Europe-France
Quelques réflexions plus générales,
suite aux élections présidentielles en France!
par Jean-François Marquis et Charles-André Udry
Les élections présidentielles françaises mettent le doigt sur une série de questions importantes auxquelles s'affrontent toutes celles et tous ceux qui sont convaincus de la nécessité de s'engager - entre autres sous une forme politiquement organisée et avec des lignes programmatiques définies et discutées de manière continue - dans un mouvement d'ensemble en perspective d'un changement radical de société (ce qui pose un grand nombre de questions au centre desquelles se trouve celle la propriété privée et sa reproduction sur tous les plans), donc pour une rupture avec le capitalisme.
Cette rupture (dont les modalités sont l'enjeu de véritables discussions, souvent esquivées) s'impose pour faire surgir les conditions permettant de répondre aux besoins fondamentaux et aux aspirations, diversement formulées, de la grande majorité de la population à l'échelle continentale et mondiale; la seule échelle pertinente (ce qui n'exclut évidemment pas les combat initiaux au plan national).
Parmi les questions les plus immédiates, nous pouvons en citer quatre.
1. La faillite de la gauche institutionnelle («historique»).
Pour rappel, partout en Europe, le PS de Jospin - et dans son sillage la «gauche plurielle» - a été présenté dans la seconde moitié des années 90 comme l'aile gauche de «l'Internationale socialiste», l'alternative face à la troisième voie de Blair et de Schröder. C'était la gauche des 35 heures, dont les dirigeants du mouvement syndical suisse s'inspiraient pour leur initiative «pour une durée de travail réduite». C'est la gauche dont le dirigeant de PRC, Bertinotti - pour ne pas mentionner le centre continuiste PCI du Parti de la Refondation Communiste (PRC) - disait, alors, qu'elle représentait une «alternative» plus ou moins acceptable.
Or le bilan massif de salariés en France, qu'on retrouve dans les reportages du quotidien Libération, c'est: «la gauche s'est foutue de nous. Les 35 heures, c'est une escroquerie».
Ce bilan de faillite de la gauche parlementaire/institutionnelle - et intégrée aux rouages du capitalisme à tous les échelons - est généralisé en Europe.
La grève des métallos en Allemagne, par exemple, a été la conjonction d'un mécontentement croissant des salarié·e·s et, y compris, de la bureaucratie syndicale de l'IG Metall. Cette dernière a constaté que le gouvernement Schröder n'a pas tenu une seule promesse, et qu'elle ne peut plus dans ces conditions lier son sort à ce gouvernement, qui risque, de plus, de perdre les élections de cet automne 2002. Cette distance d'autoprotection n'implique pas un tournant à gauche. Mais, elle traduit une relation de distance (au moins apparente) nécessaire pour gérer des rapports avec une fraction des travailleuses et travailleur. L'accord passé au plan économique ne modifie pas substantiellement la situation; les gains de productivité sont là pour «avaler» les dites augmentations de salaire. la situation sera même utiliser par le patronat pour justifier des restructurations et coupes dans l'emploi, en sachant que, sur ce terrain, la riposte syndicale serra quasi nulle.
Pour comprendre cette situation, il faut revenir à la pièce centrale de la politique de Schröder: c'était l'Alliance pour le travail (Bündnis für Arbeit), construite autour d'une idée: accepter la modération salariale contre des créations d'emplois. Or le bilan est net: c'est une pure escroquerie pour les salariés, dont le pouvoir d'achat a baissé et qui n'ont pas pour autant vu l'émergence de nouvelles places de travail. Le chômage reste élevé et est utilisé contre les salarié·e·s; ce qui n'a pas empêché toutefois une mobilisation plus vivante dans la métallurgie.
Il faut donc prendre la mesure de cette faillite.
1°) Une faillite du «projet», du moins du projet tel qu'il était encore présenté dans les années 1980. Sur le fonds c'est la conséquence logique d'un «renoncement» - souvent explicite - à deux exigences sans lesquelles il n'y a tout simplement pas un projet dit de gauche: la conviction qu'il est nécessaire et possible de rompre avec le capitalisme, avec la dictature de la propriété privée et du type de marché qui lui est intrinsèque; la conviction que le changement social sera le résultat, s'il existe, de l'action collective, de l'auto-organisation des salarié·e·s. Sous-jacent à ce deuxième volet, il y a la conviction raisonnée qu'à certain moment le prolétariat (au sens large du terme, soit une grande partie des salarié·e·s) - malgré tous les processus propres à leur subsomption («être pris dans») à la machine du Capital - peut s'engager dams des batailles, des luttes, des revendications qui ont leurs corrélations au plan des expériences, de l'organisation et de la conscience et qui débouche sur une mise en cause du système.
Le résultat de ces «renoncements» - en fait de l'application d'une ligne qui pour fondement social et subjectif cette intégration plus profonde que jamais au système - est là: ces forces sont aujourd'hui les agents actifs, avec une touche sociale bien sûr, de la soumission de toutes les facettes de la vie sociale aux exigences de rentabilisation du capital (sous la formel et le contenu qu'a pris la dite mondialisation de ce capital, avec sa dimension rentière).
Au plan international, elles s'engagent pour l'acceptation du nouvel ordre impérialiste mondial imposé sous la houlette des Etats-Unis. Dans un pays comme l'Italie, on voit la gauche plurielle de la botte, l'Olivier, faire le concours avec le gouvernement Berlusconi pour démontrer qu'elle a une politique plus efficace pour contrôler les sans-papiers: en demandant que ceux-ci soient non seulement enregistrés avec leurs empreintes digitales; mais que tous les Italiens le soient (proposition du candidat de la «gauche: Rutelli, ex-maire de Rome).
Les ralliements de cette «gauche» aux campagnes militaires impérialistes représentent une autre expression cette politique social-chauvine, pro-impérialiste et qui n'a même plus rien à voir avec le «réformisme» tel qu'il pouvait être présenté dans les années trente ou cinquante (à Bade Godesberg, le SPD disait que le capitalisme allait, grâce à l'intervention de l'Etat et à la sécurité sociale.... naturellement vers le «socialisme»! Cela était offert comme une «alternative»)
2°)Une faillite de toutes les composantesde la gauche plurielle. Car toutes ces composantes - aile gauche du PS, verts, PC - ont rallié ce double «renoncement».
Prenons un exemple venu d'Allemagne. Le PDS (Parti de la gauche démocratique) a souvent été présenté comme l'exemple d'un «renouveau» d'un parti communiste. Comme si son histoire stalinienne n'avait pas existé et ne constituait pas une des éléments de sa ligne au présent; le masque peut changer, la structure de la tête pas. Il y a une continuité, plus ou moins visible, qui est le produit d'une histoire assumée de façon objectiviste (donc avec un système d'excuses, mais pas avec une approche de divorce à partir d'une d'appréhension des potentiels révolutionnaires brisés par les PC), d'une sélection politique. Des camarades italiens de Bandiera Rossa ont bien mis en relief cette dimension même pour PRC (voir entretien avec Franco Turigliatto dans à l'encontre).
La participation aux campagnes anti-guerres du PDS - qui pouvaient facilement être habillées en campagnes anti-américaines (anti-américaimse qui est l'expression de la bêtise de la gauche qui ne comprend pas le rôle et la place historique du prolétariat américain et n'analyse pas la structure de classe de ce pays et son histoire) a fait illusion. auprès de ceux et elles qui, voulant justifier leur alliance (avec une dimension programmatique-pratique), sont contraints de valoriser ces PC. Ils agissent de façon analogue aux courants marxiste-révolutionnaires entristes dans les PC, au cours de la seconde moitié des années 60. Parfois, ces derniers présentaient sous un angle quelque peu embelli les potentialités des courants dit «centristes» dans les PC.
Ainsi, lundi 14 mai, Gregor Gysi, la figure emblématique du PDS a invité les métallos berlinois à ne pas faire durer trop longtemps leur grève, car cela nuirait à l'économie. Il s'est aussi prononcé contre l'égalisation des salaires entre Est et Ouest, pour défendre les avantages comparatifs de l'Est. Gregor Gysi est aujourd'hui sénateur de Berlin, c'est-à-dire membre de l'exécutif de la capitale allemande, responsable des questions économiques, dans le cadre d'une alliance avec le SPD.
On connaît aussi très bien cette réalité en Suisse: l'aspiration pour les composantes de la gauche plurielle à participer à la gestion des affaires et dès qu'elles y sont installées à les gérer en parfaite harmonie avec les élus du parti socialiste (Verts, POP/PdT, Alliance de gauche, solidaritéS-Neuchâtel).
3°) Une distanciation vertigineuse des liens avec les salarié·e·s, entre autres les nouvelles générations. Cela est représenté, en France, par l'effondrement du PCF. Elle est la conséquence de la faillite du «projet», ou plus exactement de la subordination, logique, à un autre réformisme dégénéré, celui de la social-démocratie présente.
Fait très important, la faillite de ce lien ne se produit pas à un moment où il n'y a plus de mobilisations sociales. Au contraire. Pensons: aux mobilisations en France après le 1er tour; à la grève générale en Italie; à la relance des luttes ouvrières en Grande-Bretagne; aux grèves en Allemagne; aux engagements multiples du mouvement dit anti-mondialisation (ou nomment aussi altermondialiste; ou encore anti-impérialiste).
Le constat est net: nouer des liens avec ces mobilisations et ces prises de conscience ne passe plus par une politique d'alliance avec cette gauche plurielle. Et les explications sociologiques sur le salariat ne sont pas suffisantes pour rendre compte de cette distanciation. Souvent, elles ont fonctionné comme justificateur scientifico-idéologique de la «modernisation» des lignes des PS (PS français) ou des PC (PCI, PDS).
Ce constat d'inadéquation partielle entre distanciation des liens avec le salariat et relance des luttes ne débouche pas une analyse béate des rapports de forces entre classes. Ils sont mauvais; mais pas au point de décourager des luttes et de laisser apparaître des crises politico-institutionnelles.
2. Le rouleau compresseur de contre-réforme conservatrice
La droite française ne sort pas indemne des élections présidentielles (une perte de voix importantes et une abstention qui sanctionne droite et gauche), même si elle a conservé la présidence et des chances de gagner les législatives. Ces faiblesses politiques, qui peuvent même être demain facteurs de crise politique, ne doivent pas cependant faire oublier, la force, pour l'instant sans cesse renouvelée, de la contre-réforme néo-conservatrice, de la détermination et de la systématique avec laquelle les classes dominantes font avancer leurs projets. A tous les niveaux.
- A l'arrière plan des élections françaises, il y a ainsi la refondation sociale du Medef (organisation patronale française). Et avec l'élection de Chirac et le ministre de l'économie et des finances Mer (patron de la sidérurgie) la volonté d'avancer sérieusement dans sa mise en úuvre. Ce qui n'exclura pas, d'ailleurs, la «concertation sociale», comme le «prouve» la rencontre organisée par le premier ministre Raffarin avec le patronat et les syndicats.
Il faut avoir en mémoire la déclaration d'Ernest-Antoine Seillière: «Le Medef apprécie et souligne que le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin est un homme de terrain qui a l'expérience de l'entreprise", a-t-il (Seillière) déclaré lors de son point de presse mensuel. Ce commentaire, au lendemain du conseil exécutif du mouvement patronal, est la première réaction du Medef depuis la formation du gouvernement. Au soir du second tour de l'élection présidentielle, Seillière avait adressé ses "vives félicitations" au président réélu Jacques Chirac...
Le Medef a relevé aussi qu'il "fait une large place à la société civile dans son gouvernement, en nommant des personnalités à la fois nouvelles et quelquefois imprévues, ce qui constitue pour nous une très bonne indication". Il a ainsi salué la nomination de l'ancien co-président d'Arcelor, Francis Mer, à Bercy. C'est "quelqu'un que nous connaissons très bien", a souligné Seillière. M. Mer avait été chargé par le Medef de la négociation sur la formation professionnelle dans le cadre de la refondation sociale».
- L'Union européenne(plus exactement cette coordination des gouvernements qui s'affirme comme ,au-dessus des gouvernements) agit comme une institution «donnant la ligne» des contre-réformes dans tous les domaines essentiels: les retraites (fonds de pension et individualisation), services publics (privatisation), marché du travail (flexibilisation); tout cela était à l'ordre du jour du sommet de Barcelone en mars 2002.
L'UE sert aussi à faire apparaître comme imposés de l'extérieur, donc incontestables, ces choix à la détermination desquels tous les gouvernements des pays membres de l'UE ont pourtant pleinement participé. L'UE met au pas le Portugal - et son nouveau gouvernement de droite qui le veut bien, au même titre où le social-démocrate Eichel critique Jacques Chirac pour ses promesses dispendieuses... avant les législatives - pour qu'il applique une politique de rigueur budgétaire. La Banque centrale européenne (BCE) intervient directement dans la grève des métallos en Allemagne pour dénoncer les revendications «excessives».
Dans le contexte politique actuel, dans la conjoncture politique présente (qui était prévisible depuis un certain temps), répéter que la gauche radicale en Suisse est favorable à un OUI à l'entrée dans l'Europe (soit dans l'UE) parce que cela faciliterait l'adhésion aux dispositifs des organisations ouvrières (à la CES bureaucratisée et payée par l'UE?) européennes de la part du mouvement syndical suisse nous semble devoir susciter plus que des doutes. La connotation politique du OUI, dans cette conjoncture politique donnée et par rapport aux batailles syndicales en cours en Suisse, ne nous semble pas être secondaire.
Il en allait de même pour un OUI à l'ONU- dans un contexte de guerre impérialiste où l'ONU est réduite à être le junior partenaire des Etats-Unis qui ont des bases militaires directes et indirectes dans quelque 120 pays - au nom d'une transparence des positions de l'impérialisme suisse. Qu'on fait de cette explication ceux qui l'on invoquée dans la presse à l'occasion des derniuères décisions sur l'embargo face à l'Irak, pour ne pas mentionner d'autres cas? Rien.
Il est vrai que les mêmes (ex-membres de solidaritéS-Vaud co-signent et co-écrivent des tracts qui affirment: «Il faut leur[aux militants des missions civiles en Palestine] offrir l'audience la plus large, afin de sensibiliser la société civile et d'exercer les pressions nécessaires pour que nos[sic] autorités assument leurs engagements internationaux et contribue à faire respecter le droit et la justice»(tract d'appel du Collectif Urgence Palestine pour meeting-débat du 16 mai-Lausanne). Quiconque connaît l'idéologie et la pratique de la diplomatie de l'impérialisme helvétique ne peut que constater que ce genre de formule, d'une part, révèle la méconnaissance (réelle ou feinte...pour «toucher des gens»?) du fonctionnement de l'impérialisme suisse qui, fort bien, «assume ses engagements». D'autre part, on retrouve un langage utilisé par l'impérialisme suisse (commun à la DDC et à des services diplomatiques prenant des initiatives en Amérique centrale au cours des années 1980 ou à l'ONU actuellement - le même François Nordmann, lié historiquement au PSS - ou encore dans le Proche-Orient). Ce langage est fonctionnel: à sa «politique de bons offices» (exercée en Colombie et en Palestine); à sa couverture offerte à une «aide au tiers-monde» dans laquelle les ONG sont subordonnées à l'Etat et aux organisations patronales; à cette politique qui est le complément des opérations de Couchepin et d'économiesuissedans l'implantation industrielle et financière au sein les pays dominés (du Venezuela à l'Argentine... et à Israèl, avant-garde de l'impérialisme dans le Proche-Orient).
En conclusion, ces confusions (ou l'ignorance présentée comme un non-sectarisme) entretenues servent ceux et celles que cette «gauche» est censée combattre. Elles cultivent une mythologie qui est une des composantes du social-chauvinisme, dont la facette «paternaliste» et «caritative» a toujours été au centre de l'orientation de l'essentiel du PS et des organisations dites «d'entre-aide».
- L'ordre international impérialiste façonné sous la houlette des Etats-Unis. Nous ne développerons pas ce thème, car il doit être discuté dans le cadre de la préparation de notre Assemblée constituante. Toutefois, un point mérite d'être posé: le type de direction impérialiste à l'úuvre est-il marqué par la phase actuelle du capitalisme impérialiste. Nous le pensons. Nous ne pouvons offrir une vision d'ensemble ici. Toutefois, deux éléments devraient être mis en relief. Le premier a trait aux relations entre les pôles du capital financier (au conglomérat industriel et financier avec les exigences de profit qui en découlent dans cette phase de crise structurelle et de centralisation/concentration du capital) et les exécutifs politiques et surtout les administrations étatiques. Les cas d'Enron, comme du Crédit Suisse, de Swissair, de Vivendi illustrent la jonction entre les instruments de la dérégulation (législatifs nationaux, institutionnels proto-étatiques: UE, OMC, FMI, OCDE, etc) qui sont mis en place après une première phase de réorganisation du capital et qui lui assurent une croissance vertigineuse (et périlleuse) dans une phase consécutive. Le second découle du premier et vaut particulièrement pour les Etats-Unis: le poids des secteurs rentiers-mopolistiques dans l'appareil d'Etat est énorme: de l'armement, en passant par l'Etat pour aller à l'énergie et aux bio-technologies. Ce genre de secteur exige des contrôles et un modelage stricts de la force de travail, et donc de l'ensemble des forces productives, dès lors de la nature et des territoires. Ce qui est des facteurs qui débouche sur la politique de recolonisation. Sans cet élément, toute la thématique écologiste est traitée sous l'angle d'un déterminisme technologique à la Mumford et passe à côté de la jonction entre mouvement social, mouvements paysans, luttes syndicales, question de la propriété, etc... et perspectives écologiques, qui ont à voir avec la production et la reproduction de la vie.
- Donc, on continue ainsi à progresser un ordre économique et social réactionnaire, profondément inégalitaire, qui impose sa cohérence et puise sa force dans cette cohérence, qui s'inspire y compris des visions du monde développées dans les secteurs de la droite la plus conservatrice.
Face à cela, il n'y a pas seulement un besoin de résistances, mais aussi d'une revalorisation d'une perspective socialiste qui partent classiquement des développements du capitalisme, de ses contradictions (endogènes) criantes qui infériorisent (sur tous les plans) des parts entières de l'humanité et conduisent à des catastrophes (pas seulement écologiques), qui créent en même temps une socialisation de la force de travail (collaboration de fait entre salarié·e·s) à l'échelle internationale qui potentiellement tend à faire éclater le carcan étroit (en termes de propriété privée, d'Etat-nation, de relation de genre, de «races) dans lequel cette socialisation est enfermée. Relancer une discussion large sur une économie et une société socialisée est une urgence politique et idéologique.
3. Le vote Le Pen et d'extrême droite
La surprise de ce résultat montre comment on est influencé par les médias qui sont aujourd'hui des machines à cultiver la superficialité, à déréaliser le monde en l'hyperréalisant (l'emphase du détail et de l'événement décontextualisé).
En fait, dès 1997, et la victoire de la gauche aux législatives, la cohabitation (entre Exécutif présidentiel, gouvernement et assemblée législative) apparaissait comme une machine à désillusionner et... nourrir le vote le Pen. Cela avait été dit dans nos rangs. Et oublié.
- Il y a une consolidation d'un vote d'extrême droite, depuis le milieu des années 80, à un niveau important (15% et plus). Son acte de naissance indique aussi ce qui le nourrit: la démolition sociale provoquée par la mondialisation capitaliste (et incarnée notamment par l'Union européenne, cache sexe des politiques gouvernementales) et les désillusions face à la gauche. C'est ce contexte qui a rendu possible la crédibilité d'une réponse sociale-nationaliste. Que l'on retrouve, sous des formes très différentes partout en Europe.
En outre, l'appel répété par le social-libéralisme à une «modernité» qui. pour une part importante de la population se concrétise par une insécurité sociale, par une précarité des emplois et par le sentiment (fondé très concrètement) d'être exproprié encore plus des possibilités de décision à l'échelle nationale, a suscité une réaction de recours conservateur et nationaliste; ce d'autant plus qu'une perspective socialiste à l'échelle européenne est absente.
Enfin, le vote Le Pen (ou Madelin sur une autre facette sociale) est aussi le résultat d'une naturalisation acceptée des différenciations sociales accrues, de la méritocratie, d'une approche contractualiste et individualiste (aidée par la «force de l'ordre») des questions sociales. Cette idéologie néo-conservatrice a été diffusée par la droite et le social-libéralisme et récupérée par la social-nationalisme. Le processus n'est pas que français et doit appeler à une réponse concrète, prioritairement social, économique et politico-institutionnelle (entre autres au plan de l'Europe: Assemblée constituante, contenu différent de la dite subsidiarité au plan décisionnel et financier, place d'une Banque centrale, droit du travail et législation concernant les contrats collectifs, droit des immigrées, etc...). En effet, le sentiment - tout fait justifié - de n'avoir aucune prise sur les décisions gouvernementales nationales, «parce que Bruxelles décide» est répandu. Certes, c'est une fable: Bruxelles, c'est d'abord la coalition des gouvernements nationaux et de leurs ministres des finances (ECOFIN). Les gouvernements nationaux se défaussent sur Bruxelles et sur l'UE. Cela est utilisé par des forces social-nationaliste (en fait néo-conservatrices nationalistes et autoritaires) pour faire valoir une opposition à Maastricht ou à l'Euro et récupérer une partie de ces «sentiments de dépossession».
Il faut aussi marquer la différence de «ressources» politiques dont disposent les forces de la droite extrême ou social-nationaliste: dans l'entre-deux guerre elles tentaient d'offrir un nouvel espace avec ce que cela incluait de possible ascension sociale parmi des populations marquées, en partie, par les migrations: une conquête de l'Europe et du monde pour les nazis et un «remake» de l'empire romain» pour le fascisme italien. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ce qui limite leur emprise. «L'espace» offert est interne: prendre la place des immigré·e·s... Ce qui est assez restreint. ce d'autant plus qui le patronat - du moins dans une situation économique pas similaire à celle de 1929-1930, et encore - use et abuse des migrations.
Face à cette réalité, quelle réponse a existé en France?
- Il y a eu la mobilisation de masse, exemplaire, et dont la LCR a été un des éléments décisif (à la différence de LO qui s'y est refusé...
- Il y a eu le Front républicain (FR), dans lequel s'est engouffrée la gauche comme un seul homme et qui a fait une pression sur l'extrême gauche au point que le dernier mot d'ordre de la LCR pouvait aussi se lire comme un appel, honteux, à voter Chirac. Seul LO a résisté.
- Il est utile, ici, de rappeler l'expérience suisse. Depuis plus d'une décennie, la gauche helvétique a participé au front des modernescontre les archaïques, au front des raisonnablescontre les extrémistes, soit disant pour faire barrage au danger principal (dans la meilleure tradition maoïste!): l'UDC.
Même à Genève, lors des élections, on a eu une réaction de ce type. On a eu à l'échelle européenne la même réaction face à Haider en Autriche (là, le traitement bordait le racisme anti-autrichien, en oubliant que le prolétariat autrichien était celui qui avait combattu avec énergie le nazisme et l'extrême-droite et s'était fait écraser. au nom d'une politique raisonnable de la social-démocratie, en 1934). La «fascisme alpin» relavait aussi d'une naturalisation à connotation raciste... certes involontaire, mais révélant le degré de dépolitisation de la «gauche» suisse.
Le bilan de ces expériences est catastrophique, car il renforce le terreau où se nourrit la droite extrême: les mains sont laissées libres aux classes dominantes «raisonnables» pour mener leur programme de modernisation, de revitalisation (en fait de contre-réforme), dans un cadre de concertation sociale; c'est-à-dire la caution politique et idéologique de ce qui s'appelle la gauche à ces programmes. Cette caution suscite une dépolitisation entre autres dans des secteurs de la jeunesse...qui comprennent trop bien que les frontières d'intérêts sont effacées, à l'avantage des intérêts des dominants... que certains tenteront, par la voie individuelle, de rejoindre (selon les méthodes des jeux télévisés: la chance et la volonté!).
De plus cela légitime la droite pour taper sur les extrêmes, y compris sur l'extrême gauche. LO a subi des attaques forte de la social-démocratie et de la droite: c'est une tentative de criminaliser celles et ceux de ce que la droite et la social-démocratie jugent comme un «danger» pour la mise en place de cette difficile, trés difficile «américanisation» (bipartidisme bourgeois, lobbies, médias) de la vie politique de tous les pays européens.
4. L'écho rencontré par l'extrême gauche
Cet écho, en France est lui, exceptionnel. Il n'existe pas, en Europe (même pas en Italie) des forces anti-capitalistes, révolutionnaires, qui aient cette audience. De plus, cela n'est pas un épiphénomène; cela dure depuis des années maintenant.
Mais il y a surtout deux problèmes qui nous concernent aussi directement:
-il y a un besoin évident de réponses, crédibles, pour un chemin de rupture avec le capitalisme, à l'échelle européenne. C'est une des conditions sine qua non pour faire reculer une option sociale-nationaliste. Les enjeux sont européens: retraites, flexibilté du travail (Barcelone, la grève des métallos, Italie), services publics. Sans parler de «l'ordre impérialiste» du monde qui se met en place, à marche forcée après le 11 septembre, et auquel les pays européens impérialistes participent pleinement.
Non seulement des revendications d'urgence: interdiction des licenciements, mais des projets de comment se réapproprier la maîtrise sur les choix de la société, donc la question d'une socialisation des secteurs stratégiques de l'économie, sans quoi toute idée de maîtrise est illusoire.
- il y a un besoin de réfléchir - et d'échanger dans une discussion organisée, écrite, durable - comment des forces anticapitalistes peuvent redevenir des mouvements populaires, c'est-à-dire enracinés, articulé avec les différentes formes de mobilisations sociales. Quelle convergence réelle, et pas dans les paroles, existe entre 1995 (mouvement de grève en France), le développement d'attac (en France, en Allemagne, etc) et le mouvement anti-mondialisation ou encore la mobilisation jeune anti Le Pen, comme les mobilisations pour la défense des droits du peuple palestinien.
Ces questions: on se les pose en observant ce qui se passe en France, c'est pour chercher à leur apporter des réponses, pratique et en termes projets-programme, que se constitue le MPS. (17 mai 2002)
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