Brésil
Francisco de Oliveira
«Le gouvernement Lula représente une régression politique par rapport à celui de Fernando Henrique Cardoso»
Entretien avec Chico de Oliveira conduit par Diego Cruz
Le professeur à la retraite de l’USP (Université de São Paulo), Francisco de Oliveira, dit Chico, dont le militantisme a commencé dans les années cinquante, est l’un des intellectuels les plus reconnus de la gauche brésilienne. Avec Valério Arcary, militant du PSTU (Parti Socialiste Unifié des Travailleurs) et avec Alvaro Bianchi de l’Unicamp (Université de Campinas), Chico de Oliveira (qui quitta le PT en 2003) a été invité au débat qui marqua l’ouverture du séminaire présentant le programme du candidat à la présidentielle Zé Maria (PSTU). Nous publions ci-dessous l’entretien accordé par Chico de Oliveira à l’issue des débats.
Les élections présidentielles au Brésil – un pays de quelque 190 millions d’habitants – auront lieu en octobre 2010. Les deux principaux candidats sont, d’une part, Dilma Rousseff, membre du Parti des Travailleurs et lancée et appuyée par Lula, et, d’autre part, José Serra, membre du PSDB. Il y a donc un «affrontement» entre centre-gauche et centre-droit. Ricardo Antunes caractérise cette situation comme une tendance à «l’américanisation de la vie politique» au Brésil (voir son entretien sur ce site, en date du 14 juin 2010).
Parmi les autres candidat·e·s, s’est profilée l’ex-ministre de l’écologie Marina Silva, Parti Vert. Elle s’est vite alliée à un secteur capitaliste significatif.
Le PSOL (Parti du socialisme et de la liberté) présente Plinio Sampaio Arruda, un militant de très longue date et qui est un des inspirateurs de la réforme agraire telle qu’envisagée par le MST (Mouvement de sans-terre).
Un autre candidat est Zé Maria, un militant qui a participé directement à l’émergence du syndicalisme indépendant de classe fin des années 1970 et début des années 1980. Il a de même participé à la création du PT, puis, exclu du PT, s’est affirmé comme un des animateurs du PSTU (Parti socialiste des travailleurs unifié) et de la centrale syndicale Conlutas. La parole de Chico de Oliveira est fort utile à saisir afin de faire le point sur les deux mandats présidentiels de Lula ; toujours présenté par les médias occidentaux comme un «homme de gauche», certes «raisonnable». (Réd.).
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Que pensez-vous du débat qui a ouvert le séminaire ?
Les débats ont été très intéressants. Certaines interventions, comme celles d’Alvaro et de Valerio, ont montré à travers beaucoup d’éléments informatifs et illustratifs comment il fallait absolument démystifier les prétendues réalisations du gouvernement Lula. Mon intervention a été plus simple, disons que je me suis limité à évoquer le type de déroute que le gouvernement Lula représente pour les travailleurs.
Et quel est le bilan que vous tireriez du gouvernement Lula ?
Le gouvernement Lula présente un caractère de déroute-défaite pour le mouvement des travailleurs en général et pour les luttes de transformation sociale au Brésil. C’est ma position. Je considère le gouvernement comme étant une régression politique, même par rapport à celui de Fernando Henrique Cardoso (FHC). Le gouvernement de FHC était un gouvernement qui allait vers la droite et nous y étions opposés. Alors que le gouvernement Lula, quant à lui, fait un compromis avec le capital, intègre la classe ouvrière et ses institutions dans ce compromis et annule la puissance du conflit de classe.
Je crois que cela constitue un désastre dans le cadre de la trajectoire de la classe ouvrière et de la lutte pour le socialisme. Nous tous luttons contre cette opacité. Comment un gouvernement peut-il avoir un comportement si pervers et jouir d’une telle popularité ? A partir de certains éléments conjoncturels et de faits qui montrent ce caractère illusoire, il est indispensable de perdre certaines de ses illusions. Mais il est difficile de transmettre cela au mouvement social.
Face à la déroute que représente le gouvernement, quels seraient les défis à relever pour la gauche socialiste, spécifiquement dans le cadre de la campagne électorale ?
Ma position détonne par rapport à une bonne partie des mes compagnons et camarades. Je ne suis pas optimiste et je crois qu’il faut maintenant élaborer une stratégie propre à cette situation de recul, de déroute.
Comme cela se concrétise-t-il ?
Evidemment qu’il faut aller à la lutte électorale, faire une campagne, mais, fondamentalement, il faut préparer la gauche brésilienne pour un long hiver. Il faut rester toujours auprès du mouvement social, en faisant corps avec lui, et profiter des conjonctures historiques. Fort heureusement, l’histoire surprend toujours. Il est possible de percevoir des lignes de force, mais à certains moments, une nouveauté fait irruption que le système ne peut contrôler. C’est une espérance vague, comme vous pouvez le constater. (Traduction A l’Encontre)
(6 juillet 2010)
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