France

Sarko

Sarkozy se veut le «porte-parole du peuple français».

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Mai 68 obsède encore Nicolas Sarkozy

Gérard Filoche *

Nicolas Sarkozy utilise toute la palette de la démagogie électorale propre à un candidat qui se veut un Bonaparte. S’adressant aux ouvriers, il vante «les mérites du travail» et fait référence à Jaurès et Blum. Pour récupérer les électrices et électeurs du Front national (FN) de Le Pen, il insiste non seulement sur l’ordre, la «grandeur de la France», le «patriotisme économique» et critique Trichet, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), parce que l’euro est «trop élevé». Cela en contradiction complète avec ce qu’affirmait Alain Lamassour, député européen, ancien ministre des Affaires européennes et secrétaire national de l’UMP. Ce dernier a toujours manifesté le plus grand respect pour «l’indépendance de la BCE».

Pour compléter sa panoplie de chasse électorale, Sarkozy laisse entendre qu’une dose de proportionnelle serait envisageable, ce qui doit contenter le FN de Le Pen. François Fillon avait déjà lancé un ballon d’essai dans la même direction. Les pièces du lego électoral Sarkozy sont systématiquement rassemblées, selon un plan de communication fixé sur une seule échéance: le 6 mai. Pour le vote «populaire», Sarkozy utilise la plume Henri Guaino. D’où son slogan à tonalité bonapartiste: «je suis le candidat du peuple, pas des appareils».

En face, nous avons droit à cette invention médiatique qui remplit les écrans: «le sourire de Ségolène Royal». Un sourire pour un «ordre juste». Un sourire qui a accompagné la défense inconditionnelle de l’appellation d’origine du chabichou, le fromage bien connu du Poitou-Charentes où la candidate socialiste exerce son pouvoir. Dans la société du spectacle (Guy Debords), l’image triomphe. C’est avec le sourire du XXIe siècle, qu’elle prépare l’opération de capture d’une partie des votes qui se sont dirigés en direction de cet homme de droite – peut-être honnête (est-ce une qualité si rare qu’elle soit autant vantée ?) – qu’est le démocrate-chrétien François Bayrou. Ségolène Royal obtiendra difficilement l’appui de la majorité des électrices et électeurs qui ayant votés pour Bayrou. Ce dernier est tout à la tâche afin de créer un parti démocrate, analogue à celui mis en œuvre en Italie.

Royal chasse sur tous les terrains. Le dimanche 29 avril, dans l’émission «Dimanche Plus» de Canal +, elle déclare: «Quand j’entends dire: nos vies valent plus que des profits, je suis d’accord avec cela.» Pour rappel, c’est le slogan – discutable – d’Olivier Besancenot. Certes, Ségolène Royal l’a mal assimilé, du point de vue de son phrasé. Il ne s’agit pas «des» profits mais de «leurs» profits. Reste cette volonté de compacter l’électorat le plus large derrière «le pacte présidentiel» pouvant ouvrir la voie à un gouvernement bourgeois «complété», comme elle tente de compléter, au plan électoral, le pacte.

Olivier Besancenot, avant le deuxième tour, annonçait: «Après la victoire de Ségolène Royal, les Françaises et les Français se réveilleront avec une gueule de bois». Aujourd’hui, il appelle à voter Ségolène Royal, après avoir lancé le mot d’ordre: «battre la droite» ; cela à l’issue du premier tour. Y a-t-il, dès lors, une intention de saouler les électrices et les électeurs de France ? Difficile à dire.

On assiste d’ailleurs à un véritable renversement des rôles. Au début de la campagne électorale, Ségolène Royal était présentée comme la victime. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy gémit et dit: «Je suis couvert de cicatrices.» Des éditorialistes français ont perçu très vite ce changement: Blandine dans la fosse aux lions s’est transformée en Cruella et les 101 dalmatiens et Terminator est devenu Jésus-Christ. Une belle métaphore du cirque médiatico-électoral.

La fonction de ce genre de campagne n’est autre qu’une dépolitisation des conflits sociaux, fragmentés, qui ne cessent de se dérouler dans l’arrière-plan de cette «France tranquille» que les deux candidats présidentiels promettent. Des luttes sociales qui ont d’ailleurs donnés un accent «trade-unioniste» à la campagne de la gauche radicale ; les thèmes idéologiques, sociétaux et anti-impérialistes étant peu présents.

Toutefois, il faudrait être naïf pour ne pas comprendre ce que représente, symboliquement et politiquement, une victoire de Nicolas Sarkozy, quelle que soit l’indication de vote que l’on donne pour le second tour.

Dans l’article que nous publions de Gérard Filoche, qui mène campagne pour le vote de Ségolène Royal, se trouve une explication utile des raisons pour lesquelles Sarkozy «dénonce» Mai 68. Ces raisons méritent une explication. Filoche en donne une. (Charles-André Udry).

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Comme Le Pen, Sarkozy – le sortant -  s’adresse «à tous ces sans-grade», «tous ces anonymes», «tous ces gens ordinaires (...) auxquels on ne fait pas attention, que l'on ne veut pas écouter, que l'on ne veut pas entendre.»

Sarkozy, l’homme de l’establishment qui gouverne depuis 5 ans (et qui gouvernait déjà avec Balladur), l’homme des petits clans et des petits putschs, des couloirs des banques et des marchands d’armes, des villas et des palais, l’homme des financiers et des fortunes dorées, ose affirmer, au contraire de ce qu’il est: «C'est à vous que je veux rendre le pouvoir (...). Je veux être le candidat du peuple de France et non pas le candidat des médias, des appareils, de tel ou tel intérêt particulier, des intérêts partisans, des sectarismes.»  Lui qui tente de voler son élection grâce aux plus puissants bourrages de crâne médiatique, d’imposer des discours provocateurs, bourrés de mensonges, sans crainte des réactions de la grande presse qu’il contrôle !

Sarkozy le candidat des milliardaires du Cac 40, l’ami des Bouygues, Dassault, Lagardère, Rotschild, le petit frère de Guillaume Sarkozy du Medef [Mouvement des entreprises de France, organisation du patronat français], celui qui négocie Avantis-Sanofi [firme pharmaceutique] pour son autre frère François Sarkozy, le maire des salons de Neuilly accuse pêle-mêle la gauche d’avoir «prôné l’assistanat, l’égalitarisme, le nivellement, les 35 heures.»

Il fait froid dans le dos

• «Assistanat», les indemnités que touchent les chômeurs ? Alors que ces indemnités sont un «dû» ; elles proviennent des cotisations chômage versées par les salarié·e·s, c’est une assurance, c’est un droit inaliénable, justifié pour tous les salariés qui ont été licenciés, auxquels on ne retrouve pas un travail correspondant à leur qualification, leur niveau et leur ancienneté ! Est-ce que Sarkozy désigne aussi du doigt les assistés des assurances vie de ses milliardaires de Neuilly pour lesquels l’argent vient en dormant pendant que les autres travaillent ? Non, Sarkozy ne s’en prend qu’aux faibles, pas aux forts.

• «L’égalitarisme et le nivellement», vieilles lunes patronales, phobies des maîtres des forges depuis le XIX° siècle, menacent-ils ce pays où les inégalités sociales n’ont jamais été aussi grandes qu’après cinq ans de sarko-chiraquisme ? On compte 378'000 millionnaires en euros, les 500 premières fortunes ont gagné 30 milliards d’euros de plus en 2005, soit trois fois plus que le «trou» présumé de la Sécurité sociale ; 100 milliards de bénéfices pour les chefs et actionnaires du Cac 40, des baisses d’impôts pour les riches, des emprunts aux riches [obligations achetées par les riches] et des dettes publiques accrues à rembourser aux riches, en serrant la ceinture aux 7 millions de travailleurs pauvres ?

• Les 35 heures ? Sarkozy est un menteur éhonté ou un ignorant des règles élémentaires du droit du travail chaque fois qu’il ose proposer «la liberté» de  «travailler plus pour gagner plus»: chaque mot de ses phrases est faux. Car pas un salarié de ce pays, pas un seul n’a la «liberté» de la durée de son travail. Tout salarié est subordonné et c’est l’employeur seul qui décide unilatéralement de la durée du travail, (temps partiel, temps plein, heures supplémentaires). Sarkozy est encore un menteur ou un ignorant lorsqu’il dit que: «les 35 heures doivent être un minimum»: il y a une grande majorité des 3,7 millions de temps partiel (85 % de femmes, 80 % de non qualifiés) qui aimeraient travailler plus, oui, soit «35 heures minimum». Sarkozy est encore un menteur lorsqu’il promet de gagner plus à ceux qui feraient des heures supplémentaires, alors qu’il n’a pris, depuis cinq ans avec son ami Fillon, que des mesures pour baisser les salaires liés aux heures supplémentaires. Il l’a fait:

1° En maintenant à 10 % de majoration les heures comprises entre 35 et 39 heures dans les entreprises de moins de 20 salariés, alors qu’elles auraient dû être majorées de 25 % depuis le 1er janvier 2005: 5 millions de salariés concernés ont travaillé plus en gagnant moins ;

2° En allongeant les contingents annuels d’heures supplémentaires autorisés de 130 à 200 heures (et pire parfois, 230 heures dans la poissonnerie et 360 heures dans la restauration), ce qui aboutit a reporté de la 131e heure à la 221 e heure le seuil de déclenchement de majorations des heures à 100 %: les salariés concernés travaillent plus et gagnent moins ;

3° En généralisant les «forfaits jours» et en déduisant «les temps de déplacement professionnels des temps de travail effectifs» forçant des millions de salariés cadres ou non à travailler plus en gagnant moins ;

4° En permettant le rachat des comptes épargne temps à taux zéro, congés payés non pris, heures supplémentaires dissimulées, ce qui revient à faire travailler plus pour gagner moins.

Pas un salarié de ce pays n’a intérêt à voter pour Sarkozy, sauf à méconnaître ses droits et à voir baisser son salaire réel, brut et net, pour une plus longue durée du travail…

Car Sarkozy propose de baisser le salaire brut sur lesdites heures supplémentaires qui seraient moins majorées, et moins contrôlées, donc moins payées (c’est déjà, hélas, le champ le plus étendu des délinquances patronales contre les salaires, 9 plaintes sur 10 à l’inspection du travail concernent des heures supplémentaires impayées). Il y a déjà des millions de salarié·e·s qui travaillent 45, 50 voire 60 heures et qui ne gagnent pas beaucoup !

Mais si un salarié avait un doute, il devrait s’attacher à comprendre pourquoi Sarkozy s’en prend aux 8 à 9 millions de salarié·e·s  qui ont fait grève en mai 68.

Sarkozy contre les 8 millions de grévistes de mai 68

Sarkozy augmente les décibels au fur et à mesure que le deuxième tour approche, comme s‘il voulait mettre la barre de plus en plus haut contre les «fraudeurs du métro» et «les fautes des syndicalistes» qu’il place dans le même sac…  

Il accuse mai 68 d’avoir «imposé le relativisme intellectuel et moral», «liquidé l'école de Jules Ferry», «introduit le cynisme dans la société et dans la politique», «abaissé le niveau moral de la politique» (sic).

«La morale, après 1968, on ne pouvait plus en parler.» Selon lui, pour  «les héritiers de 1968», «il n'y avait plus aucune différence entre bien et le mal, le beau et le laid, le vrai et le faux, l'élève valait le maître». «Les héritiers de ceux qui, en mai 68, criaient «CRS = SS» prennent systématiquement le parti des voyous, des casseurs et des fraudeurs contre la police.»

«Voyez comment le culte de l'argent roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portées par les valeurs de mai 68.» «Je veux tourner la page de mai 68 une bonne fois pour toutes», se lâche enfin Sarkozy.

Pourquoi une telle haine de la part de cet apprenti caudillo qui devait avoir 13 ans en mai 68 ?

Cette tirade hargneuse, hors norme, acharnée, contre un des plus grands mouvements de l’histoire sociale de notre pays, est plus que tout le reste le signal de la grande revanche de l’extrême droite dirigeante de l’UMP !

C’est contre les 8 à 9 millions de grévistes de mai-juin 68 qu’il en a, lui qui ose se faire photographier devant des ouvriers portant le casque de sécurité, pour mieux les berner.

S’il va voir «la France qui se lève tôt» c’est pour qu’elle se lève encore plus tôt, se couche plus tard et gagne moins, pour que les profits de ses amis de Neuilly augmentent: tout cela dans une mise en scène que toutes les rédactions en chef de la presse aux ordres orchestrent !  

Nul doute que Sarkozy pense la même chose de toutes les luttes sociales, du Conseil national de la Résistance [1944], de mai- juin 1936, de la Commune de Paris [1871], des combats pour les journées de 10 heures puis de 8 heures, pour les 40 heures hebdomadaires, pour «l’assistanat» de la Sécurité sociale et des retraites par répartition,…  

N’est-ce pas lui qui a assez d’inculture pour mettre dans son clip télévisé: «le travail rend libre» (ARBEIT MACHT FREI [qui était forgé dans le fer à l’entrée de certains camps nazis]) ?

En fait ce que signifie avec arrogance, l’homme au karcher, Sarkozy, c’est qu’il veut écraser tout mouvement social de type CIP [contrat d’insertion professionnelle proposé par Edouard Balladur] mars 1994, novembre-décembre 1995 [grèves ayant commençé à la SNCF, étendues à EDF-GDF], retraites printemps 2003 [sécurité sociale], CPE [contrat première embauche] janvier-avril 2006 ; c’est qu’il fera la guerre aux syndicats puisque sa première loi sera contre le droit de grève !

Sarkozy a amalgamé à Bercy [le centre omnisports pas trop éloigné du ministère des finances, à Paris], dimanche 29 avril 2007: «la France qui paye toujours pour tous les autres, (...)  qui paye pour les fautes des politiques, des technocrates, des syndicalistes, qui paye pour les fraudeurs, qui paye pour les voyous, qui paye pour ceux qui profitent du système, qui paye pour ceux qui demandent toujours et qui ne veulent jamais rien donner.»

Le lien est clair dans sa rhétorique et ses objectifs entre syndicalistes, fraudeurs, voyous... Tout ça, c’est des “racailles”.

Comme il a fait la chasse aux «racailles», et, il le redit, «aux poignées de voyou qui se croit au-dessus des lois et de la morale», il veut remonter jusqu’à atteindre dans la mémoire ce qu’il doit appeler des «casseurs» de 68… C’est la même chose pour lui, c’est le peuple dont il feint de se réclamer, les sans-grade auxquels il prétend parler et que, pourtant, il hait du haut de ses talonnettes d’apprenti caudillo. C’est la haine ancestrale des riches contre les «partageux»,  les «rouges»,  les «syndicalistes» qu’il a exprimés à Bercy dans son dernier meeting show à l’américaine. Sarkozy annonce qu’il entend écraser tout mouvement social ! Au karcher contre les luttes sociales, contre la pègre syndicale  !

Que les électeurs protégent, dimanche 6 mai 2007, la France de la victoire de ce caudillo. Que pas une voix ne manque à Ségolène Royal…

* Gérard Filoche est membre du Parti socialiste et animateur de la tendance «Démocratie et socialisme». Il est également inspecteur du travail.

(1er Mai 2007)

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