France

Toulouse

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Nous les banlieusards

Jean-Loup Azema *

Ainsi les «sauvageons» seraient devenus des voyous, des criminels qui brûlent leur propres écoles, leurs voitures, leurs centres commerciaux et culturels. En plus d’être des hors la loi, ce seraient tout simplement des imbéciles. S’il y a débilité c’est du côté des discours que l’on entend depuis une semaine sur «l’intégration» ratée par tous les gouvernements, le sarkonazisme et l’ineffable fracture sociale mise en abyme.

Intégration? Qui doit intégrer qui et quoi? 60% de la population française est suburbaine. Paris c’est deux millions intra-muros, dix millions de banlieusards. Doivent-ils s’intégrer au ghetto-bobo-socialo-démocrate du marais et manifester ainsi leur tolérance à l’homosexualité - s’il faut absolument stigmatiser des minorités!

Eux au moins, les suburbains, peuvent se targuer d’être la majorité, ce qui paraît-il en démocratie est la loi d’airain. Les urbains et les ruraux réunis, c’est en gros l’équivalent de la force de frappe de la gauche de la gauche, soit 15 % , soit la moitié de l’extrême droite et de la droite extrême réunies. Ce qui permet avec l’apport de l’extrême gauche de créer une majorité contre le TCE par exemple, mais rien d’autre... Ceci pour fixer les rapports de force et indiquer de quel côté la tartine est beurrée dans le discours sécuritaire dominant et comment il ne faut pas croire que du haut du Larzac, avec une besace de postier et un buffet aveyronnais on représente la France, même allié au plus mondain des ex-premiers ministres de «gauche». Tout politique, tout militant qui ne se contente pas de jouer la «belle âme» à la virginité toujours outrée, doit à la fois s’intéresser aux faits, à leur interprétation et à l’usage scandaleux qui en est fait dans les médias, redevenus «voix de son maître» en urgence. Donc connaître d’abord, pour comprendre ensuite et agir enfin sur autre chose que sa bonne conscience.

Le suburbain, c’est l’essentiel et non la marge d’une société dont des minorités refuseraient de s’intégrer au modèle parisien. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Paris c’est la France pyramidale et jacobine d’où toutes les nationales partent, comme les idées ou le manque d’idée, et les décrets, décentralisation et déconcentration administratives comprises. En clair une synthèse d’ignorance et d’incompétence éclairée de son inefficace suffisance enarchique ou pas.

Quid des banlieues, quartiers, zones sensibles et autre noms d’oiseaux pour lettré décalé? A défaut d’ethnologie suburbaine sérieuse (faute d’intérêt et de crédit) on ne peut se risquer qu’à ce que l’on connaît bien, parce qu’on y vit, sans en faire un paradigme ni un discours mondain et encore moins un fil d’Ariane politico-médiatique pour 2007.

Il n’y a pas la banlieue, il y a les banlieues avec leurs histoires propres et le phénomène suburbain général qui a ses spécificités locales et historiques. En gros trois banlieues dans leurs sédimentations temporelles qui cohabitent dans l’attention ou la tension selon le rapport entre pressions internes et pressions externes.

Il y a une première banlieue traditionnelle (BT) pavillonnaire qui, selon que l’on Choisy le roi ou Bourg la reine, est le dernier refuge aristocratique d’un temps qui n’est plus. Au XVIIème et XVIIIème c’était le «désert» où on allait chasser. Dans la deuxième moitié du XIXème et la première du XXème, les pavillons de chasse sont remplacés par la ceinture industrielle ouvrière rouge teintée du seul vert de ses jardins ouvriers quand le patronat paternalise . Ce sont ces petits pavillons tant recherchés aujourd’hui du bobo externalisé de ses murs quand il veut jouer au campagnard ou planter en pleine terre ses plants à cinq feuilles. Très tendance le barbecue aux fines herbes.Voilà pour la première banlieue historique et fossile.

La deuxième banlieue est liée à la fois à la décolonisation, aux trente glorieuses et à l’importation massive de main-d’œuvre non qualifiée (pompeusement appelé «ouvrier spécialisé» – OS – parce que justement spécialisé en rien donc pouvant servir à tout). Allié à la pression démographique du babyboom, il faut construire à la hâte du logement social, éradiquer le bidonville de Nanterre pour que les babyboomers puisssent aller à l’université et exiger de pouvoir visiter les filles après dix-huit heures, ce qui fut l’origine du 22 mars et de Mai 68 .

Ces cités cages à lapins étaient à l’époque un immense progrès par rapport aux bidonvilles mais aussi par rapport à l’habitat urbain «prolo» traditionnel avec chiottes sur le palier et douche hebdomadaire dans le meilleur des cas.

Très vite on a parlé de cité-dortoir et de metro-boulo-dodo. On a construit un collège unique par jour et inventé «l’égalité des chances» comme attrape-couillons de la fracture sociale sciemment élaborée. C’est cette deuxième banlieue qui n’est plus viable ni vivable, celle de la relégation (BR) spatiale, ethnique, économique et sociale dont la deuxième génération se révolte et à juste titre .

Car pour commencer à comprendre dynamiquement ce qui se passe, il faut ajouter la troisième et dernière banlieue qui s’entremêle avec plus ou moins de bonheur avec les deux précédentes et constitue sans doute la goutte d’eau qui a fait débordé le vase. C’est la banlieue «classes moyennes» (BM) qui depuis dix ans interpénètre les deux précédentes pour des raisons diverses que nous ne détaillerons pas ici.

Première raison économique: prix de l’immobilier urbain locatif ou en propriété qui chasse le 75 vers le 94 et le 94 vers le 77 puis dans les villes satellites des grandes métropoles (Dreux , Evreux etc.). Deuxième raison: le désir d’habitat individuel, avec pelouse à tondre le dimanche, le 4x4 de rigueur puisqu’on est quasiment à la campagne et que l’on peut avoir besoin de monter sur les trottoirs des Halles ou de St Germain pour exhiber son statut social. Troisième raison: le loft de la désindustrialisation, à Montreuil ou ailleurs. C’est quand même plus «fun» que les sous-toits de Paris ou la maison Phenix de Ploucville les oies, dont l’espérance de vie ne dépasse pas la durée de l’emprunt qu’il a fallu contracter pour l’acquérir.

Ceux-là ont relativement de la thune et sont en général satisfaits d’eux-mêmes et s’accommodent aussi bien des municipalités communistes que des UMP et autres divers droites à condition que les infrastructures suivent (crèches, piscines, centres aérés et éventuellement culturels pour encadrer et occuper la progéniture). Une bagnole par tête de pipe donc pas de grande préoccupation quant aux transports en commun. En revanche, quelques soucis au niveau de la mixité sociale, non pas qu’elle soit absente bien au contraire.

Pour les BM elle est trop présente au niveau scolaire car les BR sont à l’évidence trop Zeppant (ZEP) et peu stimulant culturellement pour leurs enfants héritiers bourdieusiens. On ne mélange pas une deuxième génération issue de l’immigration et une deuxième génération de petits-bourgeois arrivés nulle part mais arrivés quand même. Le privé est donc florissant pour éviter les sauvageons bronzés qui s’emmerdent dans l’école républicaine qui n’est pas faite pour eux.

Donc les BR ne brûlent pas les bagnoles qu’ils n’ont pas. Ils brûlent celles des BT et des BM. Ils ne brûlent pas leurs écoles mais ils brûlent les écoles qu’on leur impose pendant quinze ans au nom de l’inégalité des chances puisque avec le même Bac + 2 , s’ils sont femme et/ou deuxième génération immigrée, ils ont deux fois moins de chances de trouver un boulot que les enfants d’héritiers BT ou BM . Des trois piliers de la «sagesse» tels qu’on nous en rabat les oreilles et les yeux dans les médias , la famille, l’école et le travail, aucun ne peut fonctionner.

Comment une famille immigrée, importée comme force de travail, dans les années 1960 peut-elle ne serait-ce que suivre ses enfants dans leurs aventures avec les NTIC, alors que la langue française est mal maîtrisée? Comment ne pas tenter en vain le retour culturel et religieux pour éviter la pollution consumériste, du sexe, de la violence et de la drogue, médiatisée. Tenir les enfants, oui mais selon quelles valeurs et avec quel avenir impossible? Y a-t-il plus de trafic de drogue dans les «quartiers» de relégation que dans le ghetto du Marais? Pas la même drogue sans doute, pas le même prix non plus ! Comment l’école républicaine qui a décidé de démocratiser en servant la même soupe à tout le monde peut-elle ne pas entraîner la rage et le désespoir vis-à-vis de cette vieillesse ennemie qui non contente de perdurer dans sa gérontocratie souhaite se reproduire à l’identique et exclure la différence ? Comment ne pas avoir envie de brûler ces lieux de ségrégation active sous couvert de sélection au mérite et d’égalité des chances ? Quant au troisième pilier, le boulot, est-il même besoin d’un commentaire quelconque?

Néanmoins, c’est vrai, force doit rester à la loi. Pour que la loi de la jungle puisse reprendre son train-train? Tout ce fric parti en fumée, c’est déplorable. Mais s’il avait été dépensé avant, au lieu d’avoir à être dépensé deux fois, une pour réparer, l’autre pour prévenir, cela ne serait-il pas mieux? Si au lieu de servir la même soupe gauloise (à prétention universelle!) on imposait en plus de ses quinze heures de cours, cinq heures de tutorat à chaque professeur qui suivrait entre cinq et dix élèves (autres que les siens) pendant une ou plusieurs années. Ne serait-ce pas mieux que l’élitisme républicain et les dix malheureux zeppards qui ont l’honneur d’accéder à Sciences Po?

Il est évident que les ZEP, magnifique idée en 1981, sont devenus des lieux de relégation scolaire pour les BR, que BM et BT fuient. Mascarade démocratique de la mixité scolaire et de l’égalité des chances entretenue par le syndicat le plus représentatif et le plus corporatiste de l’éducation nationale. Certes tout cela aurait pu être évité, si ces bougres de BR avaient accepté d’attendre la génération suivante. Car à la troisième génération tout «rentre dans l’ordre».

L’immigration polonaise d’entre les deux guerres pose-t-elle d’autres problèmes que la silicose qu’elle a contractée dans nos mines? Encore aurait-il fallu que l’on ne supprimât pas les quelques miettes compassionnelles et budgétaires qui était attribuées à cette seconde génération (aide aux associations, éducateurs, travailleurs sociaux, etc.). Les «sauvageons» n’ont pas l’intention d’attendre et ils ont raison. Aucun couvre-feu , aucun déploiement policier n’y fera quoi que ce soit.

Quant à la pensée unique vertueuse que nous servent les médias, elle ne peut qu’ajouter à l’incompréhension des uns vis-à-vis des autres à l’interne et à l’externe des banlieues. Pour l’instant ne brûlent que des biens matériels. Mais si on persiste à vouloir étouffer ou réprimer le désir de citoyenneté à part entière, avec reconnaissance d’un droit à la différence, on risque tout simplement de provoquer la rencontre entre cette jeunesse révoltée et ceux qui dans leurs attentats n’ont pas plus de respect pour la vie d’autrui qu’on en a pour la leur, en Irak, en Palestine ou ailleurs . Une fois de plus il n’est peut-être pas totalement faux de dire que la France a la droite la plus bête du monde. Ce qui malheureusement, même par différence, ne rend pas la gauche dite républicaine et fort peu démocrate, plus intelligente. La presse étrangère ne s’y est pas trompée et n’est pas mécontente de donner une leçon à cette fameuse «exception culturelle» incapable de se comprendre elle-même.

* Jean-Loup Azéma, 40 ans de vie en banlieue dont 20 d’enseignement en zone «sensible»

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