Brésil

La prochaine bataille sera plus difficile

Joao Machado Borges*

Les élections au Brésil participent d'un processus plus large de crise sociale et politique dans le continent sud-américain. Elles méritent une analyse qui aille au-delà du phénomène électoral. L'alliance avec le capital proposée par Lula n'est pas le fruit d'une simple dérive idéologique. Une telle approche reviendrait à écarter les racines sociales, économiques et «géopolitiques» (le poids de la politique et de l'emprise impérialistes) des évolutions de formations politiques, telles que le PT. Un parti qui gère des institutions étatiques (Etats et municipalités dans le cadre de l'Etat fédéral brésilien) d'importance, auxquelles s'intègre un secteur de ses représentants. Ces derniers sont enclins à cultiver une «distance» avec leur base historique et, surtout, avec les couches qui n'obéiraient pas à la «rationalité» d'une politique gouvernementale («gouvernabilité»). - Réd.

Contrairement à ce qui était espéré, Lula ne fut pas élu à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle (le 6 octobre). Les sondages électoraux, à quelques petites variantes près, indiquaient que les intentions de vote en faveur du PT ne cessaient de croître au cours des dernières semaines et s'approchaient du 50% des voix plus une (plus exactement de 50% plus un des votes validés, c'est-à-dire en ne tenant pas compte des votes blancs et nuls), ce qui était nécessaire pour une victoire du PT au cours du premier tour de l'élection. Au-delà de ce constat, plus la victoire apparaissait proche, plus Lula tendait à gagner de nombreux et nouveaux appuis, aussi bien dans des secteurs d'autres partis dont les membres abandonnaient leur candidat que parmi des grands entrepreneurs. Aussi bien d'importants banquiers que des managers de grandes sociétés financières ont exprimé leur appui ou, pour le moins, leur sympathie en faveur de la candidature de Lula. La presse indiquait, y compris, que certains d'entre eux avaient été consultés [par la direction du PT et de l'équipe dirigeant la campagne de Lula] pour être partie prenante de l'équipe économique du futur gouvernement.

Enfin, le processus traditionnel connu par le PT aboutissant à une croissance de son impact au cours des derniers jours de la campagne électorale, grâce à la forte mobilisation de ses militants et de son électorat, a encore accru les espérances en une victoire [cette fois, ce processus ne s'est pas confirmé].

Pourtant, Lula n'a pas gagné au cours du premier tour. Il a réuni 37,7 millions de voix, ce qui correspond à 46,5% des votes validés et à 41,7% des votants. Lula devra dès lors disputer un second tour face à un candidat du gouvernement de Henrique Fernando Cardoso José Serra. Ce dernier a réuni 19,5 millions de votes, soit le 23,2% du total. C'est-à-dire environ la moitié des votes de Lula.

Si nous admettons que les sondages électoraux sont raisonnablement proches de la réalité - ce qui semble être le cas - la candidature de Lula non seulement n'a pas connu un impact croissant au cours des derniers jours, mais a même subi un léger recul. Comment peut-on l'expliquer?

Tout d'abord, cela est dû aux effets du débat télévisé entre les principaux candidats à la présidence, débat qui a été organisé le jeudi 3 octobre, dernier jour de la campagne télévisée. Lula, suivant la stratégie définie par ses conseillers en marketing, a évité tout affrontement avec les autres candidats. Comme Lula l'avait lui-même défini quelques semaines avant, il se trouvait dans une phase de «petite pieuve [lulinha], de paix et d'amour». Et il n'a fait, à cette occasion, que voir passer les ballons, comme on le dit dans le jargon footballistique. Y compris lorsqu'on lui posait des questions directes, de façon répétée, à divers moments, Lula évitait de dire s'il était pour ou contre une proposition donnée. Invariablement, il répondait que le problème était complexe et qu'il devrait être résolu à travers une «discussion avec toute la société». Il en résultait l'image d'un candidat qui avait peur des difficultés.

Ensuite, à l'occasion de cette campagne, la mobilisation traditionnelle du PT fut beaucoup moins forte, y compris face à la possibilité d'une victoire. Au cours des années, on constate une régression de la participation des militant(e)s dans les campagnes du PT; ce qui va de pair avec une transformation du parti qui est de plus en plus aux mains d'un appareil de professionnels (permanents). A l'occasion de cette élection présidentielle, cette démobilisation, ou mobilisation moins intense, s'est accentuée: les changements que Lula  et la direction du PT ont introduits à l'occasion de cette campagne électorale ont été ressentis avec méfiance par les membres. On peut comprendre que les militant(e)s d'un parti qui s'est toujours défini comme socialiste ne s'enthousiasme pas face à la promesse de constitution d'un gouvernement marquant une collaboration étroite avec les grands entrepreneurs, un gouvernement aimable envers les banquiers et qui s'engage à respecter les accords du Fonds monétaire international.

Lula lui-même a reconnu indirectement les difficultés qui se sont exprimées sur le terrain des rapports avec la base militante. Lors d'une des dernières grandes manifestations de la campagne électorale, à Sao Paulo, Lula s'est exprimé de la sorte: «Les militants du PT peuvent être certains que je vais mettre en oeuvre le programme du parti.» Un tel type d'affirmation n'aurait absolument pas été nécessaire à l'occasion des autres campagnes électorales. De toute façon, le deuxième tour sera très favorable à Lula. Il part avec un grand avantage. Et il devait recevoir l'appui des autres principaux candidats: Anthoni Garotinho, candidat du PSB et qui était à la tête du Front Brésil Espérance, qui a réuni 17,67% des voix (14,3 millions de votants); et Ciro Gomes, du PPS, qui a réuni 12,05% des suffrages (9,7 millions de votants). Lula peut, y compris, recevoir l'appui du candidat José Maria du PSTU, Parti socialiste des travailleurs unifiés, un candidat de la gauche radicale qui a obtenu 0,47% des voix (378'000 suffrages), résultat qui s'explique en partie par le mouvement de «vote utile» en faveur de Lula au premier tour. José Maria avait indiqué qu'il donnerait probablement son appui à Lula au second tour.

Le plus important toutefois est l'élément suivant: les élections ont fait la démonstration de l'importante disponibilité des électeurs à voter contre le gouvernement de F. H. Cardoso et contre ses politiques néolibérales. A tel point que Serra, candidat du gouvernement, a cherché à se présenter comme un candidat en faveur du changement.

Néanmoins, dans la situation actuelle, il serait erroné de penser que le résultat du second tour est déjà acquis. Et cela pour diverses raisons. En effet, il sera difficile de maintenir au cours du second tour la stratégie de «paix et amour».

Les succès de la gauche du PT

Les résultats du PT à l'occasion des élections pour les diverses fonctions à l'échelle des Etats [le Brésil est un Etat fédéral] sont fortement différenciés, même si une certaine tendance à la hausse s'exprime. Il y a de bonnes surprises. Ainsi, à Sao Paulo, le candidat du PT à la fonction de «governador» de l'Etat, José Genuino [considéré à gauche dans le PT], a réuni 32,4% des votes validés (4,9 millions). Le plus important pourcentage obtenu par le PT à l'occasion d'une élection à l'échelle de l'Etat de Sao Paulo. Ainsi, Genuino, pour la première fois, pourra se présenter au second tour des élections pour le poste de gouverneur. Il écarte la candidature traditionnelle de la droite de l'Etat représentée par Paulo Maluf, qui a réuni 21,38% des suffrages (3,9 millions).

Dans divers Etats, les résultats des candidats du PT ont été meilleurs que prévu.

Il y a aussi des résultats qui sont préoccupants. Ainsi, dans l'Etat de Rio Grande do Sul (avec sa capitale Porto Alegre), dont le gouvernement était présenté comme la principale vitrine du PT, Tarso Genro pourra participer au second tour, il a réuni seulement 37,24% des suffrages validés, alors que le candidat de la droite, Rigotto, en a obtenur 41,17%.

Le PT a obtenu, au premier tour, le gouvernement du petit Etat de Acre [au nord-ouest du Brésil à la frontière du Pérou] avec Jorge Viana qui a été réélu, et celui de Piaui [au Nordeste], où la victoire a été obtenue grâce à l'appui de l'ancien gouverneur qui avait été destitué pour abus de pouvoir.

Lorsque l'on examine les résultats concernant les députés et les sénateurs, le PT a élargi sa base, mais de manière pas très importante, car dans de nombreux endroits il a cédé des postes à l'allié du Parti libéral [José Alencar, grand patron et candidat à la vice-présidence aux côtés de Lula, et membre du PL].

Finalement, il est utile d'examiner les résultats de la gauche du PT. Ils furent assez bons. D'autant plus si on a à l'esprit que cette gauche critique a dû avaler la couleuvre d'une orientation politique nationale avec laquelle elle était en total désaccord. Pour avoir une idée approximative de la situation, on peut établir les données suivantes. Sur les 70 à 80 députés fédéraux qui représenteront le PT, 10 se sont présentés sur des listes qui étaient soutenues par la tendance Démocratie socialiste à l'occasion des dernières élections internes au PT pour choisir les candidats. Cela signifie une croissance de quelque 15%.

Dans le courant DS militent entre autres l'actuel vice-gouverneur de l'Etat de Rio Grande do Sul, Miguel Rossetto, l'ex-préfet [maire] de Porto Alegre et actuellement député Raoul Pont et la sénateur de l'Etat de Alagoas [Etat au nord-est du Brésil dont la capitale est Maceio] Heloisa Helena, qui est réélue après l'avoir été une première fois en 1998. De même, est élue la sénateur de l'Etat de Para [Etat du centre-nord du pays] Ana Julia. Au total, la gauche du parti dispose d'une influence sur quelque 30% des représentants à l'échelle fédérale, ce qui est un pourcentage supérieur à ce qu'elle avait précédemment. - Sao Paulo, 7 octobre 2002

* Joao Machado Borges est économiste, membre de la Coordination nationale de la tendance Démocratie socialiste (DS) du PT. Durant des années, il fut membre de la direction nationale du PT et du conseil de rédaction de la revue Théorie et débat,revue du PT.

 

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