Brésil


Gouvernement Lula: six mois de respect des engagements envers le FMI

L'article de Luciana Genro a été traduit et édité, dans le but d'en faciliter la compréhension, afin de fournir à nos lectrices et lecteurs une première information, à la fin de la période estivale, sur les développements politiques au Brésil. Nous nous efforcerons de mettre le plus vite possible à disposition un ensemble d'articles et de documents permettant de décrypter les évolutions sociale et politique au Brésil, évolutions qui auront des retombées politiques et idéologiques importantes entre autres pour les mouvements sociaux et la gauche européenne, car, pour l'Amérique latine, il est plus qu'évident que le Brésil joue le rôle d'un «laboratoire politique à dimension continentale». - Réd.

Luciana Genro*

Le gouvernement Lula a crié victoire et les grands médias brésiliens ont répercuté ses déclarations. Toutefois, cette victoire à l'occasion du vote, en première lecture, le 6 août 2003, à la Chambre des députés concernant la «réforme» des retraites constitue un échec politique et moral. En effet, le gouvernement brésilien dû appeler les députés à se réunir plus tôt que prévu [pour tenter d'éviter la coïncidence entre la manifestation des salarié·e·s du service public et la réunion du parlement]; il a été contraint de négocier des voix jusqu'au dernier moment pour assurer la majorité parlementaire; il a dû faire face à une manifestation de plus de 60000 salarié·e·s de la fonction publique qui étaient venus en délégation à Brasilia de toutes les régions du pays.

Six mois de gouvernement Lula se sont écoulés. Aucun des engagements pris envers le peuple brésilien n'a été respecté. A l'opposé, il s'est acquitté, point par point, des obligations envers le FMI, rendues publiques dans la Lettre d'intention datée du 28 février 2003. L'excédent budgétaire primaire [avant paiement des intérêts de la dette] draconien de l'année en cours [à hauteur de 4%] sera étendu - par décision du gouvernement fédéral - jusqu'en 2006 [c'est une assurance donnée aux marchés financiers et aux créanciers: la dette du Brésil sera honorée]. Dès lors, les ressources allouées aux budgets sociaux - santé, logement, éducation - seront encore plus resserrées. Depuis janvier 2003, plus d'un million d'emplois ont été perdus et le chômage officiel dans les grandes villes touche la barre des 20%. Les investissements dans les infrastructures de base sont repoussés à plus tard. Le plan «Faim Zéro» tout comme la Réforme agraire dépendent des nouvelles négociations avec le FMI sur le déficit budgétaire [en effet, pour atteindre ces ceux objectifs, d'importantes ressources sont nécessaires]. L'ensemble de ces mesures d'austérité brutales n'ont pas empêché au premier semestre une chute des investissements directs extérieurs de 63% par rapport à la même période de 2002.

La production industrielle est en chute et la crise sociale s'amplifie. Les travailleurs et la population paupérisée réagissent comme ils le peuvent face aux difficultés quotidiennes et aux diverses menaces propres à cette crise sociale. Ainsi se développent des protestations de secteurs populaires, tels que les vendeurs ambulants et les sans-toit. Devant les menaces de licenciements massifs dans des usines de l'ABC [initiales de trois municipalités satellites de Sao Paulo où les grèves du début des années 1980 ont fourni l'humus à la naissance du PT] et de Sao Bernardo [faubourg de Sao Paulo] les travailleurs se réunissent en grandes assemblées. Les directions des entreprises de la métallurgie et de la mécanique de cette réunion sont obligées de s'appuyer sur la bureaucratie du Syndicat des métallurgistes et de la CUT [Centrale unitaire des travailleurs] pour contenir un essor possible des mobilisations ouvrières.

La bourgeoisie dans son ensemble fait pression pour que le gouvernement Lula utilise les mécanismes d'intimidation et de répression contre les initiatives des paysans sans-terre et les occupations des organisations de sans-toit. On voit percer une certaine crainte dans les rangs des classes dominantes face à la capacité du gouvernement Lula d'endiguer efficacement une montée possible de luttes plus puissantes et amples.

L'emprisonnement de José Rainha, dirigeant du MST, fait partie de ces pressions et le système judiciaire joue son rôle dans la «division des pouvoirs». [José Rainha est emprisonné et inculpé de «sédition armée», ce qui pourrait déboucher sur une peine de prison très lourde. En outre, le Tribunal suprême fédéral (STF) a suspendu, le 14 août, un décret de Lula datant du 19 mai qui permettait l'expropriation de 13200 hectares en friches dans cinq propriétés foncières de la région de Sao Gabriel (extrême sud) à des fins de réforme agraire, pour 500 familles. Selon le quotidien La Croix, le ministre de la Réforme agraire, Miguel Rossetto, a déclaré que «le gouvernement respectait la décision du STF et s'attellerait à la tâche de faire accélérer la distribution des terres au second semestre».De son côté, le président du STF, Mauricio Correa, pour maintenir la pression sur le gouvernement Lula, a déclaré: «Les conflits agraires augmentent et peuvent dégénérer. Je pense que cette douceur du gouvernement (envers les sans-terre) doit cesser.»]

Les patrons du secteur industriel sont préoccupés, car ils savent que des occupations victorieuses de terres et de logements peuvent stimuler d'autres mouvements sociaux. La direction du PT partage cette préoccupation des partis de droite et des entrepreneurs.

La répression de secteurs populaires dans le Pernambouc [nord-est du Brésil] - dans une municipalité dirigée par le PT - fournit une indication claire, montrant que la direction du parti n'est pas disposée à laisser les protestations se développer. La condamnation unanime par le gouvernement des déclarations du camarade Joao Pedro Stédile, dirigeant du MST, qui appelait à une mobilisation forte des paysans, a fourni une preuve supplémentaire de la disposition du gouvernement à agir comme gestionnaire des capitalistes.

Les paysans sans-terre résistent aux bandes armées des grands propriétaires terriens qui continuent à les assassiner. Ils répondent comme ils le peuvent à l'aggravation de la crise sociale et économique. Soutenir leurs actions, défendre leur droit à occuper, résister et produire, est une obligation élémentaire de la gauche.

Dans ce cadre d'instabilité, le gouvernement accélère ses démarches afin de faire adopter la «réforme» des retraites [il y aura un second vote au Parlement et la réforme sera présentée au Sénat]. La façon dont ont été réprimés [intervention de la police] un certain nombre de députés devant le congrès national ne peut être séparée de cette politique. Le gouvernement veut à la fois infliger une défaite aux salariés de la fonction publique et renforcer la confiance de la bourgeoisie et des banques quant à sa «capacité» de mettre en œuvre le modèle économique imposé par le FMI et la Banque mondiale.

En réponse, les fonctionnaires poursuivent leur grève générale et annoncent de nouvelles manifestations à Brasilia...

Même si les perspectives de la lutte de classes au Brésil restent encore incertaines, il est de plus en plus clair que la crise sociale et la poursuite des mobilisations populaires impliquent un approfondissement de la césure entre un secteur du mouvement de masse et le gouvernement Lula ainsi que la direction du PT.

Le mécontentement de secteurs intellectuels significatifs est également de plus en plus évident. En témoignent les critiques radicales faites par Francisco de Oliveira - sociologue, fondateur du PT - contre le ministre de la Prévoyance sociale Ricardo Berzoini, qu'il a traité de fait d'imbécile. [Francisco de Oliveira a particulièrement critiqué le PT pour avoir «abouti à une situation surréaliste où l'on oppose les travailleurs du privé à ceux du public»; il a aussi critiqué le programme «Faim Zéro» en soulignant que «le pays avait besoin d'une redistribution radicale des revenus». De Oliveira, de même, a marqué son désaccord avec la position du gouvernement sur la question de la dette du Brésil - O Globo, 16.7.2003.] Lors de sa 55e réunion annuelle, la Société brésilienne pour le progrès et la science (SBPC) a, de son côté, condamné la «réforme» des retraites et de la sécurité sociale.

Le processus de mécontentement et de rupture a son expression politique dans le soutien dont bénéficient les parlementaires de la gauche radicale du PT. C'est dans ce contexte que nous avons lancé, avec les camarades Joao Bautista Babá et Joao Fontes, le Manifeste d'urgence pour la défense des droits populaires [ce texte sera bientôt disponible sur le site www.alencontre.org]. L'écho de ce manifeste a été impressionnant. Des milliers de militants, de dirigeants syndicaux, de dirigeants étudiants et d'associations populaires, de représentants d'importantes fédérations syndicales et syndicats le soutiennent. Ce manifeste est distribué dans tout le pays. Des économistes et des intellectuels engagés, tels que Ricardo Antunes, Plinio de Arruda Sampaio Jr, Roberto Romano et Reinaldo Gonçalves, l'ont également signé...

Il s'agit d'un plan d'urgence qui va au-delà de la lutte des salariés du secteur public contre la «réforme» des retraites et de la sécurité sociale. Son contenu propose des mesures économiques et sociales transitoires pour combattre la crise.

Ce contenu est d'autant plus important au moment où la crise s'aggrave dans le pays, et alors qu'il s'avère que le programme du gouvernement est absolument incapable de s'opposer à la stagnation et à la récession économique, avec le chômage massif et pauvreté qui en découlent...

C'est donc le moment pour la gauche radicale du Brésil et les mouvements sociaux de résister et de proposer des mesures véritablement alternatives.

* Luciana Genro est députée fédérale du PT et militante du Mouvement de la gauche socialiste (MES), courant du PT. Elle a voté, avec les députés Joao Bautista Babá et Joao Fontes, contre la «réforme» des retraites. Ces trois députés sont menacés d'être expulsés du PT. La même menace pèse aussi sur Heloísa Helena, sénatrice et membre de la tendance Démocratie socialiste du PT. Elle pourrait se concrétiser si Heloísa Helena vote contre le projet de «réforme» des retraites lorsqu'il sera examiné par le Sénat.

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