Les élections municipales d'octobre 2004 seront un premier test politico-électoral pour le gouvernement Lula. En réalité, la mégalopole de Sao Paulo fournira, à elle seule, l'élément permettant de juger les réels rapports de forces politiques et aussi des alliances que le PT est prêt à passer pour maintenir sa présence à l'exécutif.
Des observateurs sérieux des développements à l'oeuvre à Sao Paulo indiquent que la maire de cette ville, membre du PT, Marta Supplicy, serait prête, à l'occasion du second tour, à passer une alliance avec la tête de file de la vieille droite brésilienne en déclin: Paolo Maluf. Le principal concurrent de Marta Supplicy est l'ex-candidat à la présidence, José Serra (poulain de l'ancien président F. H. Cardoso). La campagne de Marta Supplicy se développe sur le même terrain que celle de José Serra ou celle de Luiza Erundina, ancienne militante du PT ayant été, à l'époque, maire de Sao Paulo. Si l'alliance de Marta Supplicy avec Maluf se confirme au second tour, cela donnera une indication de la dynamique effective du PT gouvernemental et de l'emprise du clientélisme sur cette formation politique.
Une autre élection municipale attire l'attention d'observateurs, particulièrement en Europe. Celle se déroulant à Porto Alegre, où se tiendra le prochain Forum Social Mondial. Nous publions ci-dessous un article faisant le point sur la campagne électorale de Porto Alegre - dont l'ex-maire, Raùl Pont a été interviewé par le quotidien français, Le Monde, dans son édition datée du 9 septembre 2004. Réd.
Il manque moins d'un mois avant les élections municipales du 3 octobre au Brésil. Aux quatre coins de Porto Alegre, la ville emblématique de la "démocratie participative" et du mouvement "altermondialiste", s'entendent les "trompettes" électorales avec les couleurs les accompagnant. Des milliers d'adhérents et d'"agents électoraux" (en grande partie payés quelque 5 dollars par jour ou un simple repas dans le pire des cas) distribuent la propagande des partis. Le marché de l'offre politique est si important que le quotidien Folha de Sao Paulo, du 6 septembre 2004, indique que les dépenses pour la campagne électorale dans tout le pays atteindront le montant scandaleux de 16,3 milliards de reals!
Raùl Pont, fondateur du PT, ex-maire de Porto Alegre, dirigeant du courant Démocratie Socialiste dans le PT (dont un des membres est Ministre de la Réforme Agraire: Miguel Rosetto), est à nouveau le candidat à la mairie de la liste nommé "Front Populaire". Elle agglutine des partis de la gauche, du centre et de la droite. Cette alliance reproduit - dans un contexte particulier et régional - le type de coalition gouvernementale dirigée par Lula et sa politique d'alliance avec la bourgeoisie. Selon les derniers sondages, Raùl Pont apparaît comme le candidat le mieux placé. Il recueille 32% des intentions de vote actuellement, ce qui ne lui permettra pas, toutefois, de gagner lors du premier tour.
Après 16 ans à la tête de la ville, la machine électorale du PT fonctionne comme la meilleure des entreprises de marketing. Non seulement elle bat les autres partis en ce qui concerne l'obtention d'importantes "donations" en provenance du patronat. Mais elle présente aussi une variété de produits électoraux qui, quasiment peut faire concurrence à ce qu'offre à leurs clients un supermarché.
En plus des traditionnels comités de quartier et des "actes spectacles" des candidats de cette liste au poste de conseillers municipaux – activités au cours desquelles plusieurs milliers de reals peuvent être dépensés en une seule nuit – le PT organise des réunions spécifiques sur divers thèmes. Elles s'adressent à un électorat cultivé et aussi à diverses couches sociales. Par exemple, la propagande en direction des évangéliques (membres du Parti Libéral, intégré à la liste "Front Populaire") est illustrée par des phrases bibliques telle que: "Celui qui opprime le pauvre insulte son Créateur, alors que celui qui manifeste sa compassion lui fait honneur".
Les expressions courantes dans la gauche, tel que camarade, ont été changées par des formules telles que "cher frère et chère soeur". Dans le bulletin de campagne numéro 3 (septembre 2004) du ticket Raùl Pont-Maria del Rosario, candidate vice-maire (actuelle députée fédérale qui a voté la contre-réforme néo-libérale de la sécurité sociale du gouvernement Lula, ce qui lui a valu le rejet des syndicats réunissant l'ensemble des fonctionnaires publics) ressort un slogan: Porto Alegre sait ce qui est sérieux et vrai. Dans ce bulletin on indique quelques réussites (en parties médiocres) de l'actuel gouvernement municipal du PT sur le terrain de la santé, de l'éducation, des transports et de l'aide sociale.
On ne trouve pas une seule critique de la politique économique néolibérale du gouvernement fédéral de Lula. Au contraire, dans un encart du bulletin est mis en relief: "Les actions du gouvernement Lula à Porto Alegre", dans des domaines tels que la culture, l'habitat ou le programme «faim zéro» ainsi que sur la question de la sécurité. Par contre, il n'y a pas un mot sur la réforme agraire et sur la répression des sans-terre.
Comme c'est une habitude, le Budget participatif est un des thèmes centraux du marketing électoral. Mais, au même titre que le parti - le PT qui l'a mis en place - le Budget participatif a cessé d'être un instrument de luttes démocratiques et populaires. Il s'est transformé en un important instrument du clientélisme et du carriérisme politique sans scrupule.
Il y a déjà quelque temps, le sociologue Francisco de Oliveira qualifiait le Budget participatif de "saint-simonisme réchauffé". Aujourd'hui, ce n'est même plus cela. La bureaucratisation institutionnalisée et les coupures budgétaires dans les secteurs de "dépenses sociales" (ce qu'exige le gouvernement Lula de la part des Etats et des municipalités) ont transformé l'expérience démocratique en un système où domine le manque de transparence ainsi que la répartition des responsabilités entre les diverses tendances internes du PT. Et, toujours plus, "la participation citoyenne" se fait maigre: moins de 5% de la population participe aux assemblées ou aux autres instances délibératives.
La cession partielle de pouvoir, qui avait eu lui aux cours des premières années du Budget participatif, a reculé. Cela est dû au veto et à la centralisation administrative de l'exécutif qui a finalement resserré - à travers des "représentants" politiques - l'accès des mouvements populaires aux lieux de discussions et à diminué leur capacité de proposer.
L'idée de construire une "contre-hégémonie" à partir du Budget participatif, non seulement a perdu toutes ses vertus, mais cela est devenu un instrument-produit politique de manipulation aux mains des élites du PT. Ces dernières l'utilisent comme un mécanisme de pouvoir et de discipline politico-éléctoral. Diverses études et recherches en offrent les preuves, aussi bien à Porto Alegre qu'à Sao Paulo. Il en ressort non seulement des limites intrinsèques du Budget participatif comme projet alternatif, mais aussi l'ensemble des idéologies trompeuses construites autour de lui (voir pour exemple: Revista Démocratia Viva - www.ibase.org.br).
A la gauche de l'éventail électoral de Porto Alegre se profile le Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU). Il distribue de façon "équitable" ses attaques au gouvernement Lula et à l'administration du PT de Porto Alegre, ainsi qu'à l'encontre du Parti socialisme et liberté (P-SOL - qui ne peut se présenter à ces élections, car n'étant pas encore légalement enregistré). Le PSTU critique le P-SOL comme une formation "réformiste" et aussi parce que ce dernier n'appel pas à voter pour les candidats du PSTU, alors qu'il se prononce en faveur "de la gauche du PT".
Pour ce qui a trait du mot d'ordre électoral du P-SOL à l'occasion de ces municipales, la situation est pour le moins complexe. L'exécutif national du P-SOL, en date du 5 août 2004, a décidé d'appuyer les candidats qui, au moins, font preuve de: "a.) liens avec les mouvements sociaux représentatifs et les luttes populaires et sociales ; b.) de positions publiques et critiques à la politique du gouvernement Lula, particulièrement face à sa politique économique ; c.) d'appui à la légalisation du P-SOL".
A Porto Alegre, pour la majorité des militants du P-SOL (qui ont déjà rassemblé 35'000 signatures, sur les 100'000 qui sont réunies dans tout le pays - il en faut plus de 450'000), il est difficile de voter pour la liste "Front Populaire", encore plus lorsque ce n'est pas un vote à l'occasion du second tour.
Certes, ils reconnaissent que Raùl Pont est un "représentant réel de la génération de la résistance" (contre la dictature militaire). Toutefois, ils ont quelques doutes sur son orientation actuelle, au point de l'identifier "avec les modalités pétistes de gouverner", qui sont assimilées aujourd'hui aux pires pratiques d'un parti qui est devenu une courroie de transmission du gouvernement bourgeois de coalition présidé par Lula. De même, actuellement, la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) est devenue un instrument directe du gouvernement pour discipliner les salarié·e·s.
Dans ce contexte, des militants sociaux et politiques, à coup sûr, vont exprimer une attitude d'abstention face aux élections municipales. Ils continueront néanmoins à privilégier le travail de "re-construction" d'une gauche radicale et anticapitaliste.
* Membre de la direction nationale du Courant de gauche (regroupement radical au sein du Front Ample d'Uruguay). Editeur du bulletin Correspondencia de prensa. A participé du 2 au 4 septembre au 8e Colloque international sur le thème: Mouvements sociaux et organisations populaires: au-delà de la croisée des chemins. Ce colloque a été réalisé à Passo Fundo, dans l'Etat de Rio Grande do Sùl. Il était organisé par le Syndicat des professeurs et enseignants.