Brésil
Lula et George Bush: un seul coeur
Article paru le 11 décembre 2002 dans le quotidien argentin «Pagine 12».
Le président élu du Brésil a dit que le sommet [entre Bush et lui, Lula] «alla plus loin que ses attentes». Ils parlèrent des prêts pour le Brésil, des subsides à l'agriculture des Etats-Unis, de l'ALCA (Zone de libre-échange des Amériques), du Mercosur [qui réunit l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay] et du terrorisme. Ils se sont aussi mis d'accord pour tenir un autre sommet après que Lula eut assumé officiellement la charge présidentielle.
«La réunion est allée plus loin que mes attentes. Je suis parti avec une excellente impression du président Bush qui désire approfondir les relations entre les Etats-Unis et le brésil et, en ce qui nous concerne, nous ferons tout ce que nous pourrons.» Le président élu du Brésil, Luiz Iniacio Lula da Silva, n'a pas pu contenir son enthousiasme suite à l'entretien avec son homologue nord-américain à la Maison-Blanche. Lula a indiqué qu'ils ont parlé de toutes les questions, y compris les plus âpres, et que l'excellent climat a conduit à ce que soit proposée une rencontre au sommet entre les deux gouvernements après le 1er janvier, lorsque Lula aura pris ses fonctions au Brésil.
En réalité, la réunion entre le dirigeant de la gauche le plus important d'Amérique latine et un des présidents les plus à droite qu'ont eus les Etats-Unis fut quasiment une rencontre de niveau gouvernemental si l'on tient compte de la quantité de fonctionnaires de haut rang. Comme l'a annoncé par la suite Lula, parmi les participants il y avait celui qui sera ministre des Finances du Brésil, Antonio Palocci [qui s'est déjà prononcé pour une adhésion du Brésil à l'ALCA, tout «en négociant une position bonne pour le Brésil»; Palocci est considéré comme un représentant de l'aile gestionnaire du PT, cette aile formée par une nouvelle génération de quadragénaires; il est médecin et a 43 ans].
De plus, aux côtés de Lula, on trouvait le sénateur et responsable des relations internationales du Parti des travailleurs (PT), Aloizio Mercandante [économiste de 48 ans], le précité Palocci, la maire de Sao Paulo, Martha Suplicy [issue des milieux de la grande bourgeoisie brésilienne], et l'actuel ambassadeur brésilien à Washingon, Rubens Barbosa. Du côté de Bush étaient présents le secrétaire d'Etat [affaires étrangères] Colin Powell, la conseillère pour les questions de sécurité nationale Condoleezza Rice, et le responsable du staff de C. Rice pour les affaires latino-américaines John Maisto.
Pour compléter le panorama, au cours d'une visite d'à peine 24 heures - ce 11 décembre, Lula voyage au Mexique pour s'entretenir avec le président Vicente Fox - Lula s'est réuni avec les dirigeants du Congrès américain [Chambre des représentants et Sénat], le ministre du commerce extérieur Robert Zoellick [qui joue un rôle clé dans le cadre des négociations de l'OMC et de l'ALCA], les dirigeants de la centrale syndicale américaine AFL-CIO, le président Henrique Iglesias de la Banque interaméricaine de développement [BID - liée à la Banque mondiale]. Lula a obtenu que la BID, la BM et la FAO [Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture] appuient fortement le programme pour la faim zéro [contre la faim] qui sera impulsé au Brésil.
La BM et la BID ont annoncé qu'elles étaient prêtes à réorienter pour ce programme des ressources destinées à financer des programmes sociaux au Brésil - programmes qui atteignent quelque 10,5 milliards de dollars. Dans le futur, ces deux organismes pourraient négocier un élargissement de ces crédits. «Avec ce projet, le Brésil fait quelque chose de totalement nouveau dans le monde», a affirmé le directeur des opérations de la FAO, Andrew MacMillan, dans des déclarations rendues publiques hier par le quotidien brésilien Gazetta Mercantil [le Financial Times ou le Wall Street Journal du Brésil].
La question la plus importante posée par Lula à Bush concerna l'économie. Il est ressorti la nécessité que l'économie brésilienne continue à recevoir des capitaux de l'extérieur. «Je crois que le gouvernement américain peut faire beaucoup pour que les lignes de crédit accordées au Brésil ne soient pas interrompues, dans cette phase si difficile pour l'économie nationale et mondiale», a déclaré Lula. Puis, ce dernier a fait allusion aux subsides agricoles accordés par Washington, particulièrement à ceux dont bénéficient les exportateurs nord-américains de jus d'orange, de coton et de soja. «Comme syndicaliste, j'ai négocié durant vingt ans sous un régime autoritaire et je me considère un bon négociateur. Nous nous assiérons autour de la table avec les Etats-Unis et nous serons durs. Mais lorsque nous arriverons à un accord, nous l'appliquerons loyalement», a affirmé Lula suie à sa rencontre avec Zoellick.
A l'occasion des questions relevant du commerce, Lula a aussi indiqué que l'ALCA était à l'ordre du jour [l'ALCA comme zone de libre-échange économique va soumettre l'ensemble des économies latino-américaines à la puissance de l'économie des Etats-Unis, dont le niveau de productivité est qualitativement plus élevé, sans parler des subventions directes et indirectes accordées aux exportateurs, et des positions monopolistiques acquises dans toute une série de domaines, allant des technologies de l'information et de la communication (TIC) aux organismes génétiquement modifiés, à la pharmacie, aux produits phytosanitaires, etc.]. Il a souligné que sa priorité sera le Mercosur [un thème qu'il a abordé il y a quelques jours avec le péroniste chancelant Duhalde en Argentine]: non seulement au niveau économique et commercial, mais aussi au plan politique et culturel; et que les négociations pour l'ALCA se produiraient dans ce cadre [du renforcement du Mercosur]. «Je suis préparé à négocier, a expliqué Lula, mais le président Bush doit comprendre que nous serons aussi durs pour défendre nos produits que les Etats-Unis le sont pour défendre les leurs.»
De son côté, Bush a entretenu Lula des questions ayant trait à la politique internationale. Plus particulièrement, et comment pourrait-il en être autrement, de la guerre contre le terrorisme. «Plus jamais ne devra se produire un 11 septembre. Nous sommes contre le terrorisme, mais nous croyons que les Nations unies doivent être la base de ce combat, et nous croyons que l'ignorance et la misère sont à l'origine de la violence», a expliqué le président élu du Brésil. Lula a aussi affirmé que, selon lui, le Conseil de sécurité de l'ONU devrait se réformer avec urgence pour disposer d'une plus grande représentativité. «Parmi les cinq membres permanents, il devrait y avoir une certaine représentation de l'Amérique du Sud et de l'Afrique», a déclaré Lula à sa sortie de la Maison-Blanche. A la fin, il restait un peu de temps pour que Lula puisse répondre à diverses questions, dont quelques-unes avaient la dimension d'un piège pour le dirigeant de la gauche.
Un journaliste lui a demandé des explications sur le Forum de Sao Paulo [forum qui dans les années 1990 a réuni la gauche institutionnelle latino-américaine et une grande partie de la gauche radicale; le PC cubain avait sa place aux côtés du PT et d'autres forces]. Ce forum a été créé en 1990, entre autres sous l'impulsion du PT, et divers partis communistes l'ont intégré. Lula a répondu: «C'est un orgueil pour moi que le PT soit partie prenante de ce forum. Grâce à lui, l'Amérique latine dans sa majorité a réussi à comprendre que l'on pouvait arriver au pouvoir plus rapidement avec les élections qu'avec la lutte armée. Et cela fut la contribution de notre parti.» Et lorsqu'il dut faire face à une autre question portant sur le pourquoi des relations entre le PT et le PC de Chine, Lula a répondu ironiquement que la Chine ne savait rien jusqu'à ce que les Etats-Unis lui accordent le statut de disposant de relations préférentielles sur le plan de leurs relations commerciales.
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