Brésil


Marina Silva, ministre de l'environnement


Le projet et l'intérêt immédiat

Le gouvernement Lula vient d'autoriser, par un Décret provisoire, l'utilisation de semences transgéniques. Cette décision a suscité de fortes réactions de la part d'amples secteurs du mouvement paysan et des cercles écologistes. Une des personnalités de référence du Parti des travailleurs (PT) pour ce qui a trait aux questions écologiques, le géographe Aziz Ab'Sader, a manifesté son indignation.

En janvier 2001, à l'occasion du Forum social mondial de Porto Alegre, le Mouvement des sans-terre (MST) et José Bové avaient arraché du soja transgénique de la transnationale américaine Monsanto.

Nous publions à ce propos l'éditorial du Correio da Cidadania (4.10.2003/11.10.2003), un hebdomadaire dirigé par un intellectuel de renom: Plinio de Arruda Sampaio. Ensuite, nous reproduisons l'entretien effectué par le Correio da Cidadania avec le député fédéral du PT Adao Pretto (Rio Grande do Sul). Adao Pretto, déjà en juillet 2003, soulignait qu'une telle mesure impliquait "l'entrée définitive de Monsanto sur le marché" (La Insignia, 27 uillet 2003) et que les Etats-Unis exerçaient une forte pression pour cela sur le gouvernement Lula.

Dans l'entretien avec Adao Pretto ressortent bien les effets pour les petits et moyens paysans et pour le statut futur de l'agriculture brésilienne de cette décision, par une Disposition provisoire du gouvernement, de légaliser l'usage des semences transgéniques. Réd.

Sur les pistes d'aviation existe une signalisation indiquant: "point de non-retour". Cette ligne dépassée, le pilote doit prendre de l'altitude ou l'avion s'écrasera en fin de piste.

Avec la lamentable décision sur les transgéniques, le gouvernement [Lula] s'est dangereusement approché de son "point de non-retour". Avant de justifier une affirmation aussi péremptoire, il convient d'éclaircir ce que l'on entend par le verbe écraser. Par là, il faut comprendre la perte totale de crédibilité auprès des personnes qui ont soutenu, dès le début, le Parti des travailleurs (PT).

Pour ceux qui font leur l'adage "la vie comme elle est", cette perte ne signifie pas grand-chose. Elle n'aura pas de répercussions dans les cercles gouvernementaux. Et, probablement, elle n'aura même pas d'effets sur les indices de popularité du gouvernement. Avec deux tirades de Duda Mendonça1, les "passéistes" seront ridiculisés et les électeurs continueront d'être fidèles.

Toutefois, pour ceux qui se préoccupent du futur de notre société et craignent la "barbarie" qui guette, cette perte est tragique. Cette perte de crédibilité confirme que la tendance "à l'exception permanente", bien détectée par Chico de Oliveira2 dans son récent livre "L'ornithorynque", a définitivement battu l'attachement incorrigible des "dinosaures" au projet de transformer le Brésil en une nation indépendante, juste au plan institutionnel, et socialement ainsi que politiquement démocratique.

Un subtil connaisseur de notre pays, Alfredo Bosi3, a déjà souligné que la contradiction entre le "projet et les intérêts immédiats" nous accompagne depuis les premiers temps de la colonie. Dans la décision sur les transgéniques cette thèse se confirme: les intérêts illégitimes d'une compagnie internationale [Monsanto] et d'un secteur de grands producteurs de soja, résidant dans une seule région du pays [l'Etat de Rio Grande do Sul], massacrent le projet d'une agriculture adaptée à la nature, qui soit un appui pour une autonomie alimentaire de la nation, accessible à tous les agriculteurs qui mettent de côté des semences afin de pouvoir ensemencer pour la prochaine récolte3.

En passant, ces intérêts ont fait éclater la symbolique, forte non seulement au Brésil mais aussi au plan international, qui s'était constituée autour d'une fille de la forêt [la ministre Marina Silva4], une humble seringueira [elle travaillait dans la région amazonienne en incisant les arbres pour récolter du caoutchouc, etc.] qui est arrivée au poste de ministre de la République grâce à sa lutte en défense de l'harmonie entre l'être humain et la nature qui le fait vivre.

Au cours de cet épisode vexatoire [la ministre et d'autres ont été mis devant le fait accompli], aux côtés de Marina Silva ont aussi fait naufrage les efforts de tant de militants écologistes qui ont donné le meilleur de leur vie avec l'espoir qu'un gouvernement composé de personnes issues du peuple aurait l'audace d'affronter les intérêts immédiats afin de réaliser le projet de construction d'une nation indépendante et respectée.

Notes

1. Duda Mendonça est le stratège en marketing politique de Lula; il a conçu la campagne électorale et la présentation de la campagne "faim zéro".

2. Sociologue fort connu, Chico de Oliveira a publié cet ouvrage centré sur les processus matériels d'intégration au système des syndicats et du PT brésiliens.

3. A. Bosi est un des principaux théoriciens de la littérature du Brésil et auteur, entre autres, de "La dialectique de la colonisation", écrit entre 1979 et 1980. Il y analyse l'insertion du Brésil dans le monde contemporain.

4. Voir sur cette question de l'appropriation par quelques transnationales du pouvoir et du droit des paysans d'ensemencer sans devoir payer des droits de patente l'entretien avec Jean-Pierre Berlan dans A l'encontre numéro 3, sur le site www.alencontre.org, rubrique Archives.

5. Marina Silva, 44 ans, est ministre de l'Environnement du gouvernement Lula; elle a commencé à militer dans les communautés de base de l'Eglise catholique. Puis elle fut députée et, après, sénatrice; la plus jeune sénatrice de l'histoire du sénat brésilien.


Entretien avec Adao Pretto, député fédéral du PT

Pour la récolte 2003-2004, permission a été donnée par le gouvernement (Disposition provisoire) d’ensemencer du soja transgénique. Cette décision prise par le gouvernement Lula a provoqué un choc entre les mouvements sociaux et le PT du président Lula. Cette décision est contraire à la trajectoire historique du parti et au programme du gouvernement élu en octobre dernier. Pour débattre de cette question, nous nous sommes entretenus avec le député fédéral Adao Pretto (PT de Rio Grande do Sul) pour qui la Disposition provisoire gouvernementale aboutit à mettre en danger la santé, l’environnement, l’agriculture et l’économie brésilienne, et à porter atteinte à la souveraineté du pays. CC

Correio da Cidadania: Le gouvernement Lula a permis, par l'adoption d'une Disposition provisoire, l’ensemencement du soja transgénique pour la récolte 2003/2004. Que représente cette mesure pour l’agriculture et l’environnement du Brésil ?

Adao Pretto: Sur cette question, je vais rapporter ce que disent les agriculteurs qui campent, ici, à Brasilia, et qui ont rendu visite à Embrapa (société brésilienne d’enquête agronomique). Ils ont posé la question suivante: " Avez-vous la certitude et pouvez-vous affirmer que les transgéniques ne font pas de mal à la santé et à l’environnement ? " La réponse des experts d’Embrapa fut négative. Lorsque les paysans leur demandèrent si les produits sur lesquels l’Embrapa effectuait des recherches appartenaient à Monsanto1, leur réponse fut positive. Cette conversation a été enregistrée et filmée.

Ici, toutefois, je voudrais avant tout aborder la dimension économique et celle de la souveraineté nationale. Un des avantages mis en avant sur le terrain économique est que le soja transgénique permettrait aux paysans d’éviter les mauvaises herbes [les champignons, les insectes de culture]. Aujourd’hui, au Brésil, les agriculteurs plantent déjà du soja transgénique et vendent du soja traditionnel. Puisqu’a été légalisée l’utilisation de semences transgéniques, les paysans devront payer des royalties à Monsanto. Cette société a publié des annonces dans les journaux de Rio Grande do Sul indiquant que ceux qui avaient importé en contrebande des semences transgénique depuis l’Argentine [un des plus grands producteurs, avec les Etats-Unis, de soja transgénique] devront payer des royalties lorsqu’ils vendront leur récolte. Dès lors, ils vendront un produit transgénique pour un prix inférieur à celui du soja traditionnel. Dans l’Etat de Rio Grande do Sul, nous avons une société, la Cotermaio (la Coopérative du 3 mai), qui vend du soja transgénique et aussi du soja traditionnel à des acheteurs étrangers. Ces derniers paient 2 reals [1 dollar = 2,82 reals] de plus pour un sac de grains traditionnel. Si on ajoute la différence de prix aux royalties, l’agriculteur va commencer à subir les conséquences économiques de la légalisation du soja transgénique.

Voici quelques éléments sur ce qui a trait à la souveraineté nationale et à la situation de l’agriculteur dans le contexte de la concurrence internationale sur le marché du soja. Il existe dans le monde trois pays qui sont les principaux producteurs de soja: les Etats-Unis, l’Argentine et le Brésil. Les Etats-Unis et l’Argentine se retrouvent avec des champs contaminés par les transgéniques (facteur aggravant, ceux qui ne désirent pas planter des transgéniques, alors que leurs voisins le font, retrouvent leurs champs contaminés), ce qui fait que les récoltes sont complètement mélangées. Actuellement, l’Union européenne et la Chine ne désirent pas acheter du soja transgénique. Comme les Etats-Unis et l’Argentine n’ont plus beaucoup de soja traditionnel, les acheteurs se tournent vers le Brésil pour obtenir ce type de soja, faisant de notre pays un leader sur le marché mondial du grain. Pour cette raison, la dernière récolte de soja s’est conclue par un excellent prix de vente. Donc rendre nos produits identiques à ceux des Etats-Unis représente une grande régression. Les acheteurs internationaux seront contraints d’acheter du soja transgénique et, alors, ils choisiront de se le procurer auprès de ceux qui offrent le prix le plus bas. Or, les producteurs des Etats-Unis profitent d’importants subsides. La chute des prix de nos produits sur le marché international sera donc très forte. Et cela aboutira à ce que les agriculteurs commencent à comprendre pour quelles raisons nous sommes opposés à la légalisation de l’utilisation de soja transgénique et à sa commercialisation.

CC: Que représente politiquement cette décision du gouvernement ? Elle rompt avec la tradition et le programme du PT, qui était opposé aux transgéniques. De plus, cette décision gouvernementale se heurte aux mouvements sociaux qui ont appuyé Lula.

AP: Pour nous, membres de la fraction du PT représentant les paysans, et qui négocions avec le gouvernement, cette décision est incompréhensible. Nous avons eu une rencontre avec José Dirceu [le " ministre des ministres " du gouvernement Lula, après avoir été président du PT], car nous étions préoccupés par cette question des transgéniques. Nous lui avons fait savoir que nous voulions discuter de ce projet avant qu’il soit transmis au Parlement fédéral. Le ministre de la " Maison civile " nous a dit, explicitement, que le projet concernant les transgéniques n’avait pas un caractère urgent, qu’il serait présenté au Parlement comme tous les autres projets de loi et, dès lors, que nous pourrions en débattre dans la fraction parlementaire du PT et avec les autres ministres concernés par ce thème. Dirceu a de même pris la responsabilité d’organiser une rencontre entre le groupe représentant les agriculteurs et Lula. Alors que nous ne nous y attendions pas, nous avons pris connaissance de la Disposition provisoire légalisant la plantation de semences génétiquement modifiées. Plus grave, pourtant, est le fait que le président Lula n'a écouté qu'un côté dans cet affrontement.

Le rejet de cette mesure a été confirmé lorsque nous avons organisé, au cours de cette semaine [fin septembre], une réunion du secteur du PT travaillant les problèmes agricoles et engagé sur les questions de l’environnement. Contre la Disposition provisoire, nous avons établi un document qui a réuni les signatures de 38 députés et sénateurs et qui prend position contre cette décision gouvernementale. Cela, au moment où un très petit nombre de parlementaires se trouvaient dans le parlement de Brasilia.

CC: Quelle est votre analyse de batailles internes dans le gouvernement Lula, ainsi que du combat engagé entre Roberto Rodrigues2 et Marina Silva [ministre de l’Environnement] ?

AP: Avec le résultat de l’élection d’octobre 2002, pour gouverner, Lula a dû mettre en place un gouvernement de coalition, dont je ne sais même pas si on peut le caractériser de centre gauche, puisque la majorité des membres du gouvernement les plus haut placés se positionnent de manière conservatrice. Ceux qui ont une attitude plus progressiste, qui sont liés aux thématiques historiques du PT, sont peu nombreux. Je n’attends pas de ce gouvernement de grands changements. Mais j’espère que cela ouvrira une voie, stimulera la conscience du peuple, rendant possible une avancée des mouvements sociaux. Le facteur qui va provoquer un changement n’est pas le gouvernement ; ce qui peut initier des changements, ce sera le peuple organisé. Jusqu’à maintenant, cela ne s’est pas produit. Je n’ai pas encore perdu l’espoir, mais je me tiens sur mes gardes.

CC: Quelle va être la position des mouvements sociaux et quelle est la perspective de lutte contre les transgéniques depuis leur légalisation? Y a-t-il des conditions politiques pour permettre de renverser cette mesure ?

AP: Nous pourrons très difficilement renverser cette décision. Elle sera très certainement approuvée et sanctionnée [par le Parlement]. La grande victoire des mouvements consistera à continuer à manifester contre les transgéniques. Les thèmes que j’ai soulevés dans notre entretien feront comprendre à des défenseurs de l’utilisation des transgéniques que nous avions raison. Nous ne pouvons pas ranger nos bannières. Nous devons continuer à lutter et à mobiliser, en dénonçant ce qui apparaît contradictoire dans cette orientation [avec le projet initial du PT].

Notes

1. Depuis la fin des années 1990, les groupes pharmaceutiques ont séparé leur secteur d'agrochimie du secteur pharmaceutique. Ainsi, Pharmacia & Upjohn a lancé Monsanto qui a développé le marché des organismes génétiquement modifiés. Aux Etats-Unis, ce marché a été ouvert dès 1996. Le groupe pharmaceutique Novartis a créé Sygenta. En 2000, le marché de l'agrochimie était évalué à 30 milliards de dollars. Deux groupes autonomes interviennent dans ce secteur: Monsanto et Syngenta. D'autres sociétés telles que les allemands BASF et Bayer sont aussi présentes.

2. R. Rodrigues est ministre de l’Agriculture, propriétaire terrien et agronome. Il a été président de l'Association brésilienne de l'agribusiness et représente le secteur moderniste des propriétaires terriens. Il faut savoir pour saisir l'évolution de l'agriculture brésilienne que le soja et la canne à sucre, produits d'exportation, sont les deux cultures qui ont le plus augmenté leurs surfaces au cours des dernières années. Voilà les traits d'une agriculture dirigée vers l'économie mondiale.

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