Brésil
Que voter ?
Editorial du Correio da Cidadania
Ce texte est paru comme éditorial dans la publication hebdomadaire Correio da Cidadania le 21 octobre 2006. Elle est dirigée par Plinio Arruda Sampaio, spécialiste reconnu de la réforme agraire. Comme d’autres publications, cet hebdomadaire est le lieu de divers débats portant sur le mot d’ordre de vote à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle au Brésil. Nous avons abordé cette question dans l’article publié sur ce site et intitulé «Elections: le Front de gauche, le deuxième tour et… (II)» en date du 18 octobre 2006.
Le Correio da Cidadania est une publication de gauche qui circule dans des cercles politiques et sociaux socialistes, progressistes, nationalistes et de personnes ayant une posture démocratique – toutes critiques de la situation actuelle du pays.
La publication est absolument stricte pour ce qui a trait à la véracité du matériel qu’elle publie, mais elle assure une place à des interprétations divergentes concernant la conjoncture, dans la mesure où elles se situent dans le camp de la gauche. La position de la publication s’exprime dans l’éditorial.
Au cours des dix dernières années, cette politique a pu être appliquée sans difficultés majeures. Mais en ce moment, toutefois, cette politique exige une explication minutieuse, parce que nous faisons face à une conjoncture électorale inédite: bien qu’il n’y ait, dans le second tour, aucun candidat qui représente les intérêts de la classe laborieuse, cette réalité n’est pas en voie d’être perçue par la majorité de l’électorat populaire, ainsi que par les organisations et les mouvements populaires combatifs. Ces derniers interprètent que l’activité déceptive de Lula lors de son premier mandat a été due à des difficultés qu’il rencontra pour mettre de l’ordre dans la maison, après huit ans de désordre du «pouvoir des toucans» [1] de telle façon que, au cours du second mandat, cette orientation pourra être modifiée.
Nous ne sommes pas convaincus de la possibilité de cette reconversion, mais nous ne pouvons renoncer à prendre en considération les arguments d’organisations importantes du camp de la gauche, dont les revendications ont été systématiquement soutenues par le Correio da Cidadania.
Face à ce second tour, la gauche s’est divisée entre deux positions. Ceux qui d’entrée ont décidé le vote nul et ceux qui, de même carrément, ont décidé d’appuyer Lula.
Les deux positions méritent d’être examinées. Défendre le vote nul sans un débat avec le candidat qui a reçu le plus grand nombre de voix des classes populaires laisse cet électorat sans une explication sur une telle attitude et, dès lors, ne politise pas le second tour. Appuyer Lula sans exiger des preuves qu’il est, dans la réalité, disposé à changer sa politique revient à laisser l’électorat populaire avec l’illusion qu’il se produit un changement structurel dans le pays.
Ce qui justifie un vote en faveur d’un candidat réside dans l’accord de l’électeur avec la politique que le gouvernement appliquera de manière prévisible. Dans ce cas, seule une négociation politique posée, réfléchie – comme l’avait menée Lula avec Brizola en 1989 – peut fournir une certaine indication que le second mandat ne sera pas simplement la répétition du premier.
En toute rigueur, l’initiative d’un tel dialogue aurait dû être prise par le parti de Lula. Ne l’ayant pas fait, il appartient aux forces de gauche de l’interroger, à partir d’une question qui, pour la gauche, doit toujours être centrale: dans les circonstances concrètes de la conjoncture, qu’est-ce qui est le plus favorable pour le peuple? Le laisser suivre sa tendance à voter Lula, avec l’illusion que ce dernier va changer sa politique? Ou affirmer clairement que Lula ne va pas la changer et, dès lors, que la position de ceux qui proposent le vote nul est correcte?
Heureusement, il y a encore du temps pour vérifier si Lula a l’intention de changer la politique de son gouvernement lors du second mandat. Dans ce cas, il suffirait de lui demander quelques gestes symboliques au cours de cette semaine qui précède l'affrontement [le vote du second tour a lieu le 29 octobre 2006].
Par exemple: Lula pourrait parfaitement ordonner aux ministres de l'Agriculture et de la Réforme agraire qu'ils publient un arrêté [signé par le président] actualisant les indices de productivité des biens immobiliers ruraux [critère important pour déterminer les terres pouvant être intégrées dans une réforme agraire]. C'est une mesure qui, selon la loi, devrait être prise régulièrement, mais que ni Fernando Enrique Cardoso, ni Lula n'ont eu le courage d'appliquer. Les indices actuellement en vigueur remontent à trente ans. Ils se fondent sur un relevé des terres agraires datant de 1970 et 1975. Ainsi, des biens immobiliers visiblement improductifs [non effectivement cultivés], sujets à des décisions d'expropriation, voient la décision les concernant annulée devant la justice, ce qui bloque la réforme agraire.
Une actualisation – fondée sur deux enquêtes convergentes réalisées, en 1999, par UNICAMP [Universidade Estatual de Campinas] et EMBRAPA [Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuaria] – fut la principale revendication adressée par le MST [Mouvement des Sans-Terre] au président [Lula], à l'occasion de la Marche sur Brasilia réalisée par le mouvement en 2004. Elle repose donc, toute prête, sur la table du président. Si ce n'est qu'elle n'a pas été publiée [comme décret] jusqu'à maintenant, en raison du veto des latifundistes de l'agrobusiness.
En la publiant, à l'heure présente, avant le 29 octobre, Lula indiquerait clairement son intention d'accélérer la réforme agraire.
Des gestes concrets analogues, en relation avec les promesses que Lula est en train de faire sur la législation du travail, la prévoyance sociale, la suppression des privatisations, la mise en oeuvre de politiques favorisant l'emploi, justifieraient un vote en sa faveur. Bien sûr, cela déclencherait immédiatement un affrontement contre les intérêts qui s'opposent à la solution des problèmes du peuple et provoquerait une dynamique politique nouvelle, bien plus favorable à la participation populaire.
Néanmoins, si Lula n'était pas prêt à donner cette preuve de sincérité, le vote nul apparaîtra pour le peuple comme une option concrète, s'inscrivant dans le contexte politique. Tout en sachant que, dans un premier temps, les gauches et les mouvements populaires combatifs pourraient n'être pas compris. Mais, quand les faits se chargeront de faire la démonstration de la justesse de ce vote, le peuple saura identifier les forces effectivement engagées dans la transformation du pays et l'affrontement de classe changera de qualité (21 octobre 2006).
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1. Le toucan, avec son gros bec et plumes fort colorées, est l'oiseau qui auquel est identifié, avec une certaine ironie, le PSDB de Fernando Henrique Cardoso et de l’actuel candidat à la présidence G. Alckmin.
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