de ses principes» Peu importe la rédaction, rien n’indique qu’on ne contrôlera pas par exemple le respect des obligations fiscales, du code de la route (le demandeur a ainsi intérêt à ne s’écarter d’aucune règle si minime soit-elle). Le recours aux différents fichiers pourrait tout à fait devenir la règle, tel le fichier STIC (Système de Traitement des Informations Constatées) où, rappelons-le, sont inscrites toutes les personnes qui ont eu «affaire» à la justice, même en qualité de témoin ou de victime !
La condition de «connaissance suffisante de la langue française» avait vocation à exclure tous les étrangers dont un policier ou un fonctionnaire considérera qu’il ne parle pas suffisamment bien le français. Cela revient à exclure une bonne partie des étrangers non francophones. De plus, que signifie cette notion de connaissance «suffisante» ?
Finalement, après le passage devant le Conseil d’État, le gouvernement a fait sauter la «condition d’intégration républicaine» (exigée en principe depuis la loi du 26 novembre 2006 pour obtenir une carte de résident) et l’a remplacée par le respect des principes qui régissent la République française: «le regroupement familial peut être refusé si le demandeur ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française». Cette condition n’est guère plus précise et suscite les mêmes interrogations: quels sont ces principes ? Comment l’autorité préfectorale va-t-elle le vérifier ? Quelle que soit la formule choisie, on voit bien la marge de manœuvre trop grande laissée aux autorités compétentes.
Enfin, la multiplication de ces critères subjectifs va obligatoirement entraîner des délais supplémentaires (bientôt deux ans pour un regroupement familial), et corrélativement une inflation inévitable de contentieux…
Il semblerait que le gouvernement ait renoncé à restreindre le nombre des bénéficiaires du regroupement familial (actuellement un conjoint et les enfants issus du couple). En particulier, il a été question d’exclure automatiquement le membre de la famille qui réside déjà sur le territoire français du droit au regroupement familial. Actuellement, ce membre de la famille peut «simplement» en être exclu (art. L 411-6 du CESEDA). Dans les faits, il l’est quasiment toujours.
Dans le projet, il était question d’étendre les pouvoirs du maire et poursuivre ce qui avait été entrepris par la loi du 26 novembre 2003 (v. les larges pouvoirs accordés au maire dans différentes matières concernant l’entrée et le séjour des étrangers en France, y compris en matière du regroupement familial). Le maire de la commune de résidence du demandeur donne déjà un avis sur les conditions de logement et de ressources. Dans le projet, il était invité à la demande de l’autorité administrative, à rendre un avis pour l’appréciation de la condition d’intégration. Plusieurs questions s’imposaient: sur quelles bases ? Le maire se livrerait-il lui aussi une enquête afin de s’assurer que la condition éminemment subjective d’«intégration» est satisfaite, en plus de celle relative aux ressources et au logement ? Cet avis serait-il consultatif ? quel serait le délai pour rendre cet avis ? Autant de questions qui étaient promptes à laisser une large marge au pouvoir discrétionnaire d’appréciation des autorités intervenant dans la procédure.
Le projet paraît avoir renoncé à faire intervenir le maire pour évaluer si le demandeur se conforme aux principes qui régissent la République. Mais tout laisse à penser que son intervention devrait faire sa réapparition au cours des travaux parlementaires.
- Non renouvellement et retrait du titre de séjour
Selon la loi en vigueur, s’il y a rupture de la vie commune entre les époux après la délivrance du titre de séjour, celui-ci pourra ne pas être renouvelé ou, le cas échéant, retiré. Le projet porte à trois ans (actuellement deux ans) ce délai pour refuser le renouvellement du titre ou le retirer. La personne entrée par regroupement familial se trouverait encore plus dans une situation de dépendance à l’égard de son conjoint puisque de la stabilité du couple dépend son droit à séjourner en France. Il est à noter que 80 % des conjoints rejoignants sont des femmes dont les droits sont très loin d’être protégés à égalité avec ceux de leurs conjoints dans nombre de législations des pays d’origine régissant la célébration du mariage ou le statut personnel.
- Accès à la carte de résident
Depuis la loi du 26 novembre 2003, les membres de famille entrant dans le cadre du regroupement familial ne reçoivent plus le même titre que celui ou celle qui les a fait venir. Autrement dit, ils n’obtiennent plus de plein droit une carte de résident, comme cela a toujours été le cas. Ils peuvent demander, dans l’état actuel du droit, une carte de résident au bout de deux ans. Conformément à le projet actuel, ils devront attendre trois ans.
L’ensemble de ces conditions place les membres de famille sous surveillance et sous pression, faisant fi des aléas de la vie de couple. Les conjoints venus dans le cadre du regroupement familial n’acquièrent aucun droit au séjour autonome, si ce n’est au bout d’un délai de plus en plus long.
B – L’unité de famille des réfugiés
Fondement textuel: article L 314-11 du CESEDA (art. 28 du projet)
Le rapprochement familial des réfugiés demeure à l’écart des conditions fixées pour le regroupement familial, à savoir les conditions de logement, de ressources et d’intégration républicaine. Il constitue l’une des dernières catégories pouvant obtenir de plein droit une carte de résident. La circulaire DLPAJ/DPM du 17 janvier 2006 précise toutefois que le regroupement familial est applicable pour les unions postérieures à l’obtention du statut de réfugié.
Dans la version précédente du projet, il était fait référence à un décret réglementant la procédure de rapprochement familial, procédure qui existe aujourd’hui et qui se révèle opaque et interminable (plusieurs années d’attente).
Concernant les bénéficiaires, on relèvera une petite avancée: extension aux ascendants du 1er degré d’un réfugié mineur. On ne la doit pas à une «largesse» du gouvernement, mais à la directive communautaire 2004/83/CE dite de qualification que l’État français avait l’obligation de transposer.
Enfin, il est à noter que les réfugiés sont soumis aux mêmes règles sur le mariage des Français à l’étranger, qui sont considérablement durcies par le projet de loi Clément.
* * *
En résumé, le gouvernement ne supporte pas que des membres de famille ou encore des conjoints de Français aient le droit de venir en France avec le droit automatique au travail, alors qu’ils ne sont pas désirés et qu’ils peuvent constituer une charge pour l’État. Aussi il s’agit de rendre encore plus difficile – car c’est loin aujourd’hui d’être une partie de plaisir – l’accès au séjour et pire encore l’accès à la carte de résident. Sous prétexte de faire montrer d’intérêt pour leurs conditions d’accueil, on généralise la condition d’intégration républicaine. La mise en place du contrat d’accueil et d’intégration se serait pas forcément en soi contestable (au-delà de l’emploi du terme même d’«intégration» dont il y aurait beaucoup à dire), si elle n’y subordonnait pas le droit au séjour. C’est en réalité une mesure de police, et c’est en cela que le contrat est critiquable. Enfin, le mouvement législatif entrepris il y a plusieurs années et consistant à réduire les catégories d’étrangers pouvant obtenir de plein droit la carte de 10 ans se poursuit avec ce projet. Outre les membres de famille et les parents d’enfants français en 2003, il s’agit maintenant d’exclure du droit à bénéficier de ce titre stable, les conjoints (v. supra) et ceux qui peuvent justifier de 10 ans de situation régulière (sauf si pendant toute cette période, ils ont été en possession d’une carte de séjour mention «étudiant»). Le projet construit ainsi des précarités perpétuelles.
Par ailleurs, certaines catégories qui peuvent toujours obtenir de «plein droit» une carte de résident (ascendants et enfants à charge de ressortissants français) se voient soumis, avec ce projet de loi, à la production d’un visa long séjour. Ils auront, comme les conjoints de Français, toutes les peines du monde à l’obtenir, et ce d’autant plus qu’il s’agit de leur délivrer une carte de 10 ans (art. L 314-11 2°du CESEDA ; art. 28 du projet).
3° - L’UE et la circulation des personnes (ressortissants communautaires et résidents dits de longue durée)
Le projet de loi entend transposer deux directives européennes en droit français, ce qui constitue une obligation pour les États membres. La première concerne les ressortissants communautaires (et la famille de ces ressortissants) ; la seconde vise à conférer un statut dit «de résidents de longue durée» aux ressortissants issus de pays tiers. Ce statut est loin de consacrer la liberté de circulation à l’intérieur de l’Union.
A - Les ressortissants des États membres de l’Union européenne, des autres États parties à l’Espace économique européen et de la Suisse ainsi que les membres de leurs familles
Fondement textuel: articles L 121-1, L 121-2, L 121-3, L 121-4 et L 121-5 du CESEDA (art. 16 du projet de loi)
Le projet de loi «relatif à l’immigration et à l’intégration» intègre dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de nouvelles dispositions relatives aux ressortissants de l’Union, des autres États membres de l’Espace économique européen et de la Suisse, ainsi qu’aux membres de leurs familles.
- D’abord, lors de l’adoption de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 «relative à la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers en France et à la nationalité». Cette loi a modifié l’ancien article 9-1 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (devenu depuis l’article L 121-1 du CESEDA) en supprimant l’obligation de la détention d’un titre de séjour pour ces ressortissants. En revanche, les membres de famille ayant la nationalité d’un pays tiers y restent soumis. Attention: demeurent soumis à la détention d’un titre de séjour les ressortissants de pays venant entrer dans l’Union européenne, durant le temps de validité des mesures transitoires (sauf si le Traité d’adhésion en dispose autrement), dès lors qu’ils souhaitent exercer une activité économique. En pratique, cela vaut en France pour tous les ressortissants des États que sont la Pologne, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque (ne sont pas concernés par les dispositions transitoires les Maltais et les Chypriotes). La France a décidé, à l’issue d’une première période de deux ans qui vient de s’achever, de ne pas encore accorder le libre accès au marché de l’emploi à ces ressortissants. On peut penser toutefois qu’en pratique ils bénéficieront de façon privilégiée de la réouverture à l’immigration de travail dans les conditions prévues par le projet de loi (v. infra).
- Ensuite, lors de l’adoption du décret n° 2005-1332 du 24 octobre 2005 modifiant le décret n° 94211 du 11 mars 1994 «réglementant les conditions d’entrée et de séjour en France des ressortissants des États membres de la Communauté européenne bénéficiaires de la libre circulation des personnes». Ce décret réitère la suppression de l’obligation d’un titre de séjour et les conditions de délivrance si le citoyen de l’Union en fait la demande. Il prévoit également le droit au séjour permanent mais seulement à l’égard de ressortissants communautaires exerçant une activité économique (salariée ou indépendante).
Le projet de loi en cours vient donc introduire dans le droit français d’autres dispositions de la directive de 2004. Qu’elles sont-elles ?
En premier lieu, le projet prévoit de soumettre ces ressortissants à une obligation de d’enregistrement. Le gouvernement paraît avoir hésité sur le terme à employer pour mettre en place un contrôle applicable aux ressortissants de l’Union européenne. Dans la précédente version, il était question de les soumettre à une obligation de déclaration auprès de l’autorité administrative compétente.
L’article 16 du projet modifiant l’article L 121-2 du code prévoit l’obligation, pour les ressortissants communautaires, qui souhaitent établir leur résidence en France, de se faire «enregistrer auprès de l’autorité administrative dans les trois mois suivant leur arrivée». Il faudrait savoir quelle sera cette autorité: le maire de la commune de résidence ? le préfet ? Il s’agit ensuite d’une déclaration à faire dans les trois mois suivant l’arrivée en France. Ce qui exclut que cette déclaration doive être faite à chaque changement de résidence.
Par ailleurs, le projet de loi ne prévoit aucune sanction en cas de non enregistrement dans le délai imparti ou de non-respect de cette formalité ? Cette question sera-t-elle abordée par le décret d’application ? En tout état de cause, la directive de 2004 précise que le «non respect de cette obligation [de déclaration] peut être passible de sanctions non discriminatoires et proportionnées» (article 5, §5).
En deuxième lieu, le projet précise, pour la première fois dans la loi, les différentes «catégories» de ressortissants de l’Union européenne ayant droit au séjour. Cela n’était prévu que dans le décret n° 94-211 du 11 mars 1994 modifié. Lesdites catégories sont:
- ceux exerçant une activité professionnelle en France (salariée ou indépendante) ;
- les étudiants (sous condition de suivre des études ou une formation professionnelle et de disposer des ressources suffisantes et d’une assurance maladie) ;
- les autres personnes dites «inactives»: pensionnés, retraités et autres (également sous conditions de ressources et d’une assurance maladie).
De même, y sont définis les «membres de famille»
- conjoint, descendants directs âgés de moins de 21 ans ou à charge, ascendants directs à charge du ressortissant communautaire et descendants ou ascendants directs à charge du conjoint.
- le conjoint et les enfants à charge d’un ressortissant communautaire séjournant en France en qualité d’étudiant.
Toutefois, le projet de loi reste silencieux sur une autre catégorie de «membre de famille» prévue par la directive du 29 avril 2004. Il s’agit du «partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil» [article 2, §2) a)].
Or, depuis la loi du 15 novembre 1999 «relative au Pacte civil de solidarité», la législation française prévoit la possibilité de contracter des partenariats enregistrés. Ainsi, l’étranger non communautaire, «pacsé» avec un citoyen de l’Union devrait avoir un droit au séjour comme membre de famille de ce dernier et bénéficier par conséquent du droit communautaire. La même solution devrait être applicable à ceux qui auraient passé des contrats équivalents au PACS français dans un autre pays de l’Union et fait «dans le respect des conditions prévues» par la législation française.
En omettant de prévoir cette catégorie dans le projet de loi, la France ne procède donc pas à la transposition complète de la directive et pourrait de ce fait être sanctionnée (le délai de transposition expirant le 30 avril 2006) ; comme cela a été le cas auparavant, elle se montre plus incline à «choisir» les dispositions européennes qui lui semblent les plus en accord avec sa politique nationale d’immigration restrictive et utilitariste.
Le projet de loi prévoit également le droit de séjour permanent tant à l’égard des citoyens de l’Union (quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent) que des membres de famille.
Pour cela, il faut avoir séjourné légalement sur le territoire français pendant une période ininterrompue de cinq ans ayant immédiatement précédé sa demande. Les membres de famille bénéficient également de ce droit de séjour permanent, quelle que soit leur nationalité, sous les mêmes conditions de séjour régulier et ininterrompu avec le citoyen de l’Union. Ce droit pourra se perdre en cas d’absence du territoire français pendant une période de plus de deux années consécutives. En tout état de cause, le projet de loi ne semble pas conforme à la directive du 29 avril 2004 dans la mesure où il ne prévoit pas les autres catégories, en particulier les travailleurs communautaires ayant cessé leur activité, pouvant prétendre à un droit au séjour permanent sans avoir besoin de justifier de 5 ans de résidence. Il faudra toutefois attendre le décret d’application pour en être certain.
Concernant l’éloignement, le projet (modifiant l’article L 511-1 du code) dispose qu’un ressortissant de l’Union, d’un autre État partie à l’EEE ou de la Suisse peut faire l’objet d’une décision d’obligation de quitter le territoire français si l’autorité administrative constate, «par décision motivée» qu’il ne justifie plus du maintien de son droit au séjour tel que prévu par l’article L 121-2. Dans ce cas, il a un délai d’un mois pour quitter volontairement le territoire français au bout duquel, s’il n’est pas parti, la décision peut être exécutée d’office par l’administration.
Or, cette disposition est contraire à la législation communautaire. D’abord, à quel moment l’autorité administrative pourrait-elle constater si le ressortissant communautaire réunit les conditions ou non de séjour ? Ce ne pourrait être que lorsque ce ressortissant fait une demande de titre de séjour alors qu’il n’est pas soumis à cette obligation. Ensuite, la directive précise bien les motifs pour l’éloignement d’un ressortissant d’un État membre: seulement pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Enfin, l’article 14, 3° de la directive 2004/38/CE prévoit que «le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement». Une obligation de quitter le territoire, pouvant de surcroît être exécutée d’office nous semble aller à l’encontre des dispositions précitées.
B - Les ressortissants des pays tiers «de longue durée»: un faux statut ?
Fondement textuel: articles L 313-4-1 nouveau, L 313-11-1 nouveau, L 313-12, L 314-7 et L 314-8 du CESEDA (art. 17, 18, 19, 20, 21 et 22 du projet)
Lors de l’adoption du Traité d’Amsterdam en 1997, l’asile et l’immigration deviennent une compétence européenne. Ainsi, un nouveau titre IV est prévu dans le Traité instituant la Communauté européenne (TCE) relatif aux «visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes».
Dans ce titre, l’article 63, 3) précise que le Conseil peut arrêter des mesures portant sur la politique d’immigration relatives aux conditions d’entrée et de séjour et aux procédures de délivrance des visas et des titres de séjour de longue durée. Le 4) du même article dispose que le Conseil peut aussi arrêter «des mesures définissant les droits des ressortissants des pays tiers, en situation régulière de séjour dans un État membre de séjourner dans les autres États membres et les conditions dans lesquelles ils peuvent le faire».
Le Conseil européen extraordinaire de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999, au cours duquel le programme de travail a été adopté dans ces domaines dit «programme de Tampere» affirmait: «4. Notre objectif est une Union européenne ouverte et sûre, pleinement attachée au respect des obligations de la Convention de Genève sur les réfugiés et des autres instruments pertinents en matière de droits de l'homme, et capable de répondre aux besoins humanitaires sur la base de la solidarité. Il convient également de mettre en place une approche commune pour assurer l'intégration dans nos sociétés des ressortissants de pays tiers qui résident légalement dans l'Union».
Il y est dit également: «21.Le statut juridique des ressortissants de pays tiers devrait être rapproché de celui des ressortissants des États membres. Une personne résidant légalement dans un État membre pendant une période à déterminer et titulaire d'un permis de séjour de longue durée devrait se voir octroyer dans cet État membre un ensemble de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont jouissent les citoyens de l'Union européenne, par exemple le droit de résider, d'étudier, de travailler à titre de salarié ou d'indépendant, ainsi que l'application du principe de non-discrimination par rapport aux citoyens de l'État de résidence. Le Conseil européen fait sien l'objectif d'offrir aux ressortissants de pays tiers résidant légalement depuis longtemps dans l'Union la possibilité d'obtenir la nationalité de l'État membre dans lequel ils résident».
C’est dans ce cadre qu’a été adoptée la directive 2003/109/CE du Conseil «relative au statut des ressortissants de pays tiers de longue durée» [6]. Après avoir affirmé que «l’intégration des ressortissants des pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale», le considérant 12 de ce texte précise: «Afin de constituer un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le résident de longue durée s’est établi, le résident de longue durée devrait jouir de l’égalité de traitement avec les citoyens de l’État membre dans un large éventail des domaines économiques et sociaux, selon les conditions pertinentes définies par la présente directive». Toutefois, ces objectifs ne sont pas vraiment atteints car on est assez loin de reconnaître une égalité de traitement aux ressortissants de pays tiers de longue durée avec les citoyens de l’Union.
Il s’agit par là d’achever la transposition de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 [5], laquelle avait déjà été partiellement réalisée à deux occasions:
Cette directive comporte deux parties: la première, consacrée aux conditions d’octroi et de retrait du statut de ressortissant de longue durée dans un premier État membre d’accueil ; la deuxième sur les conditions de séjour, dans un deuxième État membre, de ce ressortissant ayant déjà le statut de longue durée dans un premier État membre et l’octroi de cette qualité dans ce second pays de résidence.
Le projet de loi crée un nouveau chapitre V du CESEDA intitulé «dispositions relatives aux étrangers bénéficiant du statut de résident de longue durée au sein de l’Union européenne».
Le projet, modifiant l’article L 314-8 du CESEDA, dispose que peuvent bénéficier de la carte de résident mention «résident de longue durée – CE» les personnes ayant résidé pendant au moins cinq années de manière régulière et ininterrompue, sous couvert d’une des cartes de séjour suivantes:
- carte de séjour temporaire mention «visiteur» (art. L 313-6)
- carte de séjour temporaire mention «scientifique» (art. L 313-8)
- carte de séjour temporaire mention «profession artistique et culturelle» (art. L 313-9)
- carte de séjour temporaire mention «salarié» ou «travailleur temporaire» (art. L 313-10, 1°)
- les étrangers qui viennent exercer une profession non soumise à l’autorisation du travail et qui justifient pouvoir subvenir à leurs besoins. La carte porte la mention de l’activité que le titulaire entend exercer (art. L 313-10, 2°)
- carte de séjour «commerçant» (art. L 313-10,3°)
- carte de séjour temporaire mention «vie privée et familiale» (arts. L 313-11 et L 313-11-1: conjoint et enfants d’un ressortissant ayant déjà le statut de longue durée dans un premier État membre)
- aux personnes qui sont déjà titulaires de la carte de résident: les membres de famille d’un étranger venus par le biais du regroupement familial ; les parents d’enfants français, le conjoint de français (art. L 314-9). Également, les titulaires de la carte de résident «de plein droit» prévus à l’article L 314-11:
- enfant de français ou ascendant de Français ou de son conjoint à charge ;
- titulaire d’une rente d’accident de travail ou de maladie professionnelle ;
- étranger ayant servi dans une unité combattante de l’armée française ;
- étranger ayant effectivement combattu dans les rangs des forces françaises de l’intérieur ;
- étranger ayant servi dans une unité combattante d’une armée alliée ;
- étranger ayant servi dans la Légion étrangère
- l’apatride
- les titulaires de la carte de séjour «Compétences et talents» (art. L 317-1)
En sont exclus les étudiants, les saisonniers, les bénéficiaires de la protection temporaire et subsidiaire, les demandeurs d’asile ou les réfugiés. Cela correspond aux dispositions de la directive, à une exception près: celle-ci prévoit quand même la possibilité de prendre en compte la moitié du séjour d’un étranger non communautaire en qualité d’étudiant pour la comptabilité des cinq années de séjour exigées. Cette possibilité n’est pas du tout abordée par le projet de loi.
Il est ainsi créé un titre de séjour portant la nouvelle mention «carte de résident de ressortissant de longue durée – CE» en application de la directive de 2003. Aucune disposition ne vient lui donner une durée de validité différente de celle de la carte de résident française. On peut en déduire qu’elle aura une durée de validité de 10 ans. Dans ce cas, la réglementation française serait sur ce point plus favorable que la directive, laquelle prévoit que celle-ci doit être d’une durée de cinq années, renouvelable de plein droit. Encore faut-il évidemment pouvoir accéder au statut.
Quels sont les critères de délivrance ?
Selon l’article 22 du projet de loi, modifiant l’art. L 314-8, les critères de délivrance sont:
- les faits que le demandeur peut invoquer à l’appui de son intention de s’établir durablement en France ;
- les conditions de son activité professionnelle, s’il en a une ;
- les moyens d’existence: les ressources doivent être stables et suffisantes pour subvenir aux besoins. Elles doivent atteindre un montant au moins égal au SMIC. Sont prises en compte toutes les ressources sauf: les allocations familiales et les allocations suivantes: le RMI, l’allocation solidarité aux personnes âgées, l’allocation adulte handicapé, l’allocation d’insertion, l’allocation solidarité spécifique et l’allocation équivalent retraite.
Certes la directive de 2003 prévoit la possibilité d’exiger des ressources stables et suffisantes, mais rien n’y est dit quant aux faits que le demandeur peut invoquer pour démontrer «son intention de s’établir durablement en France» ni sur «les conditions de son activité professionnelle». Ces deux dernières étaient déjà prévues dans la législation française pour l’obtention d’une carte de résident mais vont au-delà de ce que la directive exige pour accorder le statut de résident de longue durée – CE.
La deuxième partie du texte communautaire, à savoir la possibilité, pour un ressortissant de pays tiers titulaire du statut de longue durée dans un premier État membre, de venir s’installer sur un deuxième État membre est abordée de la manière suivante par le projet de loi:
Le projet insère à cet effet un nouvel article L 313-4-1 selon lequel l’étranger non communautaire qui a déjà acquis le statut de longue durée dans un autre État membre, et à condition de justifier des ressources stables et suffisantes et d’une assurance maladie, peut venir en France et obtenir une des cartes de séjour suivantes: - une carte de séjour temporaire mention «visiteur» selon les conditions de l’article L 313-6 ;
- une carte de séjour temporaire mention «étudiant» selon les conditions de l’article L 313-7 ;
- une carte de séjour temporaire mention «scientifique» selon les conditions de l’article L 313-8 ;
- une carte de séjour temporaire mention «profession artistique et culturelle» selon les conditions de l’article L 313-9 ;
- une carte de séjour «salarié», «travailleur temporaire», «commerçant» ou selon l’activité que l’intéressé veut y exercer et qui n’est soumise à autorisation dans les conditions décrites ci- dessous dans la section II.1° «Des étrangers réduits à leur force de travail».
Ces ressources «stables et suffisantes» doivent atteindre au moins le SMIC et tiennent compte de toutes les ressources sauf les allocations familiales, le RMI, l’allocation solidarité aux personnes âgées, l’allocation adulte handicapé, l’allocation d’insertion, l’allocation solidarité spécifique et l’allocation équivalent retraite. Pour la délivrance d’un des titres ci-dessus énumérés, on ne peut pas exiger la condition de visa de long séjour.
Ce nouvel article, en conformité avec la directive de 2003, démontre que le souhait du Conseil de Tampere de rapprocher le statut des ressortissants de pays tiers de celui de citoyens de l’Union et de leur octroyer «des droits uniformes aussi proches que possible» reste un vœu pieux. Ces ressortissants seront soumis aux mêmes conditions que les autres étrangers non communautaires à l’exception du visa de long séjour. Ils seront soumis également, comme le prévoit la directive, à l’exigence de l’autorisation de travail et la situation de l’emploi leur sera opposable. Toutefois, la France, dans son optique nettement utilitariste, pourrait décider de ne pas opposer la situation de l’emploi aux personnes concernées, ce qui présenterait deux «avantages»: le premier, la mobilité ; le deuxième, si rupture de contrat de travail il y a, il n’y aurait pas de renouvellement du titre. Ainsi, l’éloignement se ferait vers l’État membre où l’intéressé a le statut de longue durée, à moindre coût. Cette faculté est à apprécier à la lumière de la philosophie qui sous-tend la directive du 25 novembre 2003, à savoir reconnaître des droits «aussi proches que possible» des citoyens de l’Union mais seulement dans la mesure où cela sert l’intérêt des États membres.
Le projet prévoit aussi la possibilité, pour le conjoint et les enfants de ce ressortissant de pays tiers titulaire du statut de longue durée dans un premier État membre et titulaire également d’une carte de séjour en France, d’obtenir la délivrance d’une carte de séjour temporaire mention «vie privée et familiale» à la condition d’avoir résidé dans le premier État membre de manière légale avec le ressortissant de longue durée. La délivrance de cette carte est aussi conditionnée à l’existence de ressources stables et suffisantes et d’une assurance maladie (nouvel article L 313-11-1).
Seront prises en compte toutes les ressources du demandeur, de son conjoint ou parent, sauf les prestations familiales, le RMI, l’allocation solidarité aux personnes âgées, l’allocation adulte handicapé, l’allocation d’insertion, l’allocation solidarité spécifique et l’allocation équivalent retraite. De même, il y est dit qu’elles doivent atteindre un montant au moins égal au SMIC «et sont appréciées au regard des conditions de logement». Or, la directive ne prévoit que la condition de ressources stables et régulières sans mentionner la question liée au logement. Tout au plus, l’article 15, 4° de la directive de 2003 prévoit-il que la demande de titre de séjour doit être accompagnée par les pièces justificatives selon les conditions exigées qui «peuvent aussi comprendre des documents relatifs à un logement approprié».
Selon le projet, insérant un premier alinéa à l’article L.313-12, la carte vie privée et familiale délivrée aux membres de famille du ressortissant de pays tiers ayant le statut de longue durée dans un premier État membre «ne donne pas droit à l’exercice d’une activité professionnelle dans l’année qui suit sa première délivrance», possibilité prévue par l’article 21, 3° de la directive du 25 novembre 2003 et par l’article 14 de la directive du 22 septembre 2003 «relative au droit au regroupement familial»[7]. On peut néanmoins se demander si cette privation du droit de travailler est bien conforme au droit à mener une vie familiale normale, pourvu d’une valeur constitutionnelle. C’est précisément en condamnant un décret de 1977 qui privait les membres de famille du droit de travailler que le Conseil d’État, par un arrêt célèbre du 8 décembre 1978, avait reconnu à toute personne, quelle que soit sa nationalité, le droit à mener une vie familiale normale.
Enfin, l’article 22 du projet de loi modifie l’article L 314-7 du CESEDA ainsi: la carte de résident «longue durée - CE» accordée par la France est périmée lorsque son titulaire a acquis ce même statut dans un autre État membre ou lorsqu’il aura résidé en dehors du territoire national pendant une période de six ans consécutifs. Cette même carte est également périmée si l’étranger a résidé en dehors du territoire de l’Union pendant une période de plus de trois années consécutives.
Concernant l’éloignement, le projet énonce que peut être remis aux autorités de l’État membre qui a délivré le statut de longue durée, l’étranger non communautaire, titulaire d’un titre de séjour de longue durée – CE en cours de validité délivré par un autre État membre et qui fait l’objet d’une décision d’éloignement.
Aucune protection n’a été prévue contre une mesure d’éloignement des étrangers qui acquièrent le statut de longue durée – CE en France. L’article 12 de la directive du 25 novembre 2003 précise pourtant que «Les États membres ne peuvent prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique». Cette décision ne peut être en aucun cas justifiée par des motifs économiques ; dans toute éventuelle décision d’éloignement, il faut prendre en compte la durée de résidence sur le territoire, l’âge de la personne concernée, la gravité et la nature de l’infraction contre l’ordre public ou la sécurité publique. Ce sont donc des critères proches de ceux dégagés par la jurisprudence et dont le législateur français ne saurait faire abstraction.
II – Pour le compte d’une «immigration choisie»:
la sélection des «bons éléments»
Dans le but de promouvoir une immigration choisie, le projet de loi comprend de nouveaux instruments juridiques. L’aspect «immigration choisie» comprend trois volets:
- une reprise de l’immigration de travail sur la base de «difficultés de recrutement» constatées dans cerains secteurs d’activité ou pour certaines professions ;
- la création d’un titre au nom révélateur «compétences et talents» ;
- une meilleure sélection des étudiants désireux de poursuivre des études en France.
1° Des étrangers réduits à leur force de travail
Fondement textuel: article L 313-10 du CESEDA (art. 10 du projet)
Depuis 1974, les frontières sont en principe fermées à toute immigration de main d’œuvre. La reprise d’une immigration légale de travail constitue donc une rupture avec la politique menée depuis trente ans. Le gouvernement a abandonné l’idée de fixer des quotas d’immigration, invoquant curieusement «l’inconstitutionnalité d’un tel dispositif». A la place, il devrait, si l’on s’en tient à l’exposé des motifs, présenter chaque année au Parlement «des objectifs quantitatifs pluriannuels» dans son rapport sur les orientations de la politique d’immigration. Il va sans dire qu’une telle logique conduirait à occulter les raisons fondamentales attachées à la personne humaine qui devraient guider la délivrance de titre de séjour en leur substituant des considérations comptables, d’une grande hypocrisie de surcroît.
Quoi qu’il en soit, il reste qu’on peut s’interroger sur les outils permettant de définir de tels objectifs. Il est indiqué, toujours dans l’exposé des motifs, que le gouvernement prendra en compte la situation démographique de la France, ses perspectives de croissance, les besoins du marché de l’emploi et les capacités d’accueil de notre pays au regard des conditions du bon fonctionnement des services publics et des dispositifs sociaux…
Au titre des remarques liminaires, le projet de loi consacre l’existence de «travailleurs jetables» pour lesquels la fin de l'emploi sonne en réalité la fin du droit de séjourner. Certes, le gouvernement a «relooké» les dispositions ayant trait à la reprise de l’immigration légale de travail de façon à ce que le caractère «jetable» de cette immigration soit moins visible. Il n’en demeure pas moins que la précarité du séjour des étrangers concernés constitue le trait dominant du dispositif. Il convient, toujours au titre de remarques d’ordre général, d’indiquer que le dispositif mis en place aura pour effet de produire de la clandestinité.
Si la philosophie générale du projet est malheureusement aisément compréhensible (gradation de statuts et modulation de droits selon le statut considéré), le dispositif soulève de nombreuses interrogations appelées à être levées par de nouveaux décrets. Il faudra à cet égard conserver toute sa vigilance.
En premier lieu, la réforme envisagée intègre dans le CESEDA des dispositions figurant jusqu'alors dans le seul Code du travail. A côté du fantaisiste titre «compétences et talents» (art. L 317-1 v. infra), elle rassemble les statuts éclatés sous un seul et même article (art. L 313-10). Toutefois, l’article L 313-10 presque entièrement réécrit devra se combiner avec le dispositif sur la main d’œuvre étrangère qui reste prévu par le Code du travail, ce qui n’est pas sans soulever certaines incertitudes. De plus, sa portée doit être appréciée à l’aune des réformes récentes («contrat nouvelles embauches», «contrat première embauche» [8]) ou en cours du Code du travail, porteuses de précarisation accrue du statut du salarié, même sous contrat à durée indéterminée.
La nouvelle disposition distingue, au titre du travail, cinq situations renvoyant elles-mêmes a priori à cinq mentions à reporter sur la carte de séjour temporaire. La seule véritablement nouvelle (intitulée d’abord, «détaché interne», puis «salarié en mission») a finalement été écartée et ne figure plus dans le projet de loi. Les deux premières mentions – «salarié» et «travailleurs temporaires» sont présentées ensemble dans le projet. Pour autant, elles méritent d’être distinguées.
Dans tous les cas, l’étranger qui sollicite la délivrance d’une CST doit être porteur d’un visa long séjour (v. L 313-2). Cela implique un examen du dossier par les consulats. L’étranger devra alors produire un contrat de travail visé par l’administration compétente. De fait pourraient bénéficier d’un accès privilégié à l’emploi les ressortissants des États entrés dans l’Union européenne en 2004, ne serait-ce parce qu’ils ne sont pas soumis à visa.
A – la carte de séjour temporaire mention «salarié»
Selon le projet, «La carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle est délivrée: 1° A l’étranger titulaire d’un contrat de travail visé conformément à l’article L 341-2 du Code du travail, pour une durée de validité d’un an renouvelable». Cette carte ne constitue en aucune façon une nouveauté. Elle est toujours délivrée pour un an, et elle est a priori dans son principe renouvelable.
Dans le document de travail du 18 décembre 2005, il était prévu d’accroître la durée de validité de la CST et de la porter à 18 mois dès sa première délivrance. Cet allongement envisagée de la durée de validité aurait pu s’expliquer par les pratiques administratives et la lenteur de l'instruction voulant que lorsque la CST est délivrée, il ne lui reste plus que six mois de validité. Reste qu’une telle durée – 18 mois – interrogeait directement la réglementation sur les CDD (durée maximale: 18 mois sauf exception).
Actuellement, il faut en principe pouvoir justifier d’un contrat de travail d’une durée d’au moins un an (ou promesse d’embauche) pour faire la demande. Le gouvernement a longuement hésité sur la formule à mettre en place. Le projet, présenté le 9 février 2006 devant le comité interministériel de contrôle de l’immigration, semblait choisir la voie du statu quo sur ce point: soit l’étranger est à même de se prévaloir d’un CDD d’une durée au moins équivalente à un an, soit d’un CDI. En pratique, les CDD d’un an sont rares (du moins dans le secteur privé). Les employeurs pourraient avoir largement recours, quand ils le peuvent, aux nouveaux contrats (CNE et CPE), permettant d’écarter toutes les dispositions protectrices sur le licenciement pendant un délai de deux ans. Dans le projet de loi, pour obtenir la carte mention «salarié», il faudra produire un contrat à durée indéterminée (du moins si l’emploi est répertorié sur la liste établie par l’autorité administrative. v. infra).
En principe, la mention «salarié» donne le droit d’exercer n’importe quelle profession sur le territoire métropolitain, même si des limitations géographiques et professionnelles peuvent être apportées au dos de la carte. La délivrance de ce titre reste dans son principe subordonnée à l’article R 341-4 du Code du travail prévoyant la possibilité d’opposer la situation de l’emploi à toute demande d’autorisation de travail.
Toutefois, cette condition sera écartée en fonction des besoins de main d’œuvre. Selon l’article L 313-10, «pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, cette carte est délivrée sans que lui soit opposable, en application de l’article L 341-2 du Code du travail, la situation de l’emploi».
Partant de là deux situations:
- ou le contrat de travail soumis aux autorités compétentes (préfecture et direction départementale du travail et de l’emploi) pour visa renvoie à un métier et une zone géographique figurant sur la liste en question, et la procédure s’enclenche facilement en vue de l’obtention du visa d’entrée. Cela peut aussi concerner des personnes déjà en France et demandant à changer de statut. Au dos de la carte, on imagine que seront mentionnées des limitations professionnelles et géographiques afférentes ;
- ou le contrat de travail concerne une profession et/ou une zone géographique absente de ladite liste, et la situation de l’emploi sera opposée dans toute sa vigueur. Dans le cas où par miracle, l’autorisation de travail serait donnée, elle peut comprendre des limitations professionnelles ou géographiques («L’autorisation mentionnée à l’article L 341-2 (du Code du travail) peut être limitée à certaines activités professionnelles et zones géographiques»).
En tout état de cause, et quel que soit le motif ayant justifié la délivrance du titre, l’autorisation de travail accordée ne peut conférer de droits qu’en France métropolitaine…
Plusieurs remarques s’imposent:
- on ne sait pas par qui et comment seront définis les métiers et les zones géographiques. Le projet dit qu’ils figureront sur une liste établie par l’autorité administrative. Laquelle ? Quelle sera la valeur de cette liste ? Elle devrait prendre la forme d’un arrêté ministériel ;
- quels sont les contours de la zone géographique ?
- selon quelle périodicité sera révisée la liste ? C’est un élément important dont va dépendre la pérennité du séjour.
Par ailleurs, les deux hypothèses évoquées ci-dessus renvoient elles mêmes à deux statuts différents:
- si la carte «salarié» a été donnée sur la base des difficultés de recrutement consignées dans la liste, la carte a toutes les chances d’être retirée en cas de rupture du contrat de travail (v. le développement ci-dessous sur la consécration légale du «travailleur jetable»). Les employeurs n’hésiteront pas à signaler aux autorités préfectorales cette rupture peu coûteuse en pratique. Certes, comme il a été indiqué ci-dessus, le gouvernement a quelque peu revu sa copie en retirant de son texte la disposition selon laquelle «Dans le cas prévu à l’alinéa précédent (hypothèse où la situation de l’emploi n’est pas opposable), la carte est retirée en cas de rupture du contrat de travail». Disposition trop voyante dans le contexte de mobilisation contre le CPE. Il n’en demeure pas moins que le mécanisme du retrait de titre est prévu ailleurs: «la carte de séjour temporaire et la carte de séjour "compétences et talents" sont retirées si leur titulaire cesse de remplir l’une des conditions exigées pour leur délivrance» (art. L 311-8, art. 3 du projet). La perte du travail pourrait tout à fait être incluse dans ces «conditions exigées» pour la délivrance du titre. Indiquons que jusqu’alors le préfet peut retirer le titre dans les mêmes circonstances ; il n’est pas tenu de le faire, ce qu’induit a priori la nouvelle rédaction ;
- si la carte «salarié» a été délivrée sans référence à l’arrêté, le travailleur ne perd pas son droit à séjourner s’il est privé d’emploi. Il aura droit au renouvellement de son titre pour percevoir les allocations chômage (v. l’article R 341-3-1 du Code du travail) et pourra tenter de retrouver un nouvel employeur.
Sous réserve de la rupture du contrat de travail (v. supra), la carte mention «salarié» valable un an reste renouvelable dans son principe. Il faudra toujours remplir les conditions qui ont prévalu à sa délivrance. Le renouvellement, concernant les cartes délivrées sur la base de l’arrêté, est plus que précaire: il devrait être refusé si on en croit l’esprit du projet s’il n’y a plus de difficultés de recrutement pour le métier et dans la zone géographique, difficultés qui avaient justifié la première délivrance.
On peut penser – parce que cela correspond déjà à une pratique existante – que la carte la plus souvent délivrée sera celle qui porte la mention «travailleur temporaire», simplement parce qu’elle est moins contraignante pour les employeurs (pas de nécessité de produire un CDI) et leur offre plus de flexibilité.
B - la carte de séjour temporaire mention «travailleur temporaire»
Cette mention n’est pas nouvelle (v. art. R 341-7 du Code du travail: «une autorisation provisoire de travail peut être délivrée à l’étranger qui ne peut prétendre ni à la carte de séjour temporaire mention "salarié" ni à la carte de résident et qui est appelé à exercer chez un employeur déterminé, pendant une période dont la durée initialement prévue n’excède pas un an, une activité présentant par sa nature ou les circonstances de son exercice un caractère temporaire»).
Dans le premier document de travail, le dispositif prévoyait de limiter la reprise d’une immigration légale de travail sous ce seul statut de «travailleur temporaire». Le mécanisme envisagé se présentait ainsi: l'employeur qui n'a pas réussi à pourvoir une offre dûment communiquée aux services compétents (délai d’attente fixé à 3 mois) pourra faire venir de droit un étranger dans ce cadre.
Quelle sera la durée de validité de la carte ? Le projet de loi n’est guère précis sur ce point. Cette carte a vocation à concerner tous les contrats de travail à temps limité. Si le CDD proposé a une durée égale au moins à un an, la carte «travailleur temporaire» devrait avoir une durée de validité égale à la carte «salarié». Mais les CDD atteignent très rarement une telle durée. Et dans le cas contraire ? On peut penser que la carte aura une durée strictement alignée sur celle du contrat du travail. Nul ne sait, dans l’état actuel du projet, quelles seront les mentions apposées au dos de la carte mais si l’on s’en tient à l’esprit du projet, il devrait être fait référence à la liste des métiers arrêtée par l’autorité administrative, voire même aux fonctions exercées par la personne.
Le projet de loi prévoit également de modifier l’article L 341-4 du Code du travail relatif aux mentions devant figurer sur la carte: «l’autorisation mentionnée (…) peut être limitée à certaines activités professionnelles et zones géographiques». La rédaction peu contraignante laisse la porte ouverte. Depuis la loi du 26 novembre 2003, on peut retirer la carte de séjour temporaire à tout étranger qui ne respecte pas les limitations professionnelles et géographiques portées au dos dudit titre ou qui exerce une activité professionnelle non salariée sans en avoir l’autorisation (art. L 313-5 du CESEDA). Le projet de loi prévoit la possibilité d’accompagner l’obligation de quitter le territoire français en raison du retrait de sa carte de séjour temporaire d’une interdiction d’exercer une activité professionnelle en France pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans.
Dans le document de travail du 18 décembre 2005, le dispositif imaginé induisait que le salarié ne puisse travailler que pour l’employeur qui avait initié la procédure, sachant que son nom serait vraisemblablement porté sur le dos dudit document. Ce type de cartes aurait donc pour particularité de ne valoir que pour une activité déterminée auprès d’un employeur également déterminée.
Il résulte de la correspondance entre la durée du séjour et celle du contrat à temps, et incidemment de la précarité gouvernant le statut de «travailleur temporaire», une situation de subordination extrême du travailleur à l’égard de l’employeur qui, outre la pression inhérente à toute relation de travail, aura indirectement le pouvoir de décider de son maintien sur le sol français. En effet, si le contrat de travail est rompu, alors la condition ayant prévalu à sa délivrance n’est plus remplie, et la carte est retirée par la préfecture (v. supra). On imagine alors que la personne ne pourra faire valoir aucun droit au titre de l'assurance chômage puisqu'elle sera en situation irrégulière. L’article R 3413 du Code du travail, qui prévoit le renouvellement du titre de séjour – plus précisément son prolongement pour un an - lorsque le salarié est involontairement privé d’emploi, ne vaut que pour les cartes temporaires mention «salarié». Le même dispositif n’est pas prévu, s’agissant des cartes «travailleur temporaire». Le statut de «travailleur temporaire» s’inscrit dans la logique des CNE/CPE plaçant les salariés dans un état constant de pression mêlée à la peur.
Dans les versions précédentes, était prévue une «sanction» au cas où la rupture du contrat de travail serait due à l’employeur: l’acquittement au profit de l’État d’une contribution forfaitaire correspondant aux frais de réacheminement vers le pays d'origine. Cette «sanction», permettant à l'État de faire des économies, n’est pas véritablement nouvelle puisqu’elle est déjà prévue (depuis la loi du 18 janvier 2005, art. L 626-1 du CESEDA) à l’encontre des employeurs qui ont fait travailler des personnes dépourvues d’autorisation de travail. Cette sanction est applicable dans tous les cas de rupture, sauf si elle est imputable au salarié. Le décret d’application n’ayant pas été adopté, elle n’a pas encore vu le jour.
Il convient ici de rappeler que la rupture des CDD obéit à des règles plus strictes que celle prévalant à la fin d'un CDI puisque seule une faute grave ou un cas de force majeure peut justifier la rupture du contrat avant le terme prévu et que le salarié a droit automatiquement au paiement des salaires dont il a été indûment privé en cas de rupture anticipée hors de ces hypothèses légales. En théorie, l’étranger doit pouvoir prétendre à de tels dommages et intérêts. L’esprit du dispositif montre bien que l’exercice de tels droits est accessoire: il s’agit avant tout d’autoriser le séjour des travailleurs immigrés à la seule mesure de leur utilité et sans égard pour leurs droits. Le statut de «travailleur temporaire» permet d'assumer un besoin ponctuel (du moins affiché comme tel) de main d'œuvre, avec des facilités offertes à l'employeur en pratique à l’abri d’un contentieux prud’homal.
Le texte n’envisage pas formellement le renouvellement du titre «travailleur temporaire». Ce renouvellement n’est pas a priori exclu. Craignant que les étrangers concernés ne «s’installent» dans ce statut, fût-il précaire, le gouvernement avait prévu un temps que cette carte ne puisse pas être renouvelée (v. première version en date du 18 décembre 2005). Toutefois, toujours animé par son approche utilitariste de la main d'œuvre étrangère, le gouvernement avait envisagé alors que fussent définies par acte réglementaire les professions cette fois pour lesquelles le renouvellement du titre restait possible. On pouvait dès lors songer aux professions où les «pénuries» (ou les difficultés d’ajustement ou de recrutement abusivement qualifiées comme telles…) sont constantes depuis plusieurs années et ont vocation à se prolonger. Ce dispositif, trop rigide et guère adapté aux besoins des employeurs, a été abandonné. La carte «travailleur temporaire» peut être renouvelée tant que son titulaire est utile (pour l’employeur originel, éventuellement pour un autre, pourvu que le métier exercé demeure sur la liste établie par arrêté).
Enfin, et ce n’est pas le moindre des dangers, la faisabilité du dispositif semble impliquer de «libéraliser» le recours aux contrats à durée déterminée. Actuellement les cas de recours autorisés à ce type de contrats sont strictement définis par le législateur. On doit donc s’attendre en ce domaine à un nouveau démantèlement du Code du travail. En décembre 2004, le chef du gouvernement, qui à l’époque était le ministre de l’intérieur, avait lancé l’idée de «CDD de séjour» pour les étrangers. L’idée sera-t-elle reprise ?
C - la carte réservée aux professions non soumises à autorisation
Cette disposition devrait s’appliquer notamment aux professions libérales ou indépendantes (peu réglementées du reste). Les pouvoirs publics entendent mieux contrôler l’exercice de ces professions. Sont principalement visés les travailleurs étrangers non soumis au droit du travail (interprètes, consultants, formateurs indépendants…), qui jusqu’alors se retrouvaient très souvent curieusement titulaires d’une carte de séjour mention «visiteur». Cette carte, comme la carte de visiteur dont elle s’inspire, n’est délivrée qu’à l’étranger «qui justifie pouvoir subvenir à ses besoins». Cela implique qu’il puisse justifier de ressources suffisantes pour un an ou établir l’existence de contrats lui permettant de vivre des revenus en résultant pendant la même durée.
La carte, valable un an, devrait porter comme mention la profession exercée. Elle est renouvelable, tant que la personne continue à exercer la profession qui a permis la délivrance du premier titre.
D - la carte de séjour temporaire permettant l’exercice d’une profession commerciale, industrielle ou artisanale relevant des dispositions du Code de commerce
Il n’est à noter aucun changement par rapport à la situation actuelle. Sa délivrance suppose d’avoir vérifié notamment l’inscription de l’entreprise au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. La carte est délivrée toujours pour un an, ne permet pas de changer d’activité et elle n’est renouvelable que si les conditions sont toujours remplies (remise en cause du renouvellement en cas de liquidation judiciaire ou arrêt d’activité pour une autre raison).
Remarque: Le projet de loi reste silencieux sur l’exercice salarié «intermittent à employeurs multiples» (notamment de la profession d’interprète de conférence), pour laquelle est actuellement exigé un versement de la taxe forfaitaire d’introduction dont est redevable à l’ANAEM le premier employeur (ex-taxe «OMI»). Cette exigence disproportionnée prive depuis plusieurs années les personnes concernées de l’accès au régime salarié et la situation risque de subsister en l’absence de mesures correctives ou d’un éventuel changement de titre de séjour.
E - la carte de séjour temporaire mention «travailleur saisonnier»
Elle s’inscrit dans le cadre des cas de recours autorisés aux CDD (emploi saisonnier tel qu’il est défini par le Code du travail et la jurisprudence, à savoir un emploi concernant «des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes en fonction des rythmes des saisons ou des modes de vie collectifs»). Il est important de rappeler ici que les contrats saisonniers dits «OMI» sont jusqu’alors réservés aux ressortissants de pays qui ont signé avec la France une convention bilatérale (Maroc, Pologne, Tunisie). Le dispositif paraît les généraliser. Il semble dans le même temps favoriser les dérives et pratiques abusives largement dénoncées dans le secteur agricole.
Le projet de loi ajoute une condition qui jusqu’alors n’existait pas, à savoir maintenir une résidence habituelle hors de France. Cette condition doit être appréciée à la lumière des nouvelles caractéristiques du titre: il est délivré pour une période de trois ans et permet à son titulaire d’exercer des travaux saisonniers n’excédant pas six mois sur douze consécutifs. L’allongement de la durée du titre (actuellement droit au séjour et au travail fixé à six mois, avec une prolongation possible de deux mois) permettrait aux employeurs de compter sur un volet de travailleurs saisonniers sur une période plus longue, et incidemment allège les démarches (à ne réitérer que tous les trois ans). Toutefois, la carte pourrait conduire son titulaire à séjourner toute la durée de validité du titre en France en étant dépourvu de protection la moitié de l’année, où il lui est strictement interdit de travailler. En effet, le critère de la territorialité joue un rôle majeur en matière de protection sociale ; or on exige du salarié qu’il se soit engagé à maintenir sa résidence habituelle hors de France. On peut se demander comment la préfecture vérifiera le respect de cette condition. Certes, la déclaration formelle de résidence serait peut-être écartée au profit de la résidence de fait en cas de contestation (et on connaît l’efficacité dissuasive de la barrière contentieuse…), mais on connaît les difficultés d’accès à la procédure contentieuse auxquelles sont confrontés les étrangers. Il convient donc d’être vigilant sur les droits qui seront ouverts aux travailleurs saisonniers (v. supra sur les droits des étrangers malades).
Dans le document du 18 décembre 2005, était prévu le retrait immédiat du titre si le titulaire travaille plus de six mois sur 12 consécutifs. Le législateur désignait une fois de plus les salariés comme les auteurs potentiels des abus, alors qu’il est notoire que, à tout le moins dans certains départements, ce sont les employeurs qui fraudent, abusent de ce statut et soumettent les saisonniers à des conditions de travail déplorables.
Si, en règle générale, une entreprise poursuivant une activité saisonnière ne peut l’exercer pendant une durée supérieure à six mois dans l’année, un salarié peut travailler dans différentes entreprises à caractère saisonnier durant toute l’année. En conséquence, si la limite posée aux employeurs a pour objet de prévenir les violations des dispositions du code du travail, celles posées aux salariés étrangers a pour effet de précariser encore leur statut.
Le dispositif proposé paraît a priori plus favorable pour les salariés qui aujourd’hui travaillent sous contrat «OMI» sur un point: la carte pourrait permettre au travailleur de changer d’employeur d’une année sur l’autre, voire au cours d’une même saison.
Dans le projet, la mention «détaché interne» (rebaptisée un temps «salarié en mission») ne figure plus.
Il convient d’indiquer que ce statut ne concernait pas toutes les situations de détachement: il ne visait que le détachement à l’intérieur d’une même entreprise (comportant donc des établissements situés en dehors du territoire français) ou à l’intérieur d’un même groupe (comportant des entreprises de nationalité différente). Ce statut était donc destiné à des personnes travaillant – et résidant habituellement – hors de France et qui viennent dans le cadre d’un détachement travailler, pendant un temps déterminé, pour un établissement ou une entreprise situé en France (relevant selon les cas d’une même entreprise ou d’un même groupe). Le texte n’entendait pas prévoir toutes les situations de détachement relevant de la libre prestation de service, le détachement dans le cadre du travail temporaire étant a priori également exclu. Il s’agissait ici de récompenser les entreprises ou les groupes à dimension communautaire ou internationale qui ont ouvert en France un établissement ou une filiale (sous-entendu qui contribuent ainsi à la croissance économique française). L’opposabilité de la situation de l’emploi ne semblait pas être applicable. Notons que, selon la Cour de justice des communautés européennes, un ressortissant d’un État tiers, résidant dans un pays de l’Union, n’est pas soumis à la procédure de droit commun d’autorisation de travail lorsqu’il est détaché dans un autre État membre, et ce au nom de la libre prestation de services. Il en est autrement dès lors que l’on sort des contours du marché commun. Partant de là, on peut se demander si le dispositif initialement envisagé, obligeant les détachés à être titulaires d’un titre, était bien conforme au droit communautaire.
Il était prévu que la carte «détaché interne» ait une durée de validité de trois ans (renouvelable). Favorisant l’exécution de tâches en principe temporaires, elle aurait autorisé son titulaire à entrer en France et à sortir, selon les besoins de l’établissement ou de la filiale française (en étant a priori dispensé de tout visa). Le texte posait une limite quant à la durée totale d’activité, à savoir qu’elle ne peut dépasser dix-huit mois sur les trois ans. Cela interrogeait le caractère temporaire qu’implique la notion de détachement. Au bout du compte, la France aurait disposé d’un volet souple de main d’œuvre qualifiée, circulant librement au gré de considérations économiques et managériales, sachant que cette situation pouvait être pérennisée, la carte étant renouvelable. Ces travailleurs offrent de surcroît un avantage pour l’employeur (qu’il soit sur place ou dans le pays de nationalité de l’entreprise), celui de ne pas les soumettre à l’ensemble des conditions de travail et de salaires prévues par le droit français, mais seulement à certaines d’entre elles, limitativement énumérées. On pouvait également s’interroger sur l’effectivité d’un contrôle consistant à s’assurer que le détaché interne ne travaille que 18 mois (sur une période de 3 ans) puisque cette carte permettait d’entrer et de sortir de France sans visa. La situation des détachés internes paraissait à cet égard se rapprocher de celle des saisonniers.
A titre de conclusion, il convient d’indiquer que le projet renforce le contrôle pesant sur les employeurs qui décident d’embaucher des ressortissants étrangers (v. art. L 341-6, art. 14 du projet): «l’employeur est tenu de s’assurer auprès des administrations territorialement compétentes de la validité du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’Agence nationale pour l’emploi». Autrement dit, les employeurs ne pourront plus se borner à demander la production du titre autorisant le titulaire à exercer l’activité proposée, mais ils devront en plus s’assurer de l’authenticité de la carte en question.
2° La carte «compétences et talents»: pour le «rayonnement» de la France
Fondement textuel: articles L 311-2 3°, L 315-1 à L 315-6 nouveaux et L 313-11 3°du CESEDA (art. 1, 12 et 24 du projet)
C’est la grande fantaisie de la réforme annoncée. Outre l’intitulé de la carte qui laisse songeur (on relèvera au passage un changement de nom puisqu’à l’origine le titre était censé s’appeler «capacités et talents»), le titre présente de nombreuses particularités.
Le projet de loi définit ainsi les conditions de fond subordonnant la délivrance du titre et la qualité attendue des postulants: «La carte de séjour "compétences et talents" est délivrée à l’étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, culturel et sportif de la France ou du pays dont il a la nationalité».
Quels en seront effectivement les destinataires ? On sait d’emblée qu’elle tente d’attirer ceux dont la présence en France est particulièrement souhaitée… Certes, mais comment se mesurent «les compétences et talents» et qui va le décider ?
Il a été envisagé un temps que ce ne soit pas la préfecture, mais «une autorité administrative compétente», sans que l’on en sache davantage. Cette idée de «jury» a été abandonnée. Il faudra apprécier en amont les «compétences et talents». Les autorités consulaires vont jouer un rôle important, les postulants au statut étant soumis à un visa long séjour. Le projet dispose que la carte est «attribuée au vu de la personnalité et des aptitudes de l’étranger, du contenu de son projet et en particulier de la nature de l’activité qu’il se propose d’exercer et de l’intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et pour le pays dont il a la nationalité». La procédure d’examen du projet témoignant de la qualité du demandeur sera définie par décret.
Ce n’est pas entièrement utilitariste puisque la France, bon prince, peut reconnaître l’attribution de «compétences et talents» s’il s’agit d’œuvrer aussi au développement de son pays de nationalité. La carte apparaît comme un gadget, et traduit la volonté d’afficher une fine sélection des «meilleurs éléments». On sait dans la pratique que les sportifs de haut niveau – à condition qu’ils le deviennent réellement –, les industriels, les chercheurs et les artistes de renommée internationale obtiennent un titre de séjour. Il s’agit ici de les attirer encore plus avec une carte à l’intitulé gratifiant et signifiant qu’ils sont vraiment désirés.
Cette carte, qui se veut attractive, n’offre pas les mêmes garanties que la carte de résident. Valable trois ans, elle est renouvelable. Toutefois même «les compétences et talents» peuvent décevoir: ainsi l’article L 311-8 du CESEDA (art. 3 du projet) prévoit le retrait du titre si son titulaire cesse de remplir les conditions exigées pour sa délivrance… Le projet de loi est moins favorable que ce qui avait été prévu initialement pour les membres de famille. Il avait été envisagé de leur accorder également une carte «compétences et talents». De façon à ce que la durée de validité de leur carte de séjour soit strictement alignée sur celle du titre «compétences et talents», il est prévu de délivrer aux membres de famille une carte «vie privée et familiale», renouvelée de plein droit durant la période de validité restant à courir de la carte «compétences et talents».
Ladite carte permet à son titulaire d’exercer toute activité professionnelle de son choix, à condition qu’elle s’inscrive dans son projet. S’il ne respecte pas cette limite, le titre de séjour «peut» être retiré.
3° - Les étudiants: l’officialisation de la sélection
Fondement textuel: articles L 313-7, L 313-7-1 et L 313-7-2 du CESEDA (art. 7 du projet)
La réforme envisagée sur les étudiants étrangers s’inscrit dans l’idée de sélection des meilleurs éléments et donc dans l’approche utilitariste qui la caractérise.
Les conditions de fond auxquelles sont subordonnés les étudiants étrangers demeureraient les mêmes, à savoir une inscription dans un établissement d’enseignement et des moyens d’existence suffisants. En principe, il faut également justifier d’une entrée avec un visa long séjour, étant entendu que la loi du 26 novembre 2003 a assoupli cette dernière exigence en disposant que l’autorité administrative «peut accorder cette carte de séjour même en l’absence du visa long séjour requis» (art. L 313-7 du CESEDA). Le texte n’entend pas revenir sur cette souplesse dont les autorités préfectorales font un «libre» usage. L’article est simplement reformulé par le projet de loi: cette dérogation à l’exigence d’un visa long séjour doit être justifiée par la nécessité liée au déroulement des études et suppose que la personne soit entrée régulièrement.
Par souci a priori de rationalité, le texte entend alléger le contrôle effectué par les préfectures, en le confiant aux autorités consulaires dans les pays d’origine. Certes, cette vérification en amont existe déjà, mais elle aura clairement pour effet de consacrer la sélection sur place, avant tout départ, des étudiants. Bien que le projet ne le dise plus explicitement – contrairement aux versions précédentes -, il s’agit de généraliser «les centres pour les études en France» existant déjà dans certains pays. Cela ressort explicitement de la présentation du dispositif: «A compter de la rentrée 2006, les étudiants bénéficiant d’un visa seront choisis selon un nouveau système multicritères (prenant en compte plusieurs points: le projet d’études, le parcours académiques et personnels, les compétences linguistiques, les relations bilatérales ainsi que les intérêts de la France et du pays de l’étudiant étranger), s’ajoutant aux critères actuels (ressources, inscription dans un établissement d’enseignement, absence de menace à l’ordre public)». Le projet de poursuivre: «ce dispositif accompagne le développement des "centres pour les études en France", opérationnels auprès des consulats dans 12 pays dès 2006, et dont la généralisation est prévue à compter de 2007».
Le projet prévoit en outre une simplification des démarches à effectuer en France dans quatre situations. Ainsi recevront de plein droit la carte mention étudiant, les conditions de fond étant supposées alors remplies:
- l’étranger auquel un visa long séjour a été délivré dans le cadre d’une convention signée entre l’État et un établissement d’enseignement supérieur et qui est inscrit dans cet établissement ;
- l’étranger ayant satisfait aux épreuves du concours d’entrée dans un établissement d’enseignement supérieur ayant signé une convention avec l’État ;
- l’étranger boursier du gouvernement français ;
- l’étranger ressortissant d’un pays ayant signé avec la France un accord de réciprocité relatif à l’admission au séjour des étudiants.
La France entend ainsi mieux maîtriser la venue des étudiants. L’État va ainsi passer des contrats avec les établissements supérieurs afin – on suppose – de fixer des quotas, de définir les filières et les niveaux concernés.
Comment seront définis ces différents éléments ? Qui s’agit-il alors de servir ? Les besoins de la France, ou les besoins en personnes qualifiées des pays d’origine ? On voit bien qu’il s’agit ici de servir d’abord les intérêts nationaux et de tenter de récupérer les meilleurs éléments.
La philosophie d’ensemble du dispositif est bien d’opérer une sélection des étudiants, d’abord en fonction des besoins de la France (accueillir les meilleurs, dans des filières performantes). L’intérêt pour des étudiants étrangers d’obtenir un diplôme et une qualification dans la filière de leur choix est secondaire. L’examen des dossiers par les responsables des diplômes dans les universités et, le cas échéant, leur acceptation sont officiellement considérés comme accessoires.
A l’image de ce qui est prévu en matière de renouvellement des cartes délivrées aux scientifiques, le projet prévoit la possibilité d’un renouvellement pour une période supérieure à un an et ne pouvant pas excéder quatre ans: «Cette carte est accordée à l’étudiant étranger admis à suivre, dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au niveau national, une formation en vue de l’obtention d’un diplôme au moins équivalent au master». A la lecture de cette disposition, il semble que l’autorité préfectorale soit tenue de délivrer un tel titre aux étudiants admis dans un master sans restriction. La durée de validité de la carte devrait être alignée sur celle du diplôme, soit deux ans. C’est a priori une avancée. On peut regretter que cette facilité – qui a aussi vocation à alléger le travail des préfectures – ne soit offerte qu’au niveau master.
Le projet prévoit également la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour à l’issue des études afin de rechercher un emploi en lien avec la formation acquise en France: «une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois non renouvelable est délivrée à l’étranger qui, ayant achevé avec succès, dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national, un cycle de formation conduisant à un diplôme au moins équivalent au master, souhaite, dans la perspective de son retour dans son pays d’origine, compléter sa formation par une première expérience professionnelle participant directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité».
Dans le document de travail du 18 décembre 2005, la délivrance de l’APS était une simple faculté et elle comportait de nombreuses incertitudes partiellement levées. Il s’agissait de créer une «période probatoire» accordée à l’étudiant en fin de cursus et lui permettant de démarcher les entreprises pour trouver un emploi. Durant cette période, la personne n’est ni étudiante, ni salariée. La carte ne l’autorisait même pas à travailler.
La copie a été revue dans un sens a priori plus protecteur pour les personnes concernées. On ne peut s’empêcher de trouver bien hypocrite le dispositif mis en place. Pendant des décennies, on a considéré que les étudiants étrangers étaient forcément de passage et qu’ils devaient, une fois la qualification acquise, repartir pour servir leur pays d’origine, en bloquant l’accès à un titre de séjour une fois leurs études terminées. On sait combien il est difficile et aléatoire de changer de statut aujourd’hui. Le projet de loi, certes, parle de «perspectives de retour», évoque «le développement économique de la France et du pays dont il (l’étudiant étranger) a la nationalité», mais il s’agit surtout en réalité de garder les personnes les plus qualifiées, sortant des grandes écoles ou titulaires de master recherchés et renommés. Qui peut en effet trouver un emploi en six mois (non renouvelable) ? Le gouvernement ne vient-il pas de tenter de mettre en place les contrats «première embauche» signifiant la difficulté pour les jeunes diplômés de trouver un premier travail ? L’idée de sélection des «meilleurs» est ici très présente. Il faudra d’ailleurs que l’emploi trouvé soit assorti d’une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret.
Au bout des six mois, et si le jeune diplômé a trouvé un emploi, il sera autorisé à l’exercer sans que la situation de l’emploi lui soit opposable. C’est l’intérêt qu’il est censé représenter pour la France qui va justifier la délivrance d’une carte «salarié», et non le prétendu développement économique du pays dont il a la nationalité, qui fait figure de décoration dans le projet. Une incertitude demeure toutefois sur son avenir en France: le texte parle d’une première expérience professionnelle en France. Envisage-t-on de limiter le renouvellement du titre alors même que la personne pourrait faire valoir un CDI ?
Le projet de loi prévoit aussi la délivrance d’une carte de séjour temporaire (mention «stagiaire») à l’étranger qui suit en France un stage non rémunéré, à condition qu’il dispose de moyens d’existence suffisants. Il pourra même être dispensé de produire un visa long séjour, sous réserve d’une entrée régulière en France, «en cas de nécessité liée au déroulement du stage». L’association qui procède au placement du stagiaire étranger doit avoir été agréée pour le faire.
III – L’éloignement
Fondements textuels: articles L 213-1 et L 624-1 2° du CESEDA (interdiction administrative du territoire) ; articles L 511-1 et suivants du CESEDA (obligation de quitter le territoire français) ; L 521-2, L 521-3 et L 552-5 du CESEDA ; 131-30-1 et 131-30-2 du Code pénal (art. 33 à 58 du projet)
1° - Le retour de l’interdiction administrative du territoire
Le projet de loi marque le retour de l'interdiction administrative du territoire.
La possibilité de prendre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sur le fondement de la menace à l’ordre public n’est pas nouvelle. Son introduction récente, alors que cette mesure ne visait jusqu’alors qu’à mettre fin à une situation irrégulière, introduisait déjà une confusion étrange avec l’expulsion, qui vise elle à prévenir un trouble à l’ordre public. Les dispositions ajoutées au CESEDA, qui interdisent à un étranger reconduit sur ce fondement de revenir en France pendant un an, et celle ajoutée à l’article L 624-1 qui fait de ce retour un délit, alignent les effets de la mesure sur ceux d’une interdiction du territoire et rétablissent, sans le dire, la mesure de reconduite à la frontière emportant de plein droit interdiction du territoire pour un an pourtant déjà censurée par le conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: «La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée» (Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993).
2° - La création d’une nouvelle mesure d’éloignement: l’obligation de quitter le territoire français
Le projet de loi organise la fusion des décisions d’invitation à quitter le territoire et de reconduite à la frontière qui, jusqu'à aujourd'hui, constituaient deux mesures distinctes permettant une véritable prise en compte de la situation des personnes: quant à leur droit au séjour dans un premier temps, quant à leur souhait de repartir volontairement dans un second temps, et enfin, quant aux conséquences d’un retour forcé au regard du respect de leurs droits fondamentaux.
Le fusion de ces deux mesures dans la nouvelle «obligation de quitter le territoire français» nie cette logique et précarise les garanties.
Cette mesure est directement inspirée des projets de directive européenne sur les normes minimales en matière de retour, et donc de l’harmonisation des législations européennes en matière de renvoi forcé.Une fois encore, l’harmonisation européenne nivelle les droits à la baisse.
Dans trois hypothèses (refus de délivrance d’un titre de séjour, refus de renouvellement d’un titre de séjour et retrait d’un titre de séjour), l’administration procède jusqu’alors de la façon suivante: la décision de refus ou de retrait est assortie d’une invitation à quitter le territoire (IQT) dans un délai d’un mois (ce délai coïncide avec la possibilité de solliciter le dispositif d’aide au retour financé par l’ANAEM).
Cette décision est alors susceptible:
- d’un recours gracieux et/ou hiérarchique ;
- d’un recours contentieux auprès du tribunal administratif dans un délai de 2 mois (l’introduction d’un recours gracieux ou hiérarchique dans le même délai prorogeant le délai de recours contentieux).
Aucun de ces recours n’est suspensif de la décision de refus ou de retrait.
Passé le délai d’un mois de l’invitation à quitter le territoire, l’administration a la possibilité de prendre un arrêté de reconduite à la frontière, mesure d’éloignement contraignante, qui peut faire l’objet d’un recours contentieux devant le tribunal administratif dans un délai de 48 heures s’il est notifié en main propre, et de 7 jours s’il est notifié par voie postale. Ce recours est suspensif de l’exécution de la reconduite.
Dans les trois mêmes hypothèses, le projet de loi prévoit que l’administration peut assortir sa décision de refus ou de retrait d’un titre de séjour d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
L’étranger dispose du même délai d’un mois pour quitter le territoire volontairement. On ignore si le dispositif d’aide au retour peut alors être mis en œuvre.
En revanche, passé ce délai, l’OQTF vaut mesure d’éloignement contraignante: l’administration n’a pas besoin de prendre une nouvelle décision.
Le refus de délivrance ou de renouvellement ou le retrait d’un titre de séjour et l’OQTF qui peut l’accompagner constituent les deux volets d’une décision unique, qui ne peut faire l’objet que d’un seul recours devant le tribunal administratif. Celui-ci doit être introduit dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision de refus ou de retrait assortie d’une OQTF. Il n’a d’effet suspensif qu’au regard des effets de l’exécution d’office de l’OQTF. Le texte ne dit rien du régime du recours contentieux contre une décision de refus de séjour qui ne serait pas assortie d’une OQTF. Peut-être n’est-ce qu’une hypothèse d’école. Toujours est-il que dans ce cas, le recours ne pourrait a priori être exercé que selon les modalités de droit commun, soit dans un délai de deux mois, ce qui introduit une nouvelle source de complexité.
Ce nouveau dispositif semble devoir également s’appliquer aux décisions de refus de renouvellement et de retrait des récépissés et autorisations provisoires de séjour, qui sont supprimées de la liste des cas où l’administration peut prendre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF).
En revanche, lorsque la mesure de refus ou de retrait est motivée par une menace à l’ordre public, décision de refus de séjour et APRF continuent de coexister, avec deux régimes de recours contentieux distincts, étant entendu que l’APRF peut être prononcé aussitôt après la notification de la décision de refus de séjour ou de retrait de titre.
Le délai de recours contentieux avec effet suspensif contre l’OQTF (15 jours) est plus court que le délai de retour volontaire (1 mois). Cela signifie-t-il qu’un étranger qui aura introduit un recours contentieux ne pourra plus prétendre au retour volontaire ? Le délai d’un mois pour envisager un retour volontaire est déjà très court. Le limiter à 15 jours le rendrait dérisoire.
Surtout, ce délai de recours, s’il est un peu plus long que celui, très court et «justifié» par l’urgence, prévu pour les APRF, est, sans justification, beaucoup plus court que le délai de droit commun de deux mois jusqu’alors applicable aux refus de séjour. Il rend également illusoire la présentation d’une requête motivée, argumentée et étayée par des pièces probantes souvent difficiles à réunir.
On peut voir dans cette mesure la volonté de désengorger les tribunaux administratifs, saisis à la fois de recours contentieux contre les décisions de refus de séjour, et de recours contentieux contre les mesures de reconduite. Mais, s’ajoutant à la fois aux recours existants contre les décisions de refus ou de retrait de titre de séjour non assorties d’OQTF et aux recours contre les APRF notifiés par voie postale, elle introduit une confusion supplémentaire.
Ainsi, il est prévu que le recours contre l’OQTF est introduit devant le tribunal, qui doit statuer dans les trois mois. Le projet de loi ne prévoit pas que l’audience se déroule sans commissaire du gouvernement, contrairement à la procédure existant pour les APRF. Mais elle indique que si l’étranger est placé en rétention, le préfet en informe le tribunal qui statue dans les 72 heures: comment organiser une audience, collégiale ou même à juge unique (cette question relève du domaine réglementaire), avec conclusions du commissaire du gouvernement, en 3 jours ? Et comment le commissaire du gouvernement peut-il utilement conclure dans une procédure précipitée où l’essentiel des arguments et des pièces ne sont produits avant l’audience ?
Ce nouveau dispositif, présenté comme plus rationnel, doit être analysé à la lumière de la réforme du contentieux administratif. Le projet en pose une des premières pierres: «Le président du tribunal administratif peut désigner un magistrat administratif honoraire choisi parmi les magistrats inscrits, pour une durée de trois ans renouvelable, sur une liste arrêtée par le vice-président du Conseil d’État pour statuer sur les litiges relatifs aux refus et aux retraits de titres de séjour, aux obligations de quitter le territoire français, aux arrêtés de reconduite à la frontière et aux décisions fixant le pays de renvoi». Autrement dit, dans chaque tribunal administratif, un Monsieur «contentieux des étrangers» statuera seul sur tous les litiges afférents au statut des étrangers. C’est la mise en place du juge unique, au mépris du principe de la collégialité qui constitue un principe directeur de notre système juridictionnel. Les syndicats de magistrats sont unanimes pour dénoncer l’absence de collégialité et la mise en place de délais trop brefs pour statuer à la fois sur la légalité du refus de séjour et sur celle de l’obligation de quitter le territoire. De tels délais ne sauraient permettre aux étrangers concernés de trouver un avocat spécialisé, comme ils empêchent une instruction approfondie des dossiers par les juges.
Une véritable solution pour désengorger les tribunaux administratifs serait de supprimer simplement les arrêtés de reconduite à la frontière notifiés par voie postale, qui n’ont pas plus de sens que de signifier aux intéressés une seconde fois après la décision de refus de séjour qu’ils doivent quitter le territoire.
Mesure de renvoi forcé, l’arrêté de reconduite à la frontière devrait être limité aux seules situations où l’administration est réellement en mesure de procéder à l’exécution d’une telle mesure, ce qui n’est pas le cas dans l’hypothèse de l’envoi d’une décision par voie postale au dernier domicile connu d’une personne
3° - La protection rognée contre les mesures d’éloignement
La protection issue de la présence habituelle sur le territoire français est supprimée dans l’avant projet de loi, dans la même logique que la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire est supprimée après dix années passées en France. La résidence habituelle n’est plus reconnue comme ouvrant des droits aux étrangers.
Les conjoints de Français ne bénéficieraient d'une protection «quasi absolue» face à l'expulsion que s'ils sont mariés depuis au moins 4 ans – et non plus 3 - (art. L 521-3). Les autres conditions exigées sont maintenues en l'état, à savoir principalement le fait de résider régulièrement en France depuis plus de 10 ans.
Les mêmes conjoints de Français sont protégés de l’expulsion si le mariage date d’au moins trois ans (actuellement deux ans), cette fois de façon relative en ce sens que la protection tombe en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique. Il s'agit ici d'aligner ce nouveau délai sur celui requis pour obtenir une carte de résident (art. L 521-2). Toutefois, le fait d’exiger du conjoint qu’il produise un visa long séjour – obstacle majeur à franchir pour obtenir le droit de séjourner – pourrait aboutir à des situations de «ni – ni» (ni régularisables, ni expulsables). Il est à noter que le projet s’efforce de ne pas produire de telles situations puisque pour faire jouer la protection il faut, au titre de le projet de loi, que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage.
Dans un souci de cohérence, le projet prévoit de modifier dans le même sens la protection des conjoints de Français face à l’interdiction du territoire français.
4° - Modifications relatives à la rétention administrative
En premier lieu, le projet de loi introduit l’OQTF dans les mesures qui peuvent donner lieu à un placement en rétention, après l’expiration du délai d’un mois de départ volontaire.
En deuxième lieu, il renforce le contrôle auquel est soumise la personne assignée à résidence. Ainsi lorsque le juge des libertés et de la détention prononce une assignation à résidence, il devra fixer non seulement les lieux où l’étranger est astreint à résider, mais également les heures et lieux où il doit se présenter «quotidiennement» aux services de police ou de gendarmerie. Sous couvert d’ «efficacité» du dispositif de renvoi forcé, cela amène plus de contrôle et plus de contraintes à l’égard des étrangers.
Enfin, il était prévu d’imposer le caractère suspensif de l’appel du parquet contre l’ordonnance de remise en liberté de l’étranger retenu (actuellement le caractère suspensif n’est pas automatique, le ministère public devant le demander expressément). La procédure d’appel du parquet en cas de remise en liberté d’un étranger par le juge des libertés et de la détention (zone d’attente et rétention administrative) aurait été simplifiée, mais une fois encore aux dépens de l’étranger. Le gouvernement y a renoncé.
IV – Le droit d’asile ou ce qu’il en reste
Fondement textuel: article L 722-1 du CESEDA et L 345-1, L 348-1 nouveau, L 348-2 nouveau et L 348-3 nouveau du Code de l’action sociale et des familles ; L 351-9 du Code du travail (art. 64, 65 et 66 du projet)
1° – La liste nationale des pays sûrs
En premier lieu, il est prévu dans le projet de loi de maintenir une liste nationale de pays d’origine sûrs.
Se rendant compte que la liste européenne des pays d’origine sûrs risquait d’être moins étendue que la liste établie par l’OFPRA, le projet de loi, transposant l’article 30 de la directive 2005/85 du 1er décembre 2005, permet la possibilité d’une coexistence d’une liste européenne et d’une liste nationale (alors que la loi du 10 décembre 2003 n’envisageait la liste nationale que de façon transitoire avant la liste européenne).
2° - Allocation temporaire d’attente: pas encore appliquée, déjà modifiée
Le projet de loi apporte deux modifications au nouvel article L 351-9 du code du travail créant l’allocation temporaire d’attente. Ce texte qui n’est toujours pas applicable en l’attente des décrets d’application est pourtant déjà modifié.
a) Le bénéfice de l’allocation pourrait être accordé à des ressortissants des pays d’origine sûrs (qui en sont exclus) dans des «cas humanitaires signalés par l’OFPRA».
b) Le versement de l’allocation aux bénéficiaires de la protection temporaire (II du 351-9 CT) se fera pendant une «période déterminée» (les «protégés subsidiaires» ne peuvent prétendre au RMI et on attend toujours le décret simple leur permettant l’accès aux prestations familiales dès l’octroi de la protection).
3° - Les CADA sous contrôle
Les modifications apportées aux articles du livre Ier et à une série d’articles du livre III du Code de l’Action Sociale et des Familles créent le statut de Centre d'Accueil des Demandeurs d'Asile (CADA), distinct du Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS).
Pour la première fois, est créé dans la loi, un centre d’hébergement spécifique pour des personnes de nationalité étrangère et sans critères de situation d’exclusion. Est ainsi énoncée la volonté gouvernementale d’héberger en CADA la majorité des demandeurs d’asile [9]. La loi légalise la pratique de n’accueillir que les personnes admises au séjour au titre de l’asile et ayant une demande d’asile en cours d’examen auprès de l’OFPRA ou de la CRR (article L 348-1, L 348-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles).Un décret précisera l’éventuelle prorogation.
Cette disposition, combinée avec les exclusions de l’Allocation temporaire d’attente (article L 351-9 et suivants du Code du travail) [10] apparaît contraire à l’article 3 de la directive 2003/9 qui prévoit que tous les demandeurs d’asile autorisés à demeurer (et non séjourner) sur le territoire ont accès aux conditions d’accueil et notamment celles décrites aux article 13 et 14 (conditions matérielles d’accueil, accès aux soins, accompagnement juridique). En outre, il y a contradiction avec l’article L 111-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles qui ne conditionne pas l’admission à l’aide sociale à la régularité du séjour.
La mission des CADA se limite à l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement socio-administratif des personnes accueillies. La mission d’insertion qui est la mission première des CHRS, n’est pas évoquée. Subsiste la possibilité d’entrer dans un CHRS spécialisé (les Centres Provisoires d’Hébergement) en cas d’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire.
Le projet de loi inscrit dans la loi le statut, les missions et le mode de fonctionnement des CADA, qui jusqu’à présent, n’étaient régis que par des circulaires non réglementaires. Le fait qu’aucune mesure n’ait été prise pour mettre en œuvre le dispositif contenu dans la loi 2002-02 renforce le caractère spécialisé de ces centres au risque d’en changer la nature.
Le contrôle de l’État sur les centres
En effet, en légalisant les pratiques administratives envisagées dans la note d’instruction de janvier 2006, le projet de loi prévoit un contrôle étroit du public accueilli (pas de réfugiés, pas de déboutés) et des sanctions lourdes contre les organismes gestionnaires récalcitrants.
Une privatisation ou la création d’un établissement public de l’accueil ?
Le projet de loi ouvre la possibilité pour des personnes morales de droit public ou privé, à but lucratif ou non, d’être gestionnaires des CADA (article L 313-19) et précise qu’en cas de gestion par une personne morale de droit public, on parle d’établissement public (article L 315-7). Est ainsi légalisé le fait que des opérateurs publics (SONACOTRA) ou privés (associations mais également structures commerciales) peuvent devenir gestionnaires de centres d’hébergement. Cependant, on peut se demander si le gouvernement n’envisage pas une gestion directe ou semi directe des CADA par une structure publique d’accueil sur le modèle belge (qui fait pourtant l’objet d’une réforme le rapprochant du système français), allemand (gestion par les ministères de l’Intérieur) ou autrichien (gestion par des sociétés privées avec un prix de journée de 12,50 € contre 25 € en France)
Certains éléments du projet de loi semblent aller dans ce sens:
- La décision d’admission est selon les versions successives, prise par l’autorité compétente (vraisemblablement le préfet de Région ou du département) après simple avis de la structure (version du 31-01) ou par le gestionnaire après accord de l’autorité (9-02). Pour la première fois en droit, une structure d’hébergement n’aura pas la liberté d’accueillir une personne, même en détresse.
- L’ANAEM reçoit la mission de coordination et de gestion du Dispositif National d’Accueil (DNA) par le biais d’un traitement informatique des capacités d’hébergement et des demandeurs d’asile accueillis, auquel les personnes morales gestionnaires de centres sont tenues de participer (article L 348-3). Ce système informatique, telle une centrale de réservation, remplacerait les commissions nationales ou locales d’admission prévues par l’ancien dispositif législatif (suppression de leur existence dans l’article L 111-3-1).
Sanctions des centres d’hébergement
L’autre aspect de ce projet est de renforcer les possibilités de sanctions des associations qui ne répondraient pas correctement aux injonctions de n’accueillir que des demandeurs d’asile et donc de procéder à la sortie rapide des réfugiés et surtout celle des déboutés.
Le CADA est une nouvelle catégorie des centres médico-sociaux, soumis à habilitation (article L 312-1). Cette habilitation est soumise à une convention, dont le modèle est fixé par décret, qui précise notamment «les objectifs, les moyens, les activités et les modalités de contrôle d’un centre d’accueil pour demandeur d’asile» (article L 313-8-9).
Le projet de loi prévoit une possibilité de retrait d’habilitation si les responsables des centres méconnaissent «des dispositions définissant les catégories de public pouvant être accueillies dans ces centres». Est ajoutée également la possibilité de mettre en demeure l’établissement ou le service de prendre les mesures nécessaires pour respecter la définition des catégories des publics accueillis dans un délai qui ne peut être inférieur à six mois (une période de trois mois a été envisagée).
* * *
En conclusion, sous les apparences d’une légalisation de l’existant, le projet de loi esquisse la création d’un dispositif d’hébergement dont la préoccupation est moins l’insertion de personnes exclues que leur accompagnement strictement limité à la durée de procédure de plus en plus courte. Le fait que ce projet de réforme des CADA figure dans un projet sur l’immigration et non dans une refonte plus générale des centre d’hébergement et médico-sociaux, qui est nécessaire tant les dispositifs d’hébergement se sont accumulés et la politique en la matière embrumée, en dit long sur la logique de renforcement du contrôle des demandeurs d’asile. Par ailleurs, ce dispositif doit être analysé à la lumière de la circulaire du 21 février 2006 sur les interpellations qui non seulement incitent les autorités policières à procéder à des contrôles d’identité aux alentours des CADA, mais aussi invitent les directeurs de centre à s’investir dans la lutte aux sans papiers (ici des demandeurs d’asile déboutés).
V - L’outre-mer: terre d’exception
Fondement textuel: articles L. 514-2, L 561-2, L 611-11 et L 622-10 du CESEDA et 10-2 et 29-3 de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte (art. 67 à 84 du projet)
Le projet de loi envisage d’étendre le régime juridique dérogatoire déjà applicable en Outre-mer. Pour le justifier, le gouvernement énonce dans la présentation des nouvelles mesures que «l’immigration irrégulière revêt un caractère particulier outre-mer en raison de la prospérité relative des collectivités d’outre-mer par rapport à leur environnement régional». Il poursuit, afin là encore de motiver la rupture du principe d’égalité de traitement, en affirmant que «la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte sont soumises à une pression migratoire exceptionnelle, sans équivalent sur toute autre partie du territoire de la République, et qui justifie des mesures adaptées à leur situation particulière».
1° - «Paternité de complaisance» à Mayotte
Fondement textuel: article 2289 supprimé, article 2291, nouveaux articles 2291-1, 2291-22291-3 et 2291-4 du Code civil ; articles 29-1 de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ; article 3 de l’ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 fixant les règles de détermination des nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte ; article 20 de l’ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 relative à l’amélioration de la santé publique à Mayotte.
Faire obstacle à l’acquisition de la nationalité française par un enfant de mère comorienne venue accoucher à Mayotte était au centre d’un avant-projet de loi datant de novembre 2005 et restreint à l’Outre-mer. L’accès à la nationalité (à 13, 16 ou 18 ans) d’un enfant né à Mayotte de parents étrangers était soumis à la condition de cinq années de résidence habituelle avant la demande de l’un des parents au moins étant en situation régulière.
Un rapport sur la situation de l’immigration à Mayotte présenté le 8 mars 2006 à l’assemblée nationale renonçait à cette réforme du droit du sol qui, limitée à Mayotte, risquait d’être inconstitutionnelle. Il validait en revanche la chasse au «père de complaisance» mahorais qui accepterait, moyennant rémunération, de reconnaître le bébé d’une mère comorienne et les obstacles à ces «montages de complaisance».
L’actuel délai de 15 jours pour une déclaration de naissance qui était valable à Mayotte est ramené au délai de droit commun de 3 jours.
Le projet de loi entend surtout réformer le Code civil et mettre en place un dispositif inédit de contestation de reconnaissances de paternité effectuées sur le seul territoire de Mayotte (pour une analyse de ce dispositif, v. supra sur les parents d’enfants français).
La plupart des Mahorais ne relèvent cependant pas du Code civil mais d’un droit civil local qui prévoit actuellement qu’avec l’accord de la mère celui qui se présente comme le père peut, par une déclaration devant l’état civil, conférer à l’enfant son propre nom ce qui emporte reconnaissance et établissement de la filiation paternelle. Le projet de loi verrouille cette possibilité pour les mères comoriennes en la restreignant aux couples relevant tous deux du statut civil local de Mayotte ; quel que soit le statut du père mahorais, le dispositif nouveau de contestation de reconnaissance de paternité nouveau lui sera appliqué.
Des pénalités en cas de «fausse paternité» (comme en cas de «mariage blanc») sont introduites pour Mayotte: «Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française» est punie de cinq ans d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.
Enfin, depuis 2004, afin «de limiter l’attractivité à Mayotte pour les immigrés clandestins en matière de santé», les frais d’hospitalisation, de consultation et d’actes externes sont acquittés directement par les personnes qui ne sont pas affiliées au régime d’assurance maladie de Mayotte ; il n’y a pas d’aide médicale d’État. Avec le projet de loi, ces frais seront solidairement à la charge du père mahorais qui reconnaîtrait un enfant naturel de mère étrangère sans-papiers (même si la reconnaissance est contestée). L’exposé des motifs est clair: il s’agit de mettre à la charge du père ayant reconnu un enfant naturel les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière.
2° - L’éloignement de la Guyane, de la Guadeloupe et de Mayotte
Fondement textuel: articles L 514-1 et 2, L 532-1, L 561-2 du CESEDA ; article 35 de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte.
La procédure de recours administratif suspensif contre un arrêté de reconduite à la frontière date de la loi du 2 août 1989. Un régime dérogatoire, supprimant notamment le caractère suspensif du recours, était prévu – pendant dix ans – pour tous les départements d’outre-mer. En 1998, la loi Chevènement limitait ce régime dérogatoire, pendant cinq ans, à la Guyane et à la commune de Saint-Martin (Guadeloupe).
La loi du la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a pérennisé cette disposition. Le Conseil constitutionnel validait cette décision [11], notamment par la possibilité de recourir à un référé administratif… recours qui reste en pratique fort difficile à effectuer dans ces territoires. Le projet de loi étend à nouveau ce régime dérogatoire à toute la Guadeloupe.
Pour Mayotte, l’ordonnance sur l’entrée et le séjour énonce «l’arrêté de reconduite à la frontière ou l’expulsion d’un étranger peut être exécuté d’office par l’administration»: aucune forme de recours n’a droit de cité.
La possibilité donnée au préfet d’éloigner les sans-papiers sans qu’aucun juge n’en contrôle la légalité est très largement utilisée comme le montre le tableau suivant dont les données sur l’Outre-mer proviennent des ministres de l’outre-mer (pour 2004) et de l’intérieur (pour l’objectif 2006) [12].
|
Guyane |
Guadeloupe |
Mayotte |
Métropole |
Reconduites à la frontière effectuées en 2004 |
5 318 |
1083 à partir de l’île de la Guadeloupe 297 à partir de Saint-Martin |
8 600 |
15 660 |
Objectif pour 2006 |
7 500 |
2 000 |
12 000 |
25 000 |
Population totale |
187 000 |
448 000 |
160 000 |
60 496 000 |
Les pêcheurs étrangers, dans les eaux guyanaises, non autorisés peuvent être éloignés d’office en moins de 48 heures et aux frais de leur État d’origine s’il s’agit du Brésil, du Surinam et de Guyana. Le projet de loi ajoute les pêcheurs du Venezuela à la liste.
Enfin, une interdiction de territoire et un arrêté de reconduite à la frontière ou d’expulsion prononcés Outre-mer s’appliquent sur tout le territoire de la République ; il s’agit d’une extension de l’article L 561-2 du CESEDA qui était limité aux décisions prises en Nouvelle-Calédonie.
3° - Extension des pouvoirs de contrôle
Fondement textuel: articles L 611-10 et 11 et L 622-10 du CESEDA ; articles 10-2 et 29-3 de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ; articles 78-2 et 3 du code de procédure pénale.
Le Code de procédure pénale prévoit depuis 1993, la possibilité de procéder à des contrôles dits frontaliers dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention de Schengen et une ligne tracée en deçà de vingt kilomètres (ainsi que dans tous les ports, gares et aéroports ouverts au trafic international). Dans ces zones, les contrôles n’ont pas besoin d’être motivés. Les agents peuvent également procéder à la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique et les immobiliser pendant une durée de quatre heures au plus. Ces possibilités ont été d’abord étendues au territoire de la Guyane (le projet de loi envisage d’y élargir les «zones frontalières»). Il s’agit, avec le projet de loi, de permettre leur application également en Guadeloupe («dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà, ainsi que sur les routes nationales 1 et 4»). Il est aussi prévu d’étendre les contrôles d’identité frontaliers et l’immobilisation des véhicules, selon des dispositifs analogues, sur le territoire de Mayotte. Notons qu’à Mayotte le projet envisage de porter à huit heures (au lieu de quatre, comme le prévoit le code de procédure pénale) le temps maximal pendant lequel une personne peut être retenue pour vérifier son identité. Rien ne justifie cette dérogation au Code de procédure pénale.
Par ailleurs, le projet insère une nouvelle disposition dans le CESEDA permettant, sur le territoire de la Guyane, au procureur de la République d’ordonner la destruction des embarcations fluviales non immatriculées qui ont servi à commettre les infractions d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers des étrangers. Ces infractions devront avoir été constatées par procès-verbal. La destruction de ces embarcations est soumise à une autre condition: «il n’existe pas de mesures techniques raisonnablement envisageables pour empêcher définitivement le renouvellement de ces infractions». On ne voit pas très bien comment cette condition pourra être appréciée. On peut dès lors imaginer que ces embarcations seront quasi-systématiquement détruites.
De la même façon, en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte, le procureur de la République, là encore en dehors de tout jugement, pourra, concernant les véhicules terrestres, les immobiliser «par la neutralisation de tout moyen indispensable au fonctionnement du véhicule». On retrouve la même condition que celle exigée pour la destruction des embarcations. Il faut entendre «neutralisation» du véhicule comme destruction, si on s’en tient au commentaire de la disposition figurant dans le projet du 9 février.
4° - Modifications du code du travail de Mayotte
Fondement textuel: articles 610-4 supprimé, 610-6 et 11 du code du travail de Mayotte.
Mayotte dispose d’un code du travail spécifique. Le projet de loi apporte deux modifications qui renforcent les moyens de contrôle de l’emploi illégal à Mayotte.
On pourrait applaudir si l’on ignorait la pression qui s’exerce sur les inspecteurs du travail pour qu’ils détournent leur fonction vers un contrôle des étrangers travaillant sans autorisation – pression que vient d’accentuer une circulaire en date du 27 février 2006 à laquelle un communiqué intersyndical des inspecteurs répondait:
«Rien dans les missions de l’inspection du travail ne nous oblige à participer à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière (…). Le code du travail a été historiquement construit pour protéger le salarié en situation de subordination. L’inspection du travail ne participera pas à une remise en cause de ce principe de protection.»
- Employés de maison
Selon l’actuel code du travail applicable à Mayotte, le droit du travail ne s’applique tout simplement pas aux employés de maison et les métropolitains ne se privent pas d’employer à bas prix des employés de maison comoriens.
Le projet de loi rétablit la validité du droit du travail pour les employés de maison. Il autorise en outre les équipes d’inspection à entrer dans les locaux où les employés de maison effectuent les travaux qui leur sont confiés. Lorsque les travaux sont exécutés dans des locaux habités, les inspecteurs et contrôleurs ne peuvent y pénétrer qu’entre 7 heures et 19 heures et avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention si l’occupant des lieux s’y oppose.
Il restera à tester l’application de ces dispositions que l’élite mahoraise ne faciliterait pas si elles concernaient l’employeur illégal.
- Précisions sur le contrôle du travail dissimulé ou de l’emploi de travailleurs étrangers dépourvus d’autorisation de travail
Le projet de loi précise les conditions relatives aux enquêtes préliminaires en vue de la recherche d’infractions pour travail dissimulé ou pour emploi de travailleurs étrangers dépourvus d’autorisation de travail. Les officiers de police judiciaire peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de première instance, procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de travail, même lorsqu’il s’agit de locaux habités. Le juge doit vérifier que la demande d’autorisation que la demande qui lui est soumise est fondée sur des éléments de fait laissant présumer l’existence des infractions.
Paris, le 11 avril 2006
1. L’avant-projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration présenté par le ministre de l’intérieur au comité interministériel de contrôle de l’immigration le 9 février 2006 a fait déjà l’objet d’une analyse commune. C’est donc ici le «Projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration» tel qu’il a été déposé à l’assemblée nationale qui fait l’objet des présents commentaires (document téléchargeable à http://contreimmigrationjetable.org/article.php3?id_article=220 ).
2. Sur la double peine, v. «le livre noir de la double peine – le constat d’un mensonge», mars 2006, CIMADE, GISTI, LDH, MRAP.
3. V. aussi le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages adopté le 22 mars 2006 par l’assemblée nationale. Considérant que le nombre de mariages mixtes a augmenté depuis quelques années (on donne le chiffre de 50 000 mariages entre Français et étrangers en 2005), et qu’en conséquence ces chiffres cachent nécessairement des fraudes, le projet met notamment sous surveillance les mariages célébrés à l’étranger.
4. Pendant plusieurs années, le nombre de personnes venues dans le cadre du regroupement familial a augmenté de façon régulière (21 404 en 2000, 27 267 en 2002), ce qui pouvait augurer – à législation constante – environ 30 000 personnes visées en 2004. Or le nombre n’est plus que de 25 420 en 2004 (la moitié sont des conjoints, l’autre moitié des enfants). Le nombre de regroupement familial proprement dit est de l’ordre de 12 000 par an, pour un pays comptant 60 millions d’habitants.
5. Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et e séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, JOUE n° L 158 du 30 avril 2004).
6. Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 «relative au statut des ressortissants de pays tiers de longue durée», JOUE n° L 16 du 23 janvier 2004.
7. Directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, JOUE n° L 251 du 3 octobre 2003.
8. La forte mobilisation anti-CPE devrait conduire à sa disparition du paysage juridique
9. En 2005, seules 10 000 personnes sont entrées en CADA, ce qui représente 20 % des demandeurs d’asile (1/6 si on compte des personnes en réexamen).
10. Le projet de loi prévoit le versement de l’allocation temporaire d’attente à des demandeurs d’asile ressortissants des pays d’origine sûrs dans des situations humanitaires signalées par l’OFPRA.
11. Décision n°2003-467 du 13 mars 2003.
12. Auditions de Nicolas Sarkozy et de François Baroin par la commission sénatoriale d’enquête sur l’immigration clandestine (29 et 30 novembre
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