On examine dans cet article l’influence du marché des permis d’émissions de GES relativement aux objectifs de réduction des GES. Plusieurs aspects apparaissent incompatibles: l’imprécision des données de production des GES, l’impossible équivalence entre les divers gaz à effet de serre et la confidentialité des données concernant ces permis d’émissions rendent, un marché de ces permis, inaptes à une baisse substantielle des GES.
Contrairement aux chutes boursières de ces derniers temps, la température moyenne de la planète est en hausse, suivant ainsi la hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES). Comme cette hausse moyenne de la température s’inscrit sur une période très longue, il faut donc s’interroger sur la qualité et le cadre dans lequel se situent les mesures de lutte proposées contre le réchauffement climatique.
Le cadre général: le marché
Le cadre dans lequel s’opèrent les mesures de lutte contre ce réchauffement climatique est fixé: c’est le marché. En effet, le protocole de Kyoto [1] de 1998 exige sans ambiguïté la nécessaire primauté du marché. Avec toute la lourdeur que cela implique, voici en partie l’importante teneur de l’article 2: «Chacune des parties visées à l’annexe I, pour s’acquitter de ses engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction prévus à l’article 3, de façon à promouvoir le développement durable:
- Applique et/ou élabore plus avant des politiques et des mesures, en fonction de sa situation nationale, par exemple les suivants:
- Accroissement de l’efficacité énergétique dans les secteurs pertinents de l’économie nationale ;
- Protection et renforcement des puits et des réservoirs des gaz à effet de serre non réglementé par le protocole de Montréal, compte tenu des engagements au titre des accords internationaux pertinents relatifs à l’environnement ; promotion de méthodes durables de gestion forestière, de boisement et reboisement ;
- Promotion de formes d’agriculture durables tenant compte des considérations relatives aux changements climatiques ;
- Recherche, promotion, mise en valeur et utilisation accrue de sources d’énergie renouvelable, de technologies de piégeage du dioxyde carbone et de technologies écologiquement rationnelles et innovantes du marché ;
- Réduction progressive ou suppression graduelle des imperfections du marché, des incitations fiscales, des exonérations d’impôts et de droits et de subventions qui vont à l’encontre de l’objectif de la Convention, dans tous les secteurs émettant des gaz à effet de serre et application d’instrument du marché ; [Nous soulignons]
- …
Ce texte de l’accord international, qui de plus fait force de loi, est lourd d’implications car l’ensemble des domaines concernés sont le boisement et le déboisement, les puits de GES, l’agriculture, les technologies, l’innovation et les politiques actuelles de lutte contre le réchauffement climatique. La mise en place de ces moyens de lutte sera donc entreprise sous la contrainte de la «main» pas si «invisible» d’Adam Smith. Quant à la «suppression graduelle des imperfections du marché» évoquée ci-dessus, comme chacun a pu le constater par lui-même, on en a une parfaite modélisation avec les conséquences de la crise des subprimes…
Le contexte est donc posé: la seule réponse acceptable concernant le réchauffement climatique, la fonte des glaciers et celle de l’Arctique, les pertes de la biodiversité ainsi que l’ensemble du dérèglement climatique et de ses conséquences sociales à l’échelle de la planète ne peut se situer que dans le cadre du marché à l’exclusion expresse de toute autre réponse possible.
Avant d’illustrer la pertinence des moyens offerts grâce au fameux protocole de Kyoto, il nous faut examiner tout d’abord les éléments clés de ce protocole complété par l’accord de Marrakech en 2001. Il en ressort deux éléments importants:
- On y affirme que la réduction des émissions de GES se réalisera au moyen d’une mise en place de permis d’émission distribués gratuitement aux entreprises polluantes pour une période donnée. Il s’agit en fait d’un crédit (un papier-valeur) que la collectivité fait aux entreprises. Ensuite, en fonction des «investissements» ou au prorata des éventuels «progrès» (les guillemets sont nécessaires, comme on va le voir ci-après) limitant les émissions de GES, les entreprises auront le droit de revendre ces permis à d’autres entreprises. En effet, les entreprises qui n’auront rien entrepris contre les émissions de GES et qui continueront de polluer, auront l’obligation soit d’acheter des permis soit de payer une amende, ou elles seront même soumises aux deux sanctions dans certains cas.
- Pour les libéraux, ce marché des permis doit posséder une caractéristique essentielle: il doit être impérativement flexible. Deux mécanismes de flexibilité sont mis en place. Le premier est le MOC, c’est-à-dire la Mise en Œuvre Conjointe. Le deuxième, c’est le MDP, soit le Mécanisme de Développement Propre. Voilà de magnifiques «appellations contrôlées»…
Le mécanisme du MOC permet d’obtenir de nouveaux permis d’émission entre pays signataires du protocole ayant pris un engagement chiffré de réduction des GES. Ces permis sont obtenus si une entreprise du pays A réalise un projet dans le pays B entraînant une «diminution» de GES dans le pays B membre du groupe des signataires engagés. Les marchés visés sont pour l’essentiel les anciens pays de l’Est, du fait que ces derniers ont de vieilles technologies, comme la Pologne, par exemple, qui ne produit de l’électricité qu’avec des centrales au charbon.
Le deuxième mécanisme, le MDP permet d’obtenir des permis d’émission, en plus de ceux qui ont été alloués. Ces nouveaux permis sont accordés à une entreprise d’un pays développé signataire de Kyoto qui, par sont engagement ou la réalisation d’un projet dans un pays pauvre, permet une «diminution» des émissions de GES. C’est donc cette diminution même qui est transformée en nouveaux permis de polluer.
Ces nouveaux permis appartiennent à l’entreprise qui a réalisé le projet (en Chine, au Brésil ou ailleurs …), entreprise européenne par exemple qui alors peut les revendre sur le marché européen.
Ici, il faut prendre garde à la signification du mot «diminution». Il peut s’agir d’une diminution réelle ou d’une diminution relative. Une diminution relative, comme dans le cas où une nouvelle technologie, est censée remplacer un projet utilisant une technologie moins performante qui aurait de toute façon été réalisée sans cette nouvelle proposition. Dans ce dernier cas, il s’agit en fait d’une augmentation réelle de GES, mais moins forte que si c’est le projet antérieur qui avait été exécuté. On voit qu’on se trouve là face à une véritable flexibilité due à une interprétation très élastique de la notion de diminution de GES. Une diminution devient une augmentation «moins forte que» !
Le MDP présente donc un avantage pour les pays développés. Il permet à certaines transnationales de se faire payer deux fois le progrès technologique: une première fois parce que ce progrès est inclus dans le prix de vente de l’installation et une deuxième fois en récupérant la vente de ces nouveaux permis d’émission en Europe. Cela revient à vendre des émissions de GES évitées au Brésil, en Chine ou ailleurs. On a là une véritable inversion de ce qu’est pour le sens commun le progrès technologique. Pour le comprendre, essayez donc de vendre à votre assurance-automobile des «permis d’accidents» sous prétexte d’avoir évité des accidents ! Enfin, pour en finir provisoirement avec le MDP, il faut dire que ces nouveaux quotas augmentent les capacités d’émission des pays industrialisés
Le marché de l’équivalence: un marché de dupes ?
Examinons maintenant quelques éléments de la mécanique de base de ce marché. Pour créer un «marché du réchauffement climatique», il faut nécessairement «créer» une marchandise censée correspondre à ce marché.
Cette marchandise sera notre gaz à effet de serre exprimé sous la forme de permis d’émission équivalent. On dit équivalent parce que ce permis ne fait pas de distinction entre les différents types de GES si ce n’est dans une certaine proportionnalité entre les différents types de GES. Le permis d’émission va exprimer ainsi une forme générique des effets du gaz carbonique (le CO2) en terme d’élévation de température. En effet, ce permis devient ainsi un équivalent général à la fois commercial et quantitatif où vont se comparer mécaniquement les effets d’autres GES, comme le méthane (le CH4), provenant de la fermentation sans oxygène ou le protoxyde d’azote (le N2O), issu de l’agriculture industrielle intensive utilisant les engrais pour l’essentiel. Il est très important d’avoir en mémoire le constat physique suivant: chaque gaz a ce que l’on appelle un certain «potentiel de réchauffement climatique» qui peut être positif ou négatif. Les gaz qui font l’objet de ce marché ont un coefficient positif. Or, la projection dans le futur de l’effet induit (l’élévation de température) par la variation quantitative d’un gaz dans l’atmosphère est la conséquence de plusieurs facteurs:
- de la variation de la quantité de GES mesurée en référence à la période préindustrielle (mesure obtenue par l’étude des carottes de glaces) et de la quantité actuelle ;
- du temps écoulé considéré, qui est habituellement celui du siècle, mais on peut prendre un temps plus court, comme 25 ans par exemple ;
- des flux de GES de ce jour.
L’effet ainsi déterminé par les données ci-dessus se nomme le «forçage radiatif» qui s’exprime sous la forme d’une énergie par mètre carré sur la surface de la sphère terrestre. C’est sur la base de ces deux données que l’on dresse l’équivalence suivante pour un siècle, à savoir que le méthane a un effet 24 fois plus fort que le gaz carbonique et le protoxyde d’azote 273 plus fort que le CO2 ou encore que 24 kg de CO2 = 1 kg de méthane et que 273 kg de CO2 = 1 kg de protoxyde d’azote.
De plus, le forçage radiatif n’est pas linéaire. Il est plus «rapide» au début d’une période considérée qu’à la fin de celle-ci lorsque l’équilibre thermique est atteint. Pour atteindre cet équilibre, il faut tenir compte du fait que tout corps rayonne de l’énergie en fonction de sa température (loi de Stefan). L’équilibre est réalisé lorsque la différence entre le rayonnement de la Terre et le «forçage radiatif» est nulle. Il faut encore préciser que la hauteur de cet équilibre va dépendre de l’absorption du gaz carbonique (CO2) par les plantes et par la capacité d’absorption des océans qui dépend à son tour de la température de l’eau en surface.
Or, en relation avec ce qui précède, on peut démontrer que les effets d’un gaz donné ne sont pas additifs dans les proportions indiquées ci-dessus de 273 ou de 24 et ne sont donc pas substituables à un autre gaz sans autre forme de procès.
L’équivalence entre les gaz, postulée au début des études sur le réchauffement climatique, est inexacte et peut conduire à des erreurs importantes [2]. En effet, le rôle du méthane et du protoxyde d’azote est aujourd’hui mieux compris et la prise en compte de cette absence d’équivalence est totalement absente du cadre induit par le processus de Kyoto. En conséquence de ce qui vient d’être avancé, on peut montrer que la croissance des températures peut être plus rapide au début d’une période qu’à la fin de celle-ci.
Cela signifie que l’urgence de l’effort de lutte est plus importante au commencement du réchauffement climatique que dans 20 ou 30 ans. Sans entrer dans le détail des calculs, et à titre d’exemple, l’émission de 1kg de méthane sur une période de 5 ans aura le même effet que 101kg de gaz carbonique sur un horizon de 20 ans et le même effet que 72kg de gaz carbonique … et de 25kg de gaz carbonique à l’horizon de 100 ans [3].
Les mécanismes du marché n’ont que faire des considérations précédentes et ne peuvent pas intégrer ce genre de phénomènes. De plus, le marché ne considère que les termes quantitatifs de l’échange et de la vente. De ce fait, la fuite en avant au nom du sacro-saint marché va nous conduire à une mésestimation importante de l’élévation des températures de la planète provoquée par les gaz à effet de serre et tous les effets d’annonce sur tels ou tels objectifs resteront sans effet réel dans un tel contexte.
Les quotas d’émission et la planification de l’inefficacité
La mesure quantitative des quotas est la tonne équivalent de CO2 représenté sur le marché par UN permis d’émission. Il y aura alors autant de permis d’émission que de tonnes (équivalents) de CO2 autorisées sur le marché. D’où la nécessité d’introduire des quotas négociés par pays. Les montants des quotas sont déterminés sur la base d’une moyenne annuelle de la production de gaz à effet de serre pour une série choisie d’industries dans les quatre secteurs suivants: la production d’énergie, la production des métaux ferreux, l’industrie minérale comme les cimentiers, les céramistes et verriers et enfin la production de papier et de cellulose. Cela représente environ 10'000 installations industrielles en Europe et le 40% des émissions européennes de GES.
Les rapports de force politiques vont jouer un rôle important dans le montant des quotas attribués, car chaque pays et chaque industriel cherchent à obtenir le quota le plus élevé possible. Ainsi, à chaque tonne de gaz carbonique correspond un quota, à chaque quota un permis d’émission et à chaque pays X millions de tonnes d’équivalent CO2 pour une période donnée.
L’ensemble des quotas attribués pour un pays s’appelle un PNAQ (Plan National d’Attribution des Quotas) et ce PNAQ correspond à l’ensemble des émissions annuelles des entreprises considérées. Normalement, une fois que les quotas sont acceptés par la Commission européenne, ils ne peuvent pas changer durant la période. Cette condition est importante si l’on veut avoir une référence et pouvoir «créer de la rareté et donc de la valeur». Les règles de fonctionnement sont les suivantes:
A chaque période annuelle, l’entreprise va devoir restituer autant de quotas que de GES rejetés dans l’atmosphère. Pour ce faire, la Commission européenne a créé un registre nommé le CITL (Registre indépendant des transactions communautaires) qui rassemble l’ensemble des registres nationaux et devrait être ainsi capable de faire la synthèse de l’ensemble des mouvements des GES. Là encore, le marché ne saurait dévoiler ses secrets, car les informations sur les transactions physiques de quotas ne sont disponibles qu’après un délai de cinq ans [4] !
Ainsi, les résultats qui touchent très directement les citoyens et citoyennes pour la période d’essai de trois ans de cette première tranche de Kyoto 2005-2007 ne seront connus qu’en 2012, soit à la fin de la deuxième tranche qui va de 2008 à 2012 ! On a là un modèle assez fantaisiste de gestion, mais un modèle qui correspond aux exigences spéculatives du marché des GES. En diminuant ses émissions de GES, l’exploitant peut vendre la différence de ses quotas correspondant à cette diminution de GES et en augmentant ses émissions, il doit acheter des permis.
Là, nous avons le développement d’une ambiguïté. En effet, réduire et diminuer ne signifie pas obligatoirement que l’entreprise a réellement diminué ses GES au sens du progrès technologique, mais que celle-ci a peut-être réduit sa production et donc les GES. Cette situation permettra tout de même à l’entreprise de vendre ses quotas excédentaires sans introduire de progrès technologique !
Si l’exploitant n’est pas en mesure de rendre ses quotas vu le dépassement des émissions, ce dernier devra payer une amende de 100 Euros par tonne dépassée pour la période 2008 - 2012. Voici, en quelque sorte le sifflet du gendarme.
Ce sifflet est même muni d’un silencieux. En effet, l’amende peut sembler sévère, mais c’est un leurre car le marché peut servir de «caisse de solidarité» interentreprises.
On distingue, dès l’attribution des quotas aux entreprises, celles dites en «position longue» et celles dites en «position courte», positions déterminées selon l’attribution des quotas et de la situation sur le marché des GES. La position longue signifie «excédent de quotas à vendre» et la position courte «manque de quotas». Ainsi, si l’on examine les positions longues et courtes durant la période 2005-2007, on s’aperçoit que le transfert entre ces deux secteurs est de 650 Mt de quotas de CO2 pour un flux financier de 5'200 M€ [5], soit 8€ par tonne en moyenne, ce qui est loin des 100€ pour ceux qui seraient en position courte à échéance et dans l’obligation de payer une amende.
Il est nécessaire de préciser que la notion de PNAQ est une notion assez «accommodante», puisque l’on ne peut connaître qu’approximativement le montant total réel des émissions, en raison du fait qu’il est très difficile d’obtenir des mesures physiques effectives entre un temps t1 et t2 pour une industrie donnée. Les émissions sont en général estimées en fonction des intrants de l’entreprise comme par exemple le charbon, le pétrole, l’électricité produite par des centrales thermiques, les transports, etc. Les incertitudes quant à la quantification des émissions peuvent être très variables selon les secteurs.
A l’autre bout de la chaîne, ce qui est bien connu parce qu’établi par des mesures physiques scientifiques, c’est l’augmentation générale des GES dans l’atmosphère. Les incertitudes sur la quantification des émissions, en particulier dans ce qui nécessite une combustion, dépendent fortement des rendements énergétiques et des matériaux que l’on brûle. Compte tenu de la diversité industrielle et des niveaux de développement différents d’un pays à l’autre, une réflexion sur la diminution des GES ne peut se concevoir que dans le cadre global d’une politique écologique menée à l’échelle globale et intégrant l’ensemble des secteurs d’activités et des collectivités. «L’un des secteurs le plus problématique est celui des sols agricoles et des rejets en protoxyde d’azote. Les incertitudes sur les facteurs d’émissions varient suivant les pays de 24% (Autriche) à plus de 500% pour le Royaume-Uni. Pour le moment, l’incertitude moyenne sur ces facteurs d’émissions est de l’ordre de 200/250%. A cela se rajoute l’incertitude sur les données d’activités qui peut être de l’ordre de 10%. On comprend alors que les bilans soient susceptibles d’être sous-estimés… L’exemple de l’Andalousie montre que les incertitudes sur les facteurs d’émissions sont particulièrement élevées pour les autres gaz que le CO2. Pour le protoxyde d’azote, quel que soit le secteur considéré, les incertitudes sur les facteurs d’émission sont au moins de 100%. Pour le méthane, la situation est un peu meilleure avec des incertitudes comprises entre 50 et 150%» [6].Tout cela laisse donc une large marge d’appréciation quant aux quelques pour-cent «exigés» par le protocole de Kyoto. C’est peut-être pour cette raison que l’on ne trouve aucune donnée sur les résultats physiques de la politique des GES, contrairement à l’abondance des données issues de la sphère financière
Notons encore un des aspects qui n’est jamais mentionné parce qu’il n’intéresse pas les boursicoteurs: c’est l’intelligence collective des salarié·e·s dans ce domaine. Les incertitudes dont nous avons fait part ci-dessus pourraient être largement réduites au moyen d’un contrôle des salariés aussi bien en amont d’un processus de production que durant celui-ci. En effet, à titre d’exemple, nous avons été frappés, il y a quelques années lors d’un audit effectué à l’usine d’incinération des Cheneviers du canton de Genève, par la capacité d’intervention en temps réel des ouvriers occupant les divers postes de contrôle et de maintenance de cette usine. Ils en sont capables, parce qu’ils ont accumulé une expérience pratique leur permettant d’estimer les incidences diverses selon le type de déchets qu’ils sont en train de brûler et de «lisser» par exemple d’éventuels pics de pollution. Ils sont également capables de connaître l’incidence que peuvent avoir certains déchets sur la pérennité de l’exploitation.
La revendication d’un contrôle par les salarié·e·s sur l’utilisation et la manière dont les produits sont utilisés serait des plus utile pour compléter les estimations de GES et éviter toutes tricheries lors de l’attribution des quotas. Ceci est particulièrement vrai lorsque l’on a affaire aux entreprises transnationales. Et bien entendu, comme les conséquences des GES sont collectives, ce contrôle par les salarié·e·s devrait être réalisé avec l’appui direct d’organisations syndicales et celle des diverses collectivités publiques.
Compte tenu de l’aspect stratégique des produits essentiellement énergétiques dégageant des GES, le montant total de CO2 attribué à chaque PNAQ est le produit d’estimations, de négociations et de compromis entre les industriels concernés, l’Etat et la Commission Européenne.
En effet, la Directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas n’invoque aucune méthodologie particulière, si ce n’est que les conditions de délivrance des permis (art.6) ne font pas dans la complexité: «l’autorité compétente délivre une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre concernant les émissions en provenance de tout ou partie d’une installation si elle considère que l’exploitant est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions». Ouf ! On respire !
Enfin, les critères professionnels exigés des vérificateurs privés à l’annexe V de la directive sont assez généraux et ces critères ne vont pas plus loin qu’une plaquette publicitaire. La réglementation européenne répond ainsi aux exigences des entreprises et associations patronales comme le MEDEF [oganisation du patronat français]: «L’objectif de la vérification est d’obtenir une «assurance raisonnable» sur l’exactitude de la déclaration d’émission de CO2. Un rapport d’assurance raisonnable équivaut au niveau utilisé pour auditer les comptes financiers. Le rapport traduit la conviction du vérificateur que la déclaration ne contient pas d’erreurs significatives» [7]. Ainsi, dans le cadre de la législation européenne, il ne semble pas «raisonnable» de mettre en place des critères scientifiques minimaux permettant une comparaison internationale sérieuse des émissions de GES, ni dans les considérants de la directive, ni dans les articles énoncés, ni dans les articles eux-mêmes.
Il est par ailleurs surprenant de constater, à la lecture des considérants de la directive 2003/87/CE, que le développement des technologies nouvelles et leur efficacité énergétique (et donc climatique) ne sont pas une priorité absolue. En effet, le point 21 des considérants qui fait référence à la directive 96/61/CE concernant la prévention de la pollution est assez surprenant: «La directive 96/61/CE devrait être modifiée afin d’éviter que les valeurs limites d’émission ne soient fixées pour les émissions directes de gaz à effet de serre provenant des installations couvertes par la présente directive et que les Etats membres aient la faculté de ne pas imposer d’exigences en matière d’efficacité énergétique en ce qui concerne les unités de combustion et les autres unités émettant du dioxyde de carbone sur le site, sans préjudice de toute autre exigence prévue par la directive 96/61/CE».
Quelle «baisse» des GES ?
Une autre difficulté apparaît avec le marché des permis d’émissions. On ne peut pas dire avec exactitude s’il y a une baisse effective des émissions de GES en terme absolu. Or, la baisse absolue des émissions de GES constitue bien l’objectif du protocole de Kyoto. Cet objectif est d’ailleurs rappelé dans les considérants de la Directive 2003/87/CE au point 2: une réduction de 8% des émissions de GES par rapport au niveau des émissions de 1990 !
Compte tenu de la hausse continuelle de GES dans l’atmosphère, l’objectif d’une baisse des émissions est alors devenu tellement impossible à atteindre que l’idée même d’éviter un réchauffement climatique est devenue caduque. La politique d’inspiration économique néo-classique propose donc aujourd’hui de mettre en place une politique d’accompagnement du réchauffement climatique en essayant, sans succès pour l’instant, d’éviter de dépasser la moyenne de deux degrés de réchauffement.
La raison de l’échec provient pour une large part de la nature même du marché des permis d’émission. Le nombre de transactions des permis d’émission ne correspond pas obligatoirement à une réduction réelle des émissions comme il semblerait naïvement à première vue.
Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, comme nous l’affirme la Caisse des Dépôts en France [8]: «Sociétés, banques et courtiers participent également à des opérations financières sur les quotas, qui ne sous-tendent que rarement un transfert effectif de quotas.» En effet, la spéculation à la hausse ou à la baisse existe aussi sur ce marché. Il est possible d’acheter ou de vendre des permis sans que cela corresponde à une réalité physique.
Deuxièmement, la tendance générale, lors de l’attribution gratuite des quotas du PNAQ, a été de grossir le montant de ce dernier en anticipant plus que de raison les besoins, de manière à se prémunir face à l’obligation d’achat futur de permis d’émission. L’économie de marché suscite des comportements «infantiles» de la part des industriels que l’on pourrait, métaphoriquement, comparés à ceux d’enfants devant une distribution gratuite de bonbons. Il y donc plus de permis que ce qui semble nécessaire.
On est ainsi passé d’une idée de rareté voulue à une abondance bien réelle de permis d’émission. De ce fait, durant la période d’essai du protocole de Kyoto qui s’est terminée en 2007, la valeur des permis d’émission a fluctué de quelques dizaines d’Euros à quelques centimes d’Euros. Mais vendre des permis d’émission à quelques centimes d’Euros pour financer ses propres efforts de réduction de GES n’est pas très intéressant.
Enfin, ces variations dans le cours de la tonne-équivalent de GES ne favorisent pas l’investissement dans le domaine de la lutte contre l’effet de serre, mais plutôt la spéculation à la hausse ou à la baisse des cours.
Pour ce qui est des nouvelles installations, et si nous nous plaçons dans le cadre d’une logique marchande, l’effet pervers peut être le suivant: «Si les pouvoirs publics attribuent à l’investisseur autant de quotas qu’il déclare en avoir besoin pour sa nouvelle installation, cela revient à effacer la dimension «effet de serre» du choix. L’investisseur est alors incité à choisir les techniques les moins coûteuses même si elles sont plus émettrices de CO2. En d’autres termes, cette solution serait une aide d’Etat – les pouvoirs publics attribuent gratuitement un actif valorisables sur un marché - aux conséquences particulièrement distorsives pour les choix techniques et économiques. Elle instaurerait une distorsion économique durable en n’exigeant pas des entreprises qu’elles assument pleinement les coûts des facteurs qu’elles mobilisent pour leur production.» [9]
Plaçons-nous maintenant du point de vue des objectifs exigés par le protocole de Kyoto. Les réductions des émissions exigées par ce protocole sont inférieures à 2% annuellement (8% de 2008 à 2012), c’est-à-dire d’un ordre de grandeur certainement plus petit que les erreurs concernant l’estimation du PNAQ relative aux émissions réelles et d’un ordre de grandeur semblable aux variations de croissance dans l’industrie.
Il faut encore préciser que le protocole de Kyoto ne concerne que le 40% des émissions européennes de GES: l’effort demandé sur l’ensemble des émissions de GES des signataires du protocole signifie donc une décroissance absolue des GES inférieure à 0,8% annuellement pour l’ensemble des industries. On ne peut pas dire que cela est une charge terrifiante pour les industriels.
Le graphique ci-dessous tiré des données de l’Agence Européenne de l’Energie est tout de même révélateur: au niveau de l’UE des 15 ou des 27, Kyoto ne servira certainement à rien puisque la production de GES est quasi constante depuis 1990 et que l’objectif de Kyoto peut être obtenu facilement sans le marché ! Enfin, il nous semble que la particularité qui se dégage de ce graphique devrait être mise en relation avec la délocalisation de la production des pays avancés et la sous-traitance (et donc aussi la délocalisation de la production des GES), ce qui nécessiterait un autre champ d’investigation. Un champ d’investigation qui devrait tenir compte de l’ensemble de la production industrielle et des services à l’échelle planétaire. |