Brésil
Les autres résultats qui comptent aussi
Joao Machado Borges*
* Joao Machado Borges est économiste, membre de la Coordination nationale de la tendance Démocratie socialiste (DS) du PT. Durant des années, il fut membre de la direction nationale du PT et du conseil de rédaction de la revue Théorie et débat,revue du PT.
Il est naturel que l'attention sur les élections brésiliennes se soit concentrée sur la bataille pour le poste présidentiel et aussi sur la croissance générale des résultats obtenus par le Parti des travailleurs (PT). Néanmoins, il est important d'analyser les autres résultats et d'attirer l'attention sur quelques traits spécifiques.
Les résultats du PT, lors des élections pour diverses instances (gouverneur d'Etat, député, etc.), changent assez le paysage politico-institutionnel. On peut dire qu'il y a eu une «vague PT», un peu moins forte que la «vague Lula», et qui s'est manifestée plus tardivement: elle est apparue avec clarté lors des derniers jours de la campagne électorale - et quelquefois le jour même des élections -, c'est-à-dire au cours de la phase où la «vague Lula» se stabilisait et même reculait un peu (lorsque les tout derniers sondages indiquaient que la victoire au premier tour ne se confirmait pas).
Pour ce qui a trait aux élections aux postes de gouverneur d'Etat, il y a quelques bonnes surprises, avec des votes inespérés en faveur des candidats du PT à ce type de fonction. Le résultat le plus significatif s'est produit dans l'Etat Sao Paulo, où le candidat José Genoino a obtenu plus de 32% des votes valides (les votes blancs et nuls ne sont pas comptabilisés), soit le plus haut pourcentage jamais atteint par le PT lors d'une élection dans cet Etat. Ainsi, Genoino se présentera à l'occasion du second tour, éliminant la candidature traditionnelle de la droite historique représentée par Paulo Maluf.
Difficultés à Rio Grande do Sul
Il y a aussi des résultats préoccupants. Dans l'Etat de Rio Grande do Sul (à l'extrême sud du Brésil), dont le gouvernement représentait la vitrine du PT, Tarso Genro participera au second tour bien qu'il soit arrivé en deuxième position avec un peu plus de 37% des votes valides. Au premier tour, Germano Rigotto, candidat du PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien), a obtenu 41,2% des voix. Rigotto a vu son audience croître au cours des dernières semaines parce que toute la campagne se polarisa sur le duel entre Tarso Genro et Antonio Britto, ex-gouverneur de l'Etat, ex-membre du PMDB, actuellement membre du PPS (Parti populaire socialiste), parti qui présentait le candidat à la présidence Ciro Gomes. De plus, Rigotto n'a pas été l'objet de critiques de la part de ses adversaires. Un des thèmes centraux des adversaires du PT dans l'Etat de Rio Grande do Sul concernait la gestion de l'actuel gouverneur de l'Etat, Olivio Dutra, membre du PT. La critique principale portait sur la perte d'emplois qui résulta du refus de l'entreprise automobile Ford d'installer une usine de montage sur le territoire de cet Etat. Ce refus était motivé par la volonté du gouvernement de Dutra de réduire les subventions promises à Ford par l'ancien gouverneur, Antonio Britto. Tarso Genro eut de la difficulté à défendre la politique de Duttra (des tensions existaient entre Genro et Duttra, le premier ayant gagné l'élection interne au PT pour la présentation de sa candidature). Ces éléments ont indiscutablement rendu plus difficile la campagne du PT.
Si l'arrivée de Rigotto en première position fut une surprise, on ne peut pas dire qu'il en alla de même concernant les difficultés du candidat du PT pour la bataille en vue du poste de gouverneur. Les problèmes étaient clairement anticipés. Par contre, la bataille pour la municipalité de Porto Alegre a été beaucoup plus tranquille: pour la quatrième fois, la municipalité a à sa tête un maire membre du PT.
En fait, Olivio Duttra a gagné en 1998 lors du second tour avec une petite marge d'avance. Et son gouvernement s'est trouvé en permanence dans une situation d'affrontement avec les secteurs dominants de la droite de l'Etat. L'antagonisme était particulièrement aigu avec les médias liés à cette droite. Avant tout le groupe RDS, qui détient la principale chaîne de télévision, qui est une succursale locale du gigantesque groupe de communication Rede Globo. Le principal journal de l'Etat, Zero Hora, avait comme cible le gouverneur du PT. Enfin, au niveau de l'assemblée législative de l'Etat de Rio Grande do Sul, dans laquelle les conservateurs détenaient des positions majoritaires, les affrontements furent très durs. Autrement dit, le gouvernement d'Olivio Duttra fut sans cesse encerclé par la droite.
Sur un autre plan, le gouvernement eut des difficultés à offrir une réponse aux revendications des fonctionnaires. Dans la phase initiale, le gouvernement dut s'affronter à une importante grève des enseignants. Par la suite, le rapport entre le gouvernement et les enseignants s'améliora. A aucun moment n'exista au sein du PT, dans cet Etat, un accord réel. C'est ce qui explique le conflit entre Duttra et Tarso Genro pour ce qui a trait à la candidature au poste de gouverneur. Il est intéressant de noter que lors des dernières élections, aussi bien à l'échelle de l'Etat qu'à l'échelle des élections fédérales, les alliés de Duttra ont obenu des votes plus favorables que les candidats qui apparaissaient appuyés par Tarso Genro.
Bien que Rigotto apparaisse favori, une victoire de Tarso Genro n'est pas exclue. De toute manière, le PT de Rio Grande do Sul, qui s'est mobilisé pour le premier tour, continuera à le faire pour le second.
Croissance du PT
Le PT a élu au premier tour deux gouverneurs (Jorge Viana dans le petit Etat de Acre, centre est du Brésil). Ce fut sa deuxième victoire. Dans l'Etat de Piaui (Nordeste), Wellington Dias a gagné les élections. Il a reçu l'appui du principal dirigeant politique de l'Etat, l'ex-gouverneur «Mao Santa», membre du PMDB (parti de droite), qui avait été destitué pour abus de pouvoir. L'autre gouverneur du PT élu en 1998 (en plus de Viana et de Duttra), José Orcilio, de l'Etat du Mato Grosso do Sul (sud-ouest du Brésil), dont l'élection apparaissait assurée au premier tour, devra se présenter au second tour contre la candidate du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne). Aucune des élections au poste de gouverneur ne sera facile.
Pour ce qui est des élections parlementaires, le PT a connu une croissance importante, plus forte que ce que les sondages prévoyaient. En 1998, il avait 59 députés au parlement fédéral; il en compte actuellement 91, soit une croissance de 54%. Il est devenu le principal parti de la Chambre fédérale avec 17,7% des députés sur un total de 513. Au Sénat, la croissance fut encore plus importante. Le PT avait 8 sénateurs, 4 avaient été élus en 1994 (les mandats couvrent une période de 8 ans). Aujourd'hui, 10 nouveaux ont été élus; 14 sénateurs représentent le PT. La moitié de la fraction parlementaire est composée de femmes.
Au niveau des assemblées législatives des Etats, le PT est aussi devenu le principal parti du pays avec 147 députés. La croissance est de 63,3%. En effet, le PT n'avait jusqu'à maintenant que 90 députés dans les instances législatives des Etats.
Le Parti libéral (PL), allié du PT et qui avait comme candidat à la vice-présidence, aux côtés de Lula, José Alencar, croyait pouvoir profiter, au plan fédéral et des Etats, des conditions favorables que lui octroyait l'alliance avec le PT. Il détenait 22 députés fédéraux - tous n'avaient pas été élus sous l'étiquette du PL, mais s'étaient ralliés à sa fraction - et, aujourd'hui, sa fraction en compte 26. Néanmoins, lorsque l'on compare les résultats obtenus par le PL en 1998, on constate une croissance plus importante: il avait obtenu 12 élus, il en obtient 26. Ses résultats sont aussi bons au plan des assemblées législatives des Etats: il passe de 44 à 61 parlementaires. Avec l'élection de Lula à la présidence, le PL espère obtenir de nouvelles adhésions.
Le troisième parti de l'alliance - PT-PL-PCdoB -, c'est-à-dire le Parti communiste du Brésil, avait réussi à élire 7 députés en 1998. Il en obtient 12.
La gauche du PT
Finalement, il est intéressant de souligner un fait: les résultats de la gauche du PT ont été très bons et cela au cours d'une élection où la «ligne nationale» (d'alliance avec des secteurs bourgeois significatifs) tendait à s'imposer, ligne avec laquelle la gauche était en profond désaccord. Sur les 91 députés fédéraux élus, 28 ont présenté leur candidature, lors des élections internes au PT en 2001, sur des listes de la gauche du PT.
Parmi ceux-ci, 12 députés fédéraux élus se sont présentés sur la liste: «Un autre monde est possible, un autre Brésil est urgent». Cette liste était impulsée par la tendance Démocratie socialiste (DS). Parmi les 12 élus, 6 sont membres de la DS et les autres étaient membres de collectifs régionaux de militants, tels que «la gauche démocratique», dans l'Etat de RIo Grande do Sul, ou de «résistance socialiste» au Minas Gerais. Des élus de 1998, 6 étaient présentés par des listes de gauche, parmi lesquels 4 membres de la DS.
Si l'on a comme référence les élus de 1998, la liste «Un autre monde est possible, un autre Brésil est urgent» a connu une croissance spectaculaire et à l'intérieur les progrès de la tendance DS se situent à hauteur de 50%. Si l'on a comme référence les parlementaires fédéraux qui exerçaient un mandat lors des élections - c'est-à-dire si l'on ajoute aux élus de 1998 des suppléants qui vont prendre leur poste au cours de la législature - la liste a passé de 8 à 12 députés. De plus, la tendance DS avait déjà conquis un poste de sénateur, celui d'Heloisa Helena (dans l'Etat d'Alagoas). Actuellement s'y ajoute la sénateure Ana Gulia dans l'Etat de Para.
Parmi les députés fédéraux élus, il faut prendre en compte, pour ce qui concerne la gauche du PT, 16 députés qui se présentaient sur la liste «Socialisme et barbarie», une tendance qui réunit des collectifs de la gauche du PT dans divers Etats.
Le récent «Bloc de gauche» - qui réunit les tendances Force socialiste, Pôle de gauche (cette tendance est formée par d'anciens membres de «l'articulation de gauche de l'Etat de Rio Grande do Sul» qui ont appuyé Tarso Genro contre Olivio Duttra dans la bataille interne), Mouvement de la gauche socialiste, Forum socialiste, Courant socialiste des travailleurs et Rebâtir - a élu 6 députés fédéraux: 3 de Force socialiste, 1 du Mouvement de la gauche socialiste, 1 du Courant socialiste des travailleurs et 1 de Rebâtir.
De plus, une nouvelle sénateure, Serys, du Mato Grosso, a été élue; elle participait à la liste Socialisme ou barbarie.
La gauche du parti représente plus de 30% des députés fédéraux du PT. Ce qui est supérieur au passé. Dans son ensemble, cette croissance peut être estimée à quelque 54%. Enfin, il faut souligner que tous les députés fédéraux et les sénateurs ne pas membres dudit «camp majoritaire du PT». Il y a parmi des militant/es indépendants qui ne sont pas liés au noyau de direction centrale. Dans ce contexte, la gauche du PT disposera d'un poids plus important dans les débats des fractions parlementaires (au sein de la Chambre et du Sénat).
Pour terminer, il faut avoir à l'esprit que si Lula est élu président le groupe parlementaire lié au gouvernement sera plus large que celui du PT. Cet appui parlementaire couvrira plus de la majorité des députés, si l'on tient compte des partis de gauche, de centre gauche, de centre droit, et y compris de droite (comme c'est le cas du Parti libéral qui est l'allié du PT au niveau national) et des parlementaires de droite qui ont annoncé qu'ils appuieraient Lula. - 14.10.2002
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