Bolivie


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La nationalisation s'impose à coups de dynamite *


Le 3 juin, dans l'ensemble des villes de Bolivie, sous la direction de la Centrale ouvrière bolivienne, se sont déroulés des marches de protestation, de blocages de routes... Les mobilisations les plus importantes se sont produites à Cochabanba. Les mots d'ordre étaient les suivants: "Mesa traître, pars à Washington! Nationalisation [des ressources naturelles]!"; "Mort au référendum trompeur!" (référendum que Carlos Mesa veut organiser afin de diluer la mobilisation).

A La Paz, les manifestants s'adressaient à la police et lançaient des mots d'ordre demandant aux policiers de se mutiner pour imposer la nationalisation des hydrocarbures. Un slogan était lancé: "A la police il ne reste que deux chemins: s'unir au peuple ou être son assassin".

Le texte que nous publions ci-dessous s'inscrit dans cette mobilisation d'ensemble: la revendication de nationalisation de certaines mines traduit une volonté plus générale de la population bolivienne de retrouver un contrôle sur l'ensemble des ressources naturelles du pays. - Réd.


Ce mercredi 2 juin, quelque 200 mineurs, avec leurs familles et leurs enfants, utilisaient de la dynamite pour obliger le gouvernement bolivien à tenir ses engagements et ne pas reculer face à la nationalisation de la mine de Caracoles.

Le 19 mai, en plein débat fleuve national autour de la "possibilité" ou de "l'impossibilité" de "nationaliser" les hydrocarbures, les travailleurs des mines de Bolivie ont réussi l'exploit d'obtenir la deuxième nationalisation d'une mine liée à des capitaux transnationaux.

Après plus de dix ans de privatisations, les mineurs de ce pays sous-développé qu'est la Bolivie ont été à la hauteur des événements. Ils ont montré leur rôle d'avant-garde du mouvement ouvrier, paysan et populaire.

Néanmoins, le gouvernement et certains dirigeants de coopératives minières [après la crise des mines des années 1980, des coopératives se sont créées pour prendre en main certaines mines] ont bloqué cette mesure de protection nationale par un flot incessant d'arguments. Le 30 mai, pour la troisième fois en un mois, les 222 travailleurs des mines de Caracoles sont retournés avec leurs familles dans la ville de La Paz, après avoir été menacés par des dirigeants de coopératives aux cris de: "Il faut les faire sauter un à un avec de la dynamite!"

La lutte de classes en Bolivie est sans aucun doute très complexe. Et dans ce cadre, la bataille menée actuellement par les mineurs de Caracoles a une grande importance historique. Elle est vitale pour les aspirations futures du pays. En effet, ils mènent un combat qui est au centre de la politique nationale, celui pour la nationalisation des ressources naturelles.


Une première victoire

Il y a presque deux ans, en juin et en juillet 2002, en plein processus de montée sociale et politique des travailleurs du pays, les mineurs de Huanuni, dirigés par Jaime Solares Quintanilla - actuellement secrétaire exécutif de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) -, Pedro Montes, actuellement secrétaire exécutif de la Centrale Ouvrière Départementale (COD) d'Oruro - et Miguel Zuvieta - actuellement secrétaire exécutif de l'historique Fédération Syndicale de Travailleurs des Mines de Bolivie (FSTMB) - avaient réussi à imposer la première nationalisation d'une réserve minière: celle de la mine de Huanuni.

Les chaînes d'information privées avaient occulté cet événement historique, comme elles continuent à occulter ce qui se passe actuellement.

Le peuple d'Oruro avait mené une grève civique, des marches, des blocages de routes et des dynamitages dans le but explicite de soutenir les travailleurs des mines de Huanuni. Ce combat de la rue a pris fin lorsque le gouvernement de Jorge "Tuto" Quiroga a été contraint de promulguer la loi N° 2400 du 24 juillet 2002.

L'"Article Unique" de la Loi 2400, qui a également été approuvée par le Congrès National, dit textuellement:

"Conformément à l'article 59, al. de la Constitution Politique de l'Etat, le Chapitre II, article 91 du Code des Mines sera complété par le texte suivant:

"La Corporation Minière de Bolivie assumera la direction et l'administration directe, pleine et définitive des activités minières et métallurgiques, notamment le droit de prospection, d'exploration, d'exploitation, de calibrage, de fonte, de raffinage et de commercialisation:

1. Des groupes miniers nationalisés par le Décret suprême N° 3223, du 31 octobre 1952, élevé au rang de Loi le 29 octobre 1956;

2. Des autres concessions minières obtenues ou acquises à quelque titre que ce soit;

3. Des résidus miniers et métallurgiques provenant des concessions minières mentionnées dans les paragraphes précédents;

4. Des entreprises de tri, de calibrage, de fonderie, de raffinage, des usines hydroélectriques et autres de la même catégorie;

5. Du Cerro de Potosi, de ses entrées de mines, des déchets, des particules de minerai entraînées par l'eau de lavage, des minerais récupérés et des terres non exploitées appartenant à la région minière, en respectant les droits reconnus précédemment.

"Lorsque les contrats adjugés au moyen de licitation, exception faite des contrats des Sociétés Coopératives Minières, ne pourront être maintenus dans le cadre contractuel, et en particulier lorsque la faillite, faillite frauduleuse, impéritie ou inaccomplissement seront constatés légalement, et qui attentent aux intérêts de l'Etat."


A coups de dynamite!

Pour Miguel Zuvieta, secrétaire exécutif de la Fédération des Mineurs de Bolivie, la promulgation de la Loi 2400 est une réussite importante et sans précédent: "Avec la nationalisation de Huanuni, le 100% des devises obtenues pour les exportations du minerai de cette entreprise pourront rester dans le pays!"

Il faut en effet se rappeler que, selon les rapports de la FSTMB, l'entreprise britannique qui administrait Huanuni exportait plus de 80% de ses bénéfices, "ne laissant que 19% des bénéfices nets à la Bolivie pour le paiement des impôts et des taxes".

Cela ressemble du reste à ce qui se passe avec les 78 contrats à risque partagé que les gouvernements néolibéraux ont signés avec les transnationales pétrolières et que l'actuel gouvernement de Carlos Mesa n'a pas non plus envie de reconsidérer.

D'une voix véhémente et avec la fierté propre aux travailleurs des mines, Zuvieta a affirmé que, concrètement, c'est ainsi qu'on nationalise une ressource naturelle: à coups de dynamite! "C'est à coups de dynamite que nous avons obtenu la nationalisation de Huanuni, et c'est le chemin que sont en train de prendre nos frères de classe de Caracoles."


La deuxième nationalisation

Le 19 mai, avec la médiatisation par les grandes chaînes d'information, les travailleurs des mines ont obtenu la nationalisation d'une deuxième entreprise minière: la mine de Caracoles, qui était entre les mains de l'Entreprise Barrosquira, liée à des capitaux nationaux et transnationaux.

Après une mobilisation qui a duré plusieurs jours et nuits, un accord a été signé à La Paz avec le gouvernement. Le point 1 de cet accord précise:

"Dès la révocation du Contrat de Risque Partagé qu'elle a souscrit avec l'Entreprise Minière Barrosquira, COMIBOL (la Corporation Minière de Bolivie) prendra possession pleine et définitive de la Mine de Pacuni y Molinos (Caracoles) et de toutes ses installations, et prendra en charge les tâches administratives et les activités minières métallurgiques, dont la prospection, l'exploration et l'exploitation".

"Parler et discuter, et discuter encore de la possible nationalisation du gaz et du pétrole détenus par les transnationales au moyen d'un Référendum [c'est ce que propose le gouvernement de Carlos Meza avec l'appui du MAS d'Evo Moarales] est une tromperie! C'est dans la rue, en conscientisant nos camarades, en imposant notre volonté au gouvernement par la force de nos mobilisations, qu'il faut nationaliser nos ressources naturelles. C'est ainsi que nous pourrons récupérer réellement et complètement nos richesses, qui ont été aliénées par les gouvernements néolibéraux", a souligné Miguel Zuvieta.

Selon les dirigeants du Syndicat de Caracoles, cet accord signé sans grande pompe avec le gouvernement fera que le 86% des bénéfices que l'entreprise transnationale Barrosquira se "mettait dans la poche" reviendront désormais au Trésor Général de la Nation.

"C'est une réussite pour le pays. Nous avons nationalisé une nouvelle entreprise pour que ses profits nets bénéficient à nos frères boliviens qui ont des salaires bas ou qui sont sans emploi", ajouta Jaime Solares, le secrétaire exécutif de la COB, après avoir appelé le peuple bolivien à lutter pour la deuxième nationalisation d'une mine.

Mais le gouvernement essaie maintenant de faire comme si cet accord qu'il a signé avec les mineurs n'avait jamais existé. Il a mobilisé quelques entrepreneurs des mines, "déguisés en membres de coopératives", pour entraver la réalisation de cette deuxième nationalisation.

Le 30 mai 2004, pour la troisième fois, les 222 mineurs de Caracoles, avec leurs familles, sont sortis de leurs lieux de travail et de leurs foyers. Durant l'assemblée de mineurs du 1er juin, le plus haut dirigeant de la COB, Jaime Solares, visiblement en colère, a dénoncé le gouvernement comme étant "très faible" et l'a accusé d'utiliser des "moyens malhonnêtes" pour boycotter la deuxième nationalisation d'une mine.

Maintenant, les mineurs ont décidé de se radicaliser et de rejoindre les autres secteurs de travailleurs qui se battent contre le régime de Carlos Mesa.

Mardi 1er juin, par exemple, les 222 mineurs et leurs familles sont sortis recouvrir d'une sorte de "tapis humain" une des principales avenues de la ville de La Paz (El Prado), pour exiger le respect de l'accord signé avec le gouvernement. Et aujourd'hui 2 juin, ils ont à nouveau entamé le dialogue avec les autorités à coups de dynamite. Trois paquets de dynamite posés devant les portes des bureaux centraux de la COMIBOL, à La Paz, ont fait comprendre aux autorités qu'ils devaient écouter les hommes du sous-sol.


Un plan de lutte

De leur côté, face à l'"attitude complice" du régime de Carlos Mesa, plusieurs organisations sociales et syndicales ainsi que des personnalités se sont regroupés sous la direction de la Centrale Ouvrière Bolivienne et de la Centrale Ouvrière Départementale de La Paz pour rédiger et signer une "lettre ouverte" adressée au Président de la République. Cette lettre "exige" le "respect et l'accomplissement" de la deuxième nationalisation d'une mine bolivienne.

Lors de l'assemblée des mineurs de Caracoles, réunie le 1er juin, plusieurs travailleurs ont affirmé qu'ils étaient "lassés par toutes ces humiliations".

Certains ont même dit, les larmes aux yeux, qu'il ne leur restait que "l'immolation" - comme celle du mineur Eustaquio Picachurri [mineur au chômage qui, au début 2004, s'est fait exploser dans le parlement de La Paz] - comme dernier recours pour récupérer la mine de Caracoles des mains étrangères et entrepreneurs de mines boliviens.

Pour le moment a été approuvée la nécessité de signer un pacte intersyndical avec plusieurs secteurs en lutte, afin d'obtenir une réponse d'ensemble aux demandes des travailleurs du pays.


* Il est dans la tradition des mineurs boliviens d'utiliser la dynamite, instrument de travail, lors de leurs mobilisations diverses.

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