République tchèque
Zdenek Málek
La crise: réaction d’un syndicaliste
Entretien avec Mathieu Magnaudeix *
Zdenek Málek est vice-président de la première confédération syndicale tchèque. Il est favorable à «un syndicalisme de consensus», un peu helvète.
La Tchéquie est en partie un pays sous-traitant du capitalisme impérialiste allemand. Or, ce dernier fait face à la plus sérieuse récession de son histoire de l’après-guerre: -3,8% de la production industrielle au premier trimestre 2009 par rapport au trimestre précédent et -6,7% par rapport au même trimestre de 2008. La République tchèque va donc subir de plein fouet ce brutal recul du grand frère dominateur.
Le groupe suisse Ringier emploie quelque 8000 salarié·e·s en République tchèque. Comme l’écrit le Département des affaires étrangères suisse, le 26 juillet 2007: «La République tchèque est le principal partenaire commercial de la Suisse en Europe centrale et, dans la région, le deuxième pays de prédilection des investisseurs suisses.»
Les coûts salariaux et la qualification de la main-d’œuvre, élevée dans République tchèque, jouent un rôle important dans les choix opérés par les firmes suisses. Ainsi, on peut constater le choix, apparemment particulier, effectué par l’entreprise Schurter (électronique, siège à Lucerne). Il s’explique ainsi: «Schurter a délocalisé en République tchèque la production manuelle de ses prototypes (fort coûteuse au plan salarial), alors que la production ultra-automatisée qui suit s'effectue en Suisse.» (La Vie économique,1/2. 2007)
Le capitalisme suisse ordonne – étant donné sa configuration productive et ses liens directs avec le système productif de l’Allemagne (IDE en Allemagne) – ses exportations et ses investissements sur les traces de l’impérialisme allemand dans cet Hinterland (auquel s’ajoute la Hongrie, la Slovénie, la Pologne, la Slovaquie) qui s’est ouvert dès le début des années 1990.
La crise, comme ailleurs, frappe durement la République Tchèque. Alors, le «syndicalisme de consensus» subira-t-il quelques failles ? A voir, de près… par les syndicalistes suisses. Un syndicalisme à visage de classe pourrait être imaginé !
A Prague, 20’000 personnes manifesteront ce vendredi 15 mai 2009 à l'appel de la Confédération européenne des syndicats (CES) pour exiger une réponse coordonnée à la crise au sein de l'Union européenne. (Réd.)
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Quels sont les effets de la crise en République tchèque ?
Le chômage est en train d'augmenter, il atteint déjà plus de 8%, mais dans certaines régions c'est 15% ou plus, notamment dans certaines micro-régions où il n'y a qu'une grande usine. Dans le secteur du verre, qui a fait la réputation de notre pays, plusieurs entreprises tchèques et étrangères ont tout simplement fermé au prétexte que ce secteur n'avait plus d'avenir. Des centaines d'employés ont été renvoyés chez eux, les salaires n'ont pas été payés.
Ailleurs, le chômage partiel devient la règle. Prenons le cas de l'entreprise allemande Bosch en Moravie. Ils commencent à prendre des mesures de chômage partiel comme en Allemagne. Les gens ne travaillent que quatre jours. Dans les usines allemandes de Bosch, la perte de salaire est presque entièrement compensée. Chez nous, les salariés perdent 20% de leur salaire, parfois plus, car il n'y a pas de compensation. Les multinationales ne se comportent pas de la même façon chez elles et chez nous.
Cela dit, le chômage partiel est tout de même positif. Les entreprises essaient de garder leurs salariés pour conserver leurs compétences, qui seront à coup sûr utiles au moment de la reprise. Mais vu l'état des commandes et les perspectives plutôt sombres pour l'année à venir, on peut craindre des licenciements massifs dans la seconde partie de l'année. Et cela risque de concerner tous les secteurs, même les services. Fin 2009, le chômage devrait dépasser les 10%.
Comme la plupart des pays de l'Est, nous sommes une économie de sous-traitance : 35% de la production industrielle de la République tchèque part en Allemagne. Nous devons trouver des solutions européennes. J'ai peur également que la très grave crise en Hongrie ou dans les pays baltes déteigne sur nous et éloigne les investisseurs qui auraient été attirés par notre pays. Cela aussi, l'UE doit l'éviter.
Le gouvernement a-t-il pris des mesures sociales ?
L'an dernier, en avril 2008, nous avions signalé au gouvernement qu'une crise était probable. Il nous riait au nez! Nous avons demandé une réunion exceptionnelle qui réunirait Etat, syndicats et patronat. En novembre 2008, le gouvernement soutenait encore qu'il n'y aurait pas de crise en République tchèque. Et quand nous avons demandé en février des mesures urgentes, le gouvernement nous a dit de ne pas parler de crise dans les médias pour ne pas causer la panique! Il s'agit tout de même du gouvernement qui préside l'Union européenne!
Depuis, le pouvoir a quand même admis la réalité de la crise. Mais il n'a pas annoncé de mesures sociales. Il a juste lancé une sorte de commission d'experts, réunissant banquiers et grandes entreprises. Résultat, cette commission a exigé des mesures inacceptables : flexibilité accrue du marché du travail, démantèlement des accords collectifs, assouplissement du licenciement, et injonction pour les salariés de se montrer «loyaux» avec leur employeur! C'est une grande attaque contre le droit des syndicats. Ces mesures n'ont pas été adoptées parce que le gouvernement Topolanek a démissionné le 26 mars 2009.
Nous avons maintenant un gouvernement dit d'experts qui, lui aussi,veut réviser le code du travail, mais dans une moindre mesure.
Pourquoi manifesterez-vous vendredi 15 mai ?
Nous sommes membres de la Confédération européenne des syndicats. Nous avons soutenu l'adhésion à l'Union européenne parce que nous croyions au modèle social européen. Mais aujourd'hui, ce modèle est en voie de démantèlement. Les règles économiques du marché unique européen s'imposent de plus en plus aux droits sociaux et aux droits des syndicats. Il faut aussi éviter la privatisation des services publics.
En République tchèque, de nombreux services publics ont déjà été privatisés...
Justement! Nous voulons éviter que cela continue. Au cours des trois dernières années, le gouvernement tchèque a essayé de privatiser la santé, l'école, les retraites. Et c'est ce qui attend à mon avis le reste de l'Union européenne. Voilà pourquoi nous manifesterons pour dire que nous avons besoin dans toute l'Union de mesures sociales pour les citoyens, qui ne sont pas responsables de cette crise.
Nous ne voulons pas que notre gouvernement prenne prétexte de la crise pour multiplier des réformes auxquelles nous nous opposons, comme la privatisation des services publics. Le président Vaclav Klaus disait dans les années 1990 que le gouvernement ne devait s'occuper que de défense, d'affaires étrangères et de sécurité, et que le reste devait être pris en charge par le marché!
Pensez-vous en venir à l'épreuve de force avec le gouvernement ?
Nous sommes un syndicat de négociation et de consensus. Mais si l'Etat ne nous entend pas, nous allons écrire une lettre ouverte, lancer des pétitions ou organiser des grèves dans certaines provinces. Mais également organiser des manifestations. Et pourquoi pas la grève générale. Les différents syndicats de la métallurgie ont signé un document qui menace de recourir à la grève générale si le code du travail est démantelé. Les salariés de la métallurgie représentent une force tout à fait considérable, ils constituent par exemple un tiers de nos adhérents!
Que pensez-vous des manifestations en France ?
J'admire ce que les syndicats français sont en train de faire. Mais notre culture est un peu différente. Ici, nous avons un peu de mal à faire descendre les gens dans la rue. Beaucoup craignent de perdre leur emploi. Nous avons à la fois des cols blancs et des ouvriers, ce qui ne manque pas de provoquer des débats internes. C'est aussi une question de mentalité : beaucoup de Tchèques privilégient la négociation et le dialogue social.
Nicolas Sarkozy a rappelé à l’ordre les entreprises françaises qui produisent dans les pays de l'Est, comme Peugeot en République tchèque. Que lui répondez-vous ?
Je vais être tout à fait franc. Cela me rappelle les tentations protectionnistes qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale. Si chaque pays fait ce que dit Nicolas Sarkozy, alors nous allons construire de nouveaux murs et nous convertir au protectionnisme. Cela n'aidera ni à résoudre la crise actuelle, ni à construire l'Union européenne. Ce n'est pas une bonne idée.
Comprenez-vous qu'en France, les délocalisations inquiètent ?
En tant qu'Européens, nous sommes tous dans le même bateau. Bien sûr, je comprends les Français qui veulent arrêter les délocalisations. Mais ce que nous voulons, c'est que si les Tchèques viennent en France, ils travaillent aux conditions françaises. Si ce n'est pas le cas, alors c'est du dumping. Encore une fois, la solution est à Bruxelles. Seules des directives européennes peuvent éviter le dumping, qu'il soit social ou fiscal.
* Entretien réalisé pour le quotidien en ligne Mediapart.
(15 mai 2009)
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