France

 

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La dette publique. D’où vient-elle ? Qui en profite ?

Jean-Jacques Chavigné *

La politique illustrée par le Conseiller fédéral H.R. Merz en Suisse, malgré une situation budgétaire à l’échelle fédérale plus que confortable – liée, évidemment, un report croissant de dépenses à charge des cantons et une défiscalisation encore accentuée du capital et des grandes fortunes – place de thème de la dette publique au centre des débats, entre autres de ceux concernant les dites dépenses sociales.

Les mécanismes décrits par J.J. Chavigné sont très proches, sur le fond, de ceux mis en œuvre en Suisse. Le rappel, à propos de la France, effectué dans l’article ci-dessous , est utile à ce propos. Les conclusions de ce bref rappel, selon nous, concernent aussi bien N. Sarkosy que S. Royal (Réd.)

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La dette publique s’élève 66 % du PIB [Produit intérieur but, soit la somme des valeurs ajoutées produites par les secteurs de l économie d’un pays]  alors que le «Pacte de stabilité» [tel que défini dans le cadre de l’Union européenne - UE] limite le montant des dettes publiques à 60 % de ce même PIB. Sarkozy, la Droite et le patronat n’arrêtent pas d’enfoncer ce clou, même si la moyenne de la zone euro est de 72 % !

Mais ils n’abordent jamais de front la question de savoir d’où vient cette dette. Ils font comme s’il s’agissait là d’une évidence: «la France dépense trop». Il n’est qu’à écouter Sarkozy. Elle ne dépense bien sûr pas trop pour soutenir les profits des entreprises en multipliant les aides et les exonérations dont aucune étude sérieuse n’a pu prouver qu’elles avaient une quelconque utilité en matière de création d’emplois. Non, la France dépense trop pour l’assurance-maladie, la Sécurité sociale, l’emploi, les retraites, les fonctionnaires ou les services publics.

Il faut donc y remédier. Et comme c’est justement le programme de la droite et des néo-libéraux, il faut bien reconnaître que ce déficit tombe à pic. Ces messieurs appellent d’ailleurs cela «la pédagogie de la dette».

Ils veulent, ainsi, imposer l’idée qu’il n’existe (complétée par la vente au secteur privé d’EDF-GDF  – Electricité de France et Gaz de France – ou d’autres services publics) qu’une solution au problème de la dette publique: diminuer les dépenses sociales et le coût du Service public. Cette façon de rembourser la dette est bien évidemment le pire: elle détruit le lien social, l’égalité entre citoyens, marginalise les plus pauvres et multiplie les ghettos. La crise des banlieues de nos grandes villes vient pourtant de donner un avant-goût de ce qui peut advenir.

Mais pour que cette «pédagogie de la dette» puisse jouer, il ne faut surtout pas s’interroger sur son origine: la baisse des impôts des riches et les intérêts payés chaque année aux rentiers.

Les deux sont d’ailleurs intimement liés puisque c’est parce que les impôts des riches ont diminué que l’Etat a été obligé de leurs emprunter les sommes qu’il ne leur prélevait plus sous forme d’impôt. Mais alors qu’avec l’impôt, les sommes prélevées aux riches ne coûtaient rien à l’Etat, il n’en va plus de même avec l’emprunt. Le service de la dette (les intérêts versés aux rentiers, créanciers de la dette publique) est aujourd’hui le deuxième poste de dépenses de l’Etat, juste après l’Education nationale.

Avec la hausse des taux d’intérêts programmés par la Banque Centrale Européenne [BCE placée sous la direction du français Jean-Claude Trichet], ce poste pourrait bien, d’ailleurs, devenir le premier. L’Etat a donc perdu sur les deux tableaux. Il encaisse moins d’impôt: ainsi, le «bouclier fiscal» instaurée par la Droite coûtera la bagatelle de 400 millions d’euros [648 millions de francs suisses] à l’Etat en 2007 et profitera pour l’essentiel (350 millions d’euros) à 16 000 contribuables, les plus riches. Et puisque l’Etat encaisse moins d’impôts, il doit emprunter plus et payer plus d’intérêts aux rentiers.

Les rentiers ont du même coup gagné sur les deux tableaux. Ils paient moins d’impôts et ils prêtent à l’Etat (en contrepartie du versement d’intérêts) les sommes qu’ils auraient dû payer sous forme d’impôts. Les créances de la dette publique sont, en effet, aux mains des heureux détenteurs des titres du Trésor public, notamment les Obligations Assimilables du Trésor (OAT) émises chaque mois par l’Agence France Trésor, remboursables au bout de 7 à 50 ans.

65 % des détenteurs de la dette publique de notre pays sont des résidents français. Nous ne sommes donc pas du tout, comme veut le faire la droite, dans le cas des pays du Sud dont la dette est détenue par des Etats, des banques ou des souscripteurs étrangers, des pays du centre pour l’essentiel. Elle est détenue essentiellement par des entreprises d’assurance, des banques, des Sicav (Société d’investissement à capital variable plaçant des liquidités des épargnats] «bien de chez nous»… C’est par l’intermédiaire des dividendes versés aux actionnaires des banques et des compagnies d’assurance ou des produits d’épargne émis par ces organismes que les rentiers s’enrichissent.

Les détenteurs de ces titres ont empoché 39 milliards d’euros [64 milliards de francs suisses] en 2006. Près de six  fois le budget de la justice; 9 milliards de plus que le «financement de l’emploi». Au total, une somme équivalente au total des budgets de l’armée, de la diplomatie, de la justice et de l’intérieur.

S’interroger sur l’origine du déficit public permet d’en déduire aisément la solution la plus évidente et la plus juste à y apporter: augmenter les impôts des riches et baisser les taux d’intérêts. On comprend tout aussi aisément pourquoi Sarkozy et la droite évitent de poser la question.

* Jean-Jacques Chavigné a participé (avec Gérard Filoche et  Gérard Berthiot) a la publication de SOS Sécu ! Casser ou sauver la Sécu ? Ed.. Bord de l’eau, 2004.

 

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