Brésil


Luciana Genro, Joao Fontes, la "poupée mannequin." d'Heloisa Helena et Baba (de gauche à troite):le 14 décembre 2003
à Brasilia, lors de la réunion du Conseil national du PT qui a voté leur exclusion.

La "gauche radicale" face aux expulsions

Nous publions, ci-dessous, les déclarations de trois courants dont les membres, parlementaires fédéraux de la République du Brésil, ont été expulsés du PT (Parti des travailleurs). Malgré de nombreuses négociations, l'intervention d'un ministre comme Olivio Dutra (ministre de la Ville) qui demandait qu'Heloisa Helena soit suspendue (visant à différencier ainsi les mesures prises contre les quatre radicaux qui ont multiplié les meetings communs), la direction du PT, avec l'impulsion de son noyau gouvernemental, a décidé d'exclure des rangs du PT ces militants et militantes. Encadrer, discipliner ceux et celles qui se revendiquent encore d'une position de gauche dans le PT constitue l'un des objectifs de cette mesure disciplinaire. Le PT gouvernemental n'accepte pas les oppositions de parlementaires qui s'exprimeraient en "déséquilibrant" l'arithmétique des coalitions dans les deux Chambres du législatif de la République fédérale brésilienne. Cette arithmétique participe directement de la politique de coalition avec des secteurs clés du capital brésilien. Voilà une des clés de compréhension de ces mesures disciplinaires.

Les lectrices et lecteurs capteront sans difficulté la différence de tonalité entre les déclarations. Des militants de Démocratie socialiste qui ont mis en question leur participation au PT (voir sur ce site le texte intitulé "Aujourd'hui, il est temps pour nous", 15 décembre 2003) pourraient se trouver dans une position plus délicate du point de vue de leurs rapports futurs avec la DS que le ministre du Développement agraire, Miguel Rossetto. - CAU

1. Déclaration du Mouvement de la gauche socialiste (MES)

Les expulsions des parlementaires radicaux scellent le destin du Parti des travailleurs (PT). Le PT tourne le dos aux intérêts de la classe des travailleurs, du peuple paupérisé et endurant des souffrances qui ont voté en faveur de Lula pour changer le Brésil. Le PT ne dirige pas les changements dont le Brésil a besoin. Il n'y aura même pas de réformes progressistes qui puissent aider à la nécessaire accumulation de forces afin de mettre en place un gouvernement de la classe laborieuse, dans la perspective d'une société socialiste.

Pour cela, il faudrait que le PT s'affronte aux intérêts du grand capital, des oligarchies et de la grande propriété terrienne. Le PT a préféré s'allier à ces derniers au lieu de lutter pour chercher à leur infliger une défaite. Dès lors, le PT a tourné le dos au futur.

Au côté de Luciana Genro, notre militante et porte-parole [Luciana Genro est députée fédérale, Etat de Rio Grande do Sul, élue en tant que membre du PT, et membre du MES], au côté d'Heloisa Helena [sénatrice de l'Etat d'Alagoas et membre du courant Démocratie socialiste, auquel appartient aussi le ministre du Développement agraire Miguel Rossetto], de Baba [député fédéral, Etat de Para, membre du Courant socialiste des travailleurs], et de Joao Fontes [député fédéral, Etat de Sergipe, membre du Pôle de résistance socialiste], expulsés parce qu'ils ont refusé de se taire alors qu'il s'agissait de défendre des intérêts de la classe laborieuse, le Mouvement de la gauche socialiste se considère dehors du PT; il a décidé de rompre et de construire une nouvelle alternative.

Nous appelons à l'unité de toutes et tous - qui, à l'instar des "radicaux", n'ont pas abandonné la lutte contre le FMI et l'ALCA [Zone de libre-échange des Amériques], la lutte pour l'emploi, le salaire, la réforme agraire; et qui ne renonceront pas à la lutte anti-impérialiste et socialiste - afin de réunir la gauche cohérente en un nouveau parti. Un parti socialiste et anti-impérialiste, qui soit profondément démocratique, qui ne soit pas la propriété de parlementaires caciques, qui reprenne dans ses mains les revendications historiques de la classe ouvrière et représente un dépassement du PT actuel, aussi bien en termes de programme, de fonctionnement qu'en termes de conception d'ensemble.

Beaucoup sont convaincus de cette nécessité. D'autres, nombreux, ont déjà renoncé au PT. Et d'autres sont en train d'y renoncer en ne se laissant pas coopter. Nous voulons conduire ce débat avec tous, d'une  manière ouverte et démocratique, dans un vaste mouvement qui reprendra les bannières du PT qu'il a laissé tomber derrière lui. Nous reproduisons, ci-dessous, l'intervention de la camarade Luciana Genro faite devant la Direction [conseil] nationale du PT [le 14 décembre 2003] qui a voté par 55 voix contre 27 l'expulsion des parlementaires radicaux. Ce même jour, après la votation ayant abouti aux expulsions, le camarade Roberto Robaina [membre de la direction du MES], alors membre du Conseil national du PT, a annoncé sa démission du PT au nom de tout le MES. - Porto Alegre, 15.12.2003

[L'intervention de Luciana Genro sera prochainement disponible sur notre site.]

2. Déclaration politique du Courant socialiste des travailleurs (CST)

Le 14 décembre 2003 restera gravé dans l'histoire du Parti des travailleurs (PT) comme un jour sombre au cours duquel la Direction de palais [allusion au palais gouvernemental de Brasilia] et les membres du Conseil national du PT qui l'accompagnaient ont décidé d'expulser les quatre parlementaires pour le délit de défendre les revendications, les engagements et les idéaux avec lesquels fut construit le PT au cours des vingt-trois dernières années.

Cette attitude est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Elle démontre avec une clarté totale le tournant irréversible du PT qui se transforme en un parti de l'ordre, mettant en oeuvre le modèle néolibéral, servant les exigences des banquiers, des grands propriétaires terriens et du FMI. Pour appliquer ce projet, il était nécessaire de tuer la démocratie interne en faisant taire ceux et celles qui défendent le vieux PT de ses origines, ceux et celles qui se refusent à laisser tomber ses revendications, tous ceux et toutes celles qui continuent à lutter pour défendre les intérêts des travailleurs et du peuple pauvre. Ceux et celles qui refusent les accords avec la bourgeoisie, ceux et celles qui continuent à défendre la nécessité de lutter pour un Brésil et un monde socialistes. Nous, tous les militants du Courant socialiste des travailleurs, sommes sortis [de l'hôtel où ont été votées les expulsions] du PT, la tête haute, en accompagnant les quatre camarades exclus. Avec beaucoup d'autres camarades, nous considérons que l'expulsion de Baba, d'Heloisa, de Luciana et de Joao représente une limite pour nous et nous rompons nos liens avec le PT; nous nous en désaffilierons formellement dans les prochains jours.

Nous sortons avec la force et le courage pour continuer la lutte, parce que nous savons que nous sommes nombreux, nous sommes des milliers qui rompons avec ce PT et nous voulons nous unir avec toutes et tous les camarades pour engager, conjointement, la tâche de construire un nouveau parti qui défende de façon cohérente les exigences de la classe ouvrière.

Nous avons reçu des milliers de lettres, d'e-mails, de télégrammes et d'appels téléphoniques d'appui, de solidarité, avec force; et, avant tout, nous avons reçu des engagements à participer à la difficile tâche de construction d'un nouvel instrument politique. Plus de 6000 camarades ont signé la déclaration politique dans laquelle nous rejetions le cours du gouvernement Lula, nous refusions les sanctions et annoncions l'intention et la nécessité de construire un nouveau parti de gauche.

Le même jour des expulsions, des intellectuels significatifs de la gauche, comme Chico de Oliveira, Carlos Nelson Coutinho et Leandro Konder, ainsi que l'ex-député fédéral Milton Temer, ont annoncé qu'ils quittaient le PT, expliquant qu'il n'existait aucune possibilité de construire un instrument de transformation en continuant d'agir dans le PT [voir sur ce site les articles sur le Brésil des 14 et 16 décembre].

Nous remercions tous les camarades qui nous ont envoyé des messages de solidarité et d'appui. Et, avant tout, ceux qui nous appellent à ne pas renoncer, à continuer le combat en commun. Nous continuerons la récolte de signatures pour la déclaration politique [ce texte sera publié sur notre site] jusqu'au 10 janvier 2004. Quand nous disposerons d'une version imprimée, avec l'ensemble des signatures, nous la distribuerons dans tout le pays. Aux camarades qui sont décidés de prendre en charge la tâche de mettre sur pied un mouvement pour le nouveau parti, nous leur suggérons de nous aider à réunir les signatures et, si cela est possible, de constituer des Comités provisoires du mouvement pour un nouveau parti, dans leur entreprise, dans leur ville, dans leur quartier ou sur le lieu de leurs études. A ceux qui désirent recevoir du matériel ayant trait au débat sur le nouveau parti, nous leur demandons de nous envoyer leur adresse afin de pouvoir leur faire parvenir textes et brochures imprimés par courrier.

L'année 2003 fut une année difficile, mais elle constitua un important apprentissage. Nous avons pu repérer ceux qui sont de notre côté et ceux qui ne le sont pas. Nous avons pu vérifier que la coalition avec la bourgeoisie conduit la direction majoritaire du PT à capituler face aux intérêts du grand capital. Malgré le fait que nous soyons isolés dans le cadre du Congrès national [le parlement qui siège à Brasilia], nous ne nous sentons pas isolés parce que, de façon permanente, nous avons rencontré un appui, une solidarité et l'affection de milliers de travailleuses et travailleurs que se sont sentis représentés par nous. Nous commencerons la nouvelle année sans peine ni ressentiments, en nous souvenant de la célèbre phrase de Spinoza: "Ni rire ni pleurer, comprendre." Nous réaffirmons notre engagement au côté des luttes et des besoins de la classe ouvrière. Comme nous a écrit le camarade Deilson: "Une fois la tourmente passée, la vie continue. Je suis au côté de la cohérence des rebelles et disposé à m'engager dans leurs rangs, sur le nouveau chemin." Nouvelle année, nouvelle vie. - Para, 16.12.2003 (député fédéral de lutte Baba)

3. Déclaration de la tendance Démocratie socialiste du Parti des travailleurs (PT)

Le dimanche 14 décembre 2003 restera un jour noir dans l'histoire du PT. L'expulsion de parlementaires qui défendent les positions historiques du parti, y compris les positions approuvées par son dernier Congrès de décembre 2001 - et cela parce qu'ils n'ont pas accepté un changement d'orientation politique qui n'a pas été largement débattu de manière collective et par la base [du PT] - n'a pas de légitimité démocratique. Cet acte de violence commis par la Direction du PT salit l'histoire du parti.

L'expulsion de la camarade Heloisa Helena, membre de la Direction [Conseil] nationale du PT et du Bureau exécutif, est la plus absurde.

En effet, la camarade Heloisa Helena a fait preuve, en tant que leader du PT au Sénat, d'un comportement brillant et combatif. Les positions qu'elle a défendues alors [sous le mandat de Fernand Henrique Cardoso] étaient les mêmes que celles qu'elle défend aujourd'hui. De plus, la camarade Heloisa Helena est, de façon tout à fait justifiée, une des militantes les plus reconnues par la population et elle bénéficie du plus grand prestige dans tout le Brésil et dans d'autres pays.

Par ailleurs, la camarade Heloisa Helena n'a jamais fait d'écarts par rapport à ses engagements fondamentaux vis-à-vis de la classe laborieuse, du peuple brésilien, du socialisme et de l'humanité. Au nom de ces engagements, elle a toujours affronté l'oligarchie du Nord-Est [elle est sénatrice élue et originaire de l'Etat d'Alagoas, qui se trouve dans le Nord-Est brésilien] et s'est toujours attelée de manière déterminée à la construction du Parti des travailleurs.

Son expulsion est un coup dur contre tout ce que le PT représente en tant que parti socialiste et démocratique. Cela aura également pour conséquence l'émergence d'une énorme tension dans les relations que le PT entretient avec des militant·e·s de gauche du monde entier.

Du point de vue éthico-politique, Heloisa Helena restera membre du PT socialiste et démocratique que nous contribuons à construire depuis sa fondation. La Démocratie socialiste (DS), en cohérence avec les résolutions adoptées lors de sa dernière Conférence nationale [fin novembre 2003], réaffirme la nécessité de continuer la lutte au sein du PT pour le retour à une orientation socialiste et démocratique. Pour cette raison, nous avons immédiatement fait recours contre la décision de la Direction nationale du PT, en demandant la convocation d'un Congrès extraordinaire [car le prochain Congrès ordinaire est prévu en 2005].

La camarade Heloisa Helena continue son engagement militant au sein de la DS. Sa présence dans le PT et dans la DS constitue un motif de fierté pour nous tout·e·s et nous ne la laisserons pas tomber. - São Paulo, le 15 décembre 2003. [Traduit par rédaction du site à l'encontre]

 

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