Brésil

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La police dans le Complexe do Alemao

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Le Terrorisme d’Etat au Brésil

Mário Maestri 

Une jeune habitante (18 ans) du Complexo de Alemão témoigne au journaliste de Brasil do Fato que le 27 juin 2007: «Les tirs ont commencé vers les 9 heures du matin et ne se sont pas arrêtés avant une heure de l’après-midi.» Puis, elle indique que beaucoup d’habitants n’osèrent pas sortir de leurs maisons durant deux jours. Le 13 et 15 février 2007, ce quartier avait déjà été soumis à un assaut des forces policières, avec au moins 6 morts à la clé.

L’opération du 27 juin 2007 a été conduite, cette fois, par quelque 1300 hommes. Raquel Willadino, de l’Observatoire des Favelas, souligne que ces opérations marquent une nouvelle articulation entre les opérations des forces policières d’un Etat (celui de Rio) et celles de l’Etat fédéral, car selon les forces politiques officielles, il s’agirait «d’une guerre».

Dans une certaine mesure cela en est une. Tim Cahill, d’Amnesty International, indique que, pour justifier sa brutalité, la police invoque l’appui donné par la communauté aux criminels. A partir de là, selon Cahill, tortures, électrochocs, vols et viols deviennent les instruments de cette «guerre», sans que la criminalité diminue.

Face à cette politique de terreur les déclarations de Lula (voir plus bas) sont d’autant plus scandaleuses. Comme le fait remarquer Tim Cahill., les paroles de Lula ressemblent à celles tenus par le Secrétaire à la sécurité publique de Sao Paulo (Pedro Franco de Campos) en octobre 1992 lorsque la police massacra 111 prisonniers dans la prison de Carandiru.

Mario Maestri, historien, inscrit les tueries du 27 juin dans le cadre d’une politique d’Etat. (Réd)

Il y a quelque chose de nouveau et de très sinistre dans la vie brésilienne. Le 27 juin 2007, après presque deux mois d’un siège désespérant, mille deux cents policiers militaires de l’Etat de Rio de Janeiro et des forces fédérales ont envahi le cœur du Complexe d’Alemão (énorme quartier de favelas), dans la zone nord de la ville de Rio, en tuant dix-neuf habitants dont trois qui avaient 13, 14 et 1 ans. Durant les semaines précédentes, 29 autres personnes avaient trouvé la mort et des dizaines d’autres avaient été blessées.

Selon des témoignages d’habitants, les adultes et les enfants qui sont morts auraient été exécutés de sang-froid. Et certaines à coups de couteaux. On a également dénoncé le fait que les forces militaro-policières se soient comportées comme une véritable armée d’occupation: elles ont détérioré des immeubles et des magasins; elles ont exigé de l’argent ; elles ont terrorisé des vieux, des adultes et des enfants.

Surtout dans les mégalopoles brésiliennes, des meurtres d’habitants pauvres commis par des policiers militaires sont des pratiques normales qui n’attirent que rarement l’attention des grands médias, qui sont toujours lénifiants dans le traitement de ces faits au sujet desquels les autorités nient ou minimisent leur responsabilité et garantissent que les investigations ne conduiront à rien.

Des éloges sincères

Cette fois, l’action militaro-policière menée contre le complexe d’Alemão – qui compte plus de deux cent mille habitants ­­– a été défendue, justifiée et applaudie par les autorités de l’Etat, surtout par Sérgio Cabral Filho, gouverneur de l’Etat de Rio: «L’image d’une politique qui agit, c’est tout ce que veut le peuple de Rio et ce que veulent aussi ceux qui viennent de l’extérieur.» Pour le gouverneur, ce type d’action attirerait les touristes. Parlant de l’opération elle-même et des morts que celle-ci a causées, le gouverneur prétend qu’il n’y a pas d’ «action sans stress».

Quant à José Mariano Beltrame, secrétaire à la Sécurité de l’Etat fédéral, il a carrément fait l’éloge de l’intervention, affirmant que toutes les morts sont le résultat de confrontations. Au Brésil, le fait d’exécuter un trafiquant constitue déjà un droit policier acquis. Cependant, ce 27 juin dernier, il n’y a pas eu de mort ni de blessé grave parmi les policiers. Le secrétaire a également promis que les actions continueraient dans d’autres grands centres populaires de Rio de Janeiro.

José Beltrame prétend qu’il est impossible de «faire des omelettes sans casser d’œufs». Dans le cas du Complexe d’Alemão, «faire une omellette» reviendrait donc, de fait, à assassiner des adultes et des jeunes liés au trafic et les «œufs» que l’on «casse» pour alimenter la fête, seraient les gens du peuple exécutés par erreur ou pour donner l’exemple ! Il a en outre été interdit à des observateurs indépendants d’assister aux autopsies des personnes assassinées. Selon des observateurs, certaines personnes tuées portent des traces de tir à la tête, ce qui constitue des indices d’exécution.

La défense de la répression dit explicitement qu’il n’y a pas eu de dérapage de la part des autorités de Rio de Janeiro. Le lundi 2 juillet 2007, le président Lula da Silva lui-même s’est solidarisé avec le gouverneur Sérgio Cabral et a affirmé, comme le Secrétaire à la Sécurité, qu’il était «impossible d’affronter le narcotrafic avec des pétales de roses, en jetant de la poudre de riz». Par la même occasion, le président a annoncé des investissements pour les quartiers pauvres de Rio de Janeiro, promesse faite et jamais tenue depuis le début de son premier mandat.

La peur de vivre

La population brésilienne vit en permanence stressée par la violence urbaine et rurale croissante, et ce sentiment est fortement renforcé par l’insécurité existant autour du travail, de la santé, de l’éducation, des retraites, etc. Cet état d’esprit atteint un paroxysme dans les grandes capitales brésiliennes, telles que São Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Recife, Salvador ou Porto Alegre.

Pour que cet état de fait puisse être surmonté, il faudrait un changement absolu des politiques toujours plus radicales qui sont menées depuis le coup militaire de 1964. Pour cela, il faudrait faire des investissements sociaux importants et opérer  une réelle redistribution de la richesse, une réorientation qui est totalement entravée par les intérêts économiques nationaux et internationaux dominants. Le Brésil est l’un des pays à plus forte inégalité sociale de toute l’Amérique Latine. La consolidation du scénario anti-social – le chômage, les salaires misérables, l’offre médicale, éducationnelle, etc. de très basse qualité, etc. – dans le contexte d’une population peu consciente et à faible capacité de mobilisation sociale, amène un nombre de plus en plus important de gens issus des classes populaires  à trouver des moyens de subsistance temporaires ou permanents dans la petite et grande délinquance, dans le domaine de la distribution de drogue surtout.

Tolérance zéro ! Investissements, zéro !

Egalement au Brésil, la criminalisation et la répression des pauvres et des travailleurs sont devenues des politiques présentées par les milieux conservateurs et par les grands médias comme étant une solution à la violence contre les personnes. Comme l’Etat brésilien refuse d’investir dans le système judiciaire, policier et carcéral, ce qui serait nécessaire dans la logique de son projet, il tend à avoir recours à des actes extrêmes contre certains délinquants et surtout contre la population pauvre.

Malgré les deux millions de miséreux que compte la ville de Rio de Janeiro, les autorités publiques ont opté pour investir des millions dans l’organisation des jeux panaméricains, certains qu’elles sont que cela produira un retournement politique et économique favorable aux groupes politiques et commerciaux qui dominent l’administration publique régionale.

Dans ce contexte général, la répression massive et aveugle devient un moyen essentiel pour étouffer et prévenir d’éventuels débordements sociaux, ainsi que pour satisfaire les immenses pans de l’opinion publique, non seulement les classes moyennes d’ailleurs, qui sont conquises par les propositions de répression sans pitié du délinquant. En ce sens, la politique de l’Etat de Rio de Janeiro est l’une des plus mortifères au monde.

Une issue politique

Après deux mois et près de trente morts, l’assaut donné par les forces militaro-policières d’Etat et fédérales a débouché sur un échec énorme, qui a discrédité la capacité de l’Etat à mener son projet de répression dure. L’opération du 27 juin cherchait à sortir de l’impasse en arrêtant le trafiquant Antonio José Ferreira de Souza (35 ans), dit Tota, et quelques-uns de ses principaux complices, qui s’étaient retranchés dans l’Areal, l’un des coins les plus inaccessibles de l’énorme Complexe d’Alemão. Par la suite, le siège aurait pu être allégé, et la proposition répressive être ainsi moins discréditée. Mais comme ceux qui étaient recherchés (et qui d’ailleurs n’étaient pas plus de cinquante) cachaient des armes et qu’ils  ont réussi à tenir le siège en se retranchant, le massacre a servi à réaffirmer, à travers l’imposition de la terreur, la capacité de l’Etat à blesser impunément les délinquants et les petites gens, où elle le voulait, comme elle le voulait et quand elle le voulait. Et pour que l’exercice de la terreur prenne un caractère exemplaire, les autorités de Rio ont proposé sa prochaine extension aux quartiers (favelas) de Rocinha, Jacarezinho, Mangeira, Cidade de Deus et au Complexe da Maré.

Cette tuerie a aussi cherché à empêcher, par la terreur également, tout retour des trafiquants, durant les Jeux Panaméricains, qui commenceront le 13 juillet, et durant lesquels on attend huit cent mille touristes. Le complexe d’Alemão n’est que l’un parmi les centaines de quartiers populaires de la ville de Rio, qui comptent  pour certains quelques centaines de milliers d’habitants. Il s’agit donc là d’un pari risqué pour l’avenir !

Assumant publiquement la responsabilité du massacre du Complexe d’Alemão, le gouvernement de Rio de Janeiro et le président de la République ont soutenu une action terroriste, qui se situe non dans le champ de la loi mais dans celui de la politique d’Etat, dans le silence de presque toutes les autorités publiques nationales et internationales, à l’exception de quelques voix dissidentes fragiles et méritantes, celle notamment de l’Ordre des Avocats de Rio de Janeiro. (Taduction de A l’encontre)

(17 juillet 2007)

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