France
Nicolas Sarkozy et la présidente du MEDEF Laurence Parisot
Massacre du code du travail
Gérard Filoche *
Le président français, Nicolas Sarkozy, a prononcé un discours-programme le 28 novembre 2007. Les médias suisses l’ont un peu commenté. Mais sans s’étonner que, sur un simple coup de téléphone, le locataire de l’Elysée puisse monopoliser les principales chaînes de télévision françaises et oser dire aux intervieweurs de service: «Merci de m’avoir invité». La «farce démocratique» remplissait le petit écran.
Comme Marco Polo, Sarkozy revenait tout juste de Chine. Mais «ses poches» – plus exactement dans celles des grands patrons et actionnaires qui forment son cercle préféré – étaient lourdes de contrats pesant 10 milliards» d’euros…
Dans la tradition des matraqueurs de la Ve République – les Papon, Marcellin et autres Poniatowski – il n’a pas manqué de commencer son discours en réduisant les émeutes ayant marqué la cité de Villiers-le-Bel – suite à la mort de deux jeunes le 25 novembre – à l’œuvre de «voyous». Une affaire simple à qualifier et à classer. Le binôme «bons-méchants», «voyous-policiers», «grévistes-otages», «moutons blancs-moutons noirs», qui se retrouve en permanence dans le discours sécuritaire en France comme en Suisse, fonctionne de sorte à fonder une politique répressive de plus grande ampleur. Cette posture a permis à Sarkozy d’occuper une bonne partie du terrain du Front national de Le Pen.
Sarkozy devait surtout parler du «pouvoir-d'achat-des-Français». Tout le monde le disait. Pourtant, tous les économistes et autres «experts» convenaient que celui qui dirige la France ne dispose d’aucun pouvoir pour augmenter les salaires. Le MEDEF (organisation du patronat) – ou plus simplement ceux qui remplissent les avions «présidentiels» en Chine, puis en Algérie et avant en Libye – émettent sur cette question des opinions très écoutées par leur président. Certes, Sarkozy, peut augmenter le SMIC (le salaire minimum) ou les salaires des fonctionnaires. Toutefois, personne ne cultivait une illusion en la matière.
Ce que Sarkozy a proposé correspond, pour l’essentiel, à une orientation depuis longtemps appliquée en Suisse par le patronat – et avalisée par les appareils syndicaux – en matière de temps de travail, de contrats collectifs et de législation du travail.
Sarkozy a prôné une extension des accords d'entreprise qui dérogent aux conventions collectives de branche. Cela avait été préparé par la Loi Fillon – l’actuel premier ministre – en janvier 2003. La loi Fillon impliquait le relèvement du plafond annuel d'heures supplémentaires (de 130 à 180 heures) et une modulation de leur paiement selon la taille et le secteur d'activité des entreprises. Elle encourageait les branches professionnelles à négocier, plutôt qu'à recourir à des dispositions réglementaires et législatives.
L’avancée de Sakozy possède une tonalité helvétique: introduire des «accords entreprise par entreprise» qui suspendent l’application de la loi sur les 35 heures ; donc attaquer l’article premier de la loi Aubry (du nom de Martine Aubry) de janvier 2000, le seul vraiment important pour les salarié·e·s. C’est-à-dire celui qui définit les 35 heures comme la durée légale hebdomadaire du travail d'ordre public, selon la formule en vigueur en France. En effet, la notion «d'ordre public» s’oppose à la volonté patronale – qui s’exprime internationalement avec force depuis deux décennies – de faire travailler plus… pour eux ! Patronat et gouvernement en utilisant le «slogan travailler plus pour gagner plus» font, aussi, l’impasse sur ceux et celles qui voudraient disposer d’un travail à temps plein afin de gagner un peu plus et de ne plus être soumis à un travail à temps partiel imposé (les femmes, en priorité) comme sur les chômeurs et chômeuses interdits de travail.
Dans cette perspective, la loi et les conventions collectives de branches doivent passer à la trappe. C’est ce qui domine en Suisse. Et la dernière convention de branche importante, celle du gros œuvre (construction), subi des attaques frontales depuis mai 2007.
En fait, Sarkozy comme la droite suisse – PDC à l’UDC en passant par le PRD – au nom de la flexibilité – visent la suppression, de facto, de la limitation légale du temps de travail. C’était une des conclusions de l’ouvrage de Pietro Basso – Temps Modernes. Horaires antiques – publié aux Editions Page deux (Lausanne, 2005)
Cette offensive est à mettre en relation avec le détricotage du Code du travail dont la «réécriture» doit être examinée par l'Assemblée nationale le mardi 4 décembre 2007. Gérard Filoche en explique l’enjeu dans l’article publié ci-dessous. (cau)
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Le code du travail va être réécrit en quelques heures à l’Assemblée nationale, le 27 novembre et le 4 décembre
En 2005, une commission de cinq «rédacteurs» avait été mise en place et il était prévu de publier le nouveau code en mai-juin 2006 si la grande mobilisation victorieuse contre le CPE ne l’avait empêché. Au forcing, l’UMP a glissé dans la loi «sur le développement de l’actionnariat salarié», publiée le 30 décembre 2006, un «cavalier parlementaire», l’article 57, renouvelant les délais du 1er janvier au 30 septembre. Puis le ministre Gérard Larcher a annoncé qu’ils allaient le passer avant la présidentielle. Tous les syndicats ont protesté : «Ne faites pas de coup de force, pas à marche forcée !» Mais Larcher, Villepin, Chirac et Sarkozy l’ont imposé quand même, le 7 mars, en Conseil des ministres. On a donc pu, dans ce pays, en dépit de l’opposition totale des syndicats, changer le code du travail de fond en comble.
On est, depuis le 1er octobre, dans une zone de non-droit : quel code s’applique, l’ancien ou le nouveau ? La partie réglementaire serait prête le 1er janvier 2008, applicable le 1er mars 2008 au plus tard. La partie législative n’entrerait, semble-t-il, mais c’est contesté, en vigueur qu’à ce moment-là.
Sur le fond, ils n’ont rien simplifié, ils ont complexifié : «Plusieurs mois, voire plusieurs années seront sans doute nécessaires pour que ce nouveau code révèle tous ses secrets», a reconnu Christian Redé, l’un des cinq rédacteurs du «comité d’experts».
Il y avait 271 subdivisions, on en arrive à 1 890. Il y avait 1 891 articles de loi, il y en a 3 652 ! Ils ont déclassé près de 500 lois en décrets modifiables à l’avenir… sans repasser par le Parlement. Ils font s’écrouler toutes les jurisprudences, abrogent des articles clés, restructurent le fond théorique et pratique du code. Tout est modifié. Dans les questions d’hygiène, de santé, de sécurité, les obligations des employeurs sont devenues un élément avec «les obligations des travailleurs» faisant partager les risques et responsabilités avec les salariés – ce qui est un recul décisif d’un siècle !
Certaines catégories de salariés sont externalisées vers d’autres codes : salariés agricoles, assistants maternels, salariés du transport, des mines, de l’éducation, marins, dockers. Les contrats de travail sont de plus en plus précaires avec la permissivité à l’égard du marchandage du prêt de main-d’œuvre : intérim et CDD, salariés détachés, pigistes, indépendants, etc. Les moyens de contrôle de l’inspection du travail sont démantelés, ainsi que les obligations d’information de l’employeur (registres, affichage). On a une quasi-suppression du droit pénal du travail : plus de sanctions prévues en récidive pour les employeurs. Les prud’hommes sont quasi supprimés, le nombre de délégués baisse. La question de la durée du travail est renvoyée à la partie «salaires».
L’apprentissage a été chassé de la partie «contrat de travail» pour être renvoyé à la formation professionnelle. Le droit de grève a été introduit dans la partie «négociation collective» alors que c’est un droit constitutionnel non négociable. L’inspection du travail, indépendante des gouvernements en place du fait de la convention 81 de l’Organisation internationale du travail, a été renvoyée dans la partie «administration du travail».
Tous les professionnels – syndicalistes, inspecteurs du travail, juristes, avocats, magistrats – signent des pétitions, des appels contre ce massacre. Des recours devant le Conseil d’Etat ont été déposés contre cette étrange procédure, alors le gouvernement envisage de passer par l’Assemblée plus tôt que prévu : le 27 novembre en commission. Ce n’est pas un classique débat parlementaire, il s’agit de ratifier une ordonnance. On peut encore rétablir ce qui a été supprimé (nous avons fait le travail, avec quelques inspecteurs du travail, et proposons environ quatre cents modifications pour réintroduire le droit constant).
Le code du travail, c’est le droit le plus intime, le plus quotidien, pour seize millions de salariés du privé, mais aussi le droit le moins connu, le plus contesté, le plus fraudé. C’est la base de l’Etat de droit dans l’entreprise. C’est le seul droit qui protège – trop fragilement – et contribue à fixer le coût de la force de travail de 91 % de la population active.
C’est un droit évolutif, élaboré en cent trente ans, avec des hauts et des bas, minutieusement, sous l’impact des luttes sociales et politiques. Chaque ligne, chaque article, chaque alinéa représente de la sueur et des larmes, des souffrances et des grèves, des victoires et des échecs, produits de toute l’histoire des mouvements sociaux de notre pays. C’est un texte de notre droit qui ne devrait pas être réécrit. Ce qui est effrayant, c’est le silence général, déterminé, étouffant sur une telle affaire. Pas de une. Pas de débat. Pas d’explication. Motus et bouche cousue de tous. Il paraît que c’est «trop compliqué» pour «intéresser les gens» alors que la vie de seize millions de salariés en dépend et qu’ils savent, souvent instinctivement, ce qui va en résulter pour eux : des conditions de travail dégradées, une souffrance accrue, une protection moindre, des salaires bloqués et des droits syndicaux diminués.
* Géarard Filoche est inspecteur du tavail. Il anime la revue mensuel Démocratie et Socialisme. Il a récemment publié: La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ?, Jean-Claude Gawsevitch éditeur, 2006.
(4 décembre 2007)
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