Bolivie

 

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La Bolivie d’Evo Morales:
démocratique, indianiste et socialiste ?

François Polet *

Une double caractéristique confère à l’entreprise de transformation sociale par la voie démocratique en cours en Bolivie une portée symbolique et refondatrice hors du commun: sa volonté d’en finir avec le «colonialisme interne» par le biais d’un «gouvernement des mouvements sociaux». A l’usage toutefois, la tentative se révèle ardue, en proie tant à des menaces extérieures qu’à ses propres faiblesses.

Dans une Amérique latine ayant majoritairement viré à gauche depuis le tournant du millénaire, c’est probablement dans la Bolivie d’Evo Morales qu’est engagé le processus de transformation sociale le plus ambitieux du continent. A l’instar d’Hugo Chavez au Venezuela ou de Rafael Correa en Equateur, et à la différence de Lula au Brésil, le nouveau président n’a de cesse d’affirmer sa volonté de «rupture» avec les années néolibérales et manie un discours de la confrontation – contre ses adversaires internes, contre les puissances «impérialistes».

Mais l’expérience bolivienne a surtout deux caractéristiques qui lui donnent une charge symbolique et une portée «refondatrice» qu’on ne retrouve pas ailleurs: d’une part, premier président indigène de Bolivie, Evo Morales ne s’en prend pas seulement aux injustices socioéconomiques ou au néocolonialisme des multinationales étrangères, il prétend aussi en finir avec le «colonialisme interne» de l’Etat bolivien et l’exclusion structurelle, depuis l’indépendance, de la majorité indienne du pays ; d’autre part, cette refondation n’est pas envisagée comme la mission d’un homme ou d’un groupe d’élus, mais comme la responsabilité d’un «gouvernement des mouvements sociaux» qui confère une dimension participative inédite, bien que non dénuée d’ambiguïtés, à sa gestion des affaires publiques.

Les premières initiatives du président Morales dès son arrivée au pouvoir en janvier 2006 confirment sa volonté de rupture avec la politique «traditionnelle»: réduction du salaire présidentiel et de celui des hauts fonctionnaires, augmentation du salaire minimum, «nationalisation» des hydrocarbures, lancement d’une réforme agraire, mise en place d’une Assemblée constituante. A la grande satisfaction de ses admirateurs au sein de la gauche internationaliste, le nouveau gouvernement n’a apparemment pas peur de bousculer les intérêts économiques et politiques locaux et internationaux pour se donner les moyens d’accomplir ses deux principales promesses – la «réappropriation» des ressources naturelles et la «refondation» de la nation.

Cette dynamique de changement prometteuse ne tarde cependant pas à se gripper. Dès la seconde moitié de l’année 2006, les discussions autour des règles de fonctionnement de l’Assemblée constituante s’enlisent, le démarrage des travaux est repoussé pendant plus de sept mois. Les difficultés du nouveau gouvernement ne font que commencer…

La nature chahutée du scénario bolivien, succession ininterrompue de bras de fer politiques entre le gouvernement et l’opposition dégénérant régulièrement en affrontements violents, offre d’abord une illustration saisissante de la capacité de nuisance d’une oligarchie conservatrice politiquement diminuée, mais déterminée à abuser de ses ressources institutionnelles et médiatiques pour enrayer un processus politique qu’elle juge contraire à ses intérêts.

Elle témoigne aussi de la complexité d’une entreprise de transformation sociale par la voie démocratique dans un pays où les écarts sociaux, abyssaux, recoupent des discriminations ethniques pluriséculaires. Une complexité face à laquelle la dynamique interne du Mouvements vers le socialisme (MAS) d’Evo Morales – coalition de mouvements sociaux et politiques hétérogènes – constitue à la fois une force et une faiblesse.

Pays «en guerre»

L’accession d’Evo Morales à la présidence bolivienne est d’abord le débouché politique d’un cycle de mobilisations sociales entamé au milieu des années 1990. Des mobilisations plus larges, plus profondes, plus physiquement engagées aussi – d’où le terme de «guerre» de la coca, de l’eau, puis du gaz – que celles qui secouent les autres pays latino-américains à la même époque, hormis peut-être dans l’Argentine des années 2001-2002. Ce cycle fait lui-même suite à une longue période de déclin du syndicalisme ouvrier (minier en particulier) et paysan qui, pendant plus de trente ans, a marqué la vie sociale et politique bolivienne de son empreinte – en appuyant tout d’abord le régime nationaliste révolutionnaire issu de la Révolution de 1952 [1] , en conduisant ensuite le mouvement démocratique contre les dictatures militaires (1964-1982) –, avant d’être affaibli et marginalisé sous les coups de la contre-révolution néolibérale.

Dix ans après le reflux des mouvements sociaux classiques, de nouveaux acteurs collectifs émergent donc, qui révèlent l’existence d’un long processus de recomposition militante dans un contexte marqué par les mutations économiques, les migrations intérieures et l’ethnicisation de la vie politique bolivienne. «L’accent était mis sur les luttes des classes, ouvrières et paysannes, il s’est déplacé vers des luttes de secteurs très variés, liées entre elles par des discours politiques et culturels, rassemblées dans un mouvement national, populaire et identitaire» (Le Bot, 2009). La revendication du contrôle populaire des ressources naturelles, au croisement d’enjeux à la fois sociaux, identitaires et nationalistes, est le fil conducteur des vagues de mobilisation qui secouent la Bolivie.

La renaissance de la contestation sociale a pour berceau la région du Chaparé, dans le Tropique de Cochabamba, où des flots de migrants – paysans andins fuyant la sécheresse de l’Altiplano et ouvriers licenciés suite aux fermetures des mines de Potosí et Oruro – sont venus grossir les rangs des cultivateurs traditionnels de coca au long des années 1980. C’est dans ce creuset atypique qu’un nouveau type de syndicalisme fait son apparition, qui combine les traditions organisationnelles des populations paysannes et le savoir-faire militant des anciens mineurs. Un syndicalisme qui se renforce dans la résistance aux politiques d’éradication de plus en plus répressives menées sous l’orientation (et avec la participation directe) de la Drug Enforcement Administration (DEA) états-unienne.

L’ampleur et le dynamisme du syndicalisme cocalero, les longues marches à travers la Bolivie et une certaine «héroïsation» de leurs confrontations avec les forces policières et militaires leur donnent progressivement un poids décisif au sein du mouvement paysan national – la CSUTCB (la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie) – et font bientôt de la feuille de coca le symbole fédérateur de la résistance nationale à une élite néolibérale au service des intérêts impérialistes.

Deuxième temps fort de ce cycle de mobilisations, la «guerre de l’eau» de Cochabamba, en 2000, est gravée dans la mémoire des militants boliviens comme la première victoire populaire contre les forces politiques et économiques néolibérales. Elle met aux prises une multinationale de l’eau, «Agua del Tunari», détenue à 55% par une filiale de la compagnie américaine Bechtel et soutenue par un gouvernement qui lui-même obéit aux préceptes de la Banque mondiale en matière de gestion de l’eau, et une population révoltée par la hausse des prix entraînée par la privatisation et décidée à bloquer la ville pour faire respecter ses droits.

Au-delà de la victoire des insurgés et de l’expulsion d’Agua del Tunari, c’est l’efficacité du dispositif organisationnel adopté à Cochabamba qui va marquer le champ militant bolivien et inspirer bien des convergences par la suite. «L’alliance entre les paysans, les comités de regantes, les ouvriers et les professions intermédiaires, tous représentés dans la Coordinadora del Agua y de la Vida, a (…) généré à la fois une forte implantation dans la population et une unité d’action favorisée par des pratiques communautaires» (Poupeau, 2008).

La «guerre de l’eau» a un effet désinhibant. Les nombreux groupes sociaux qui s’estiment victimes de discriminations socio-économiques, culturelles et politiques laissent peu à peu exploser leur mécontentement. Les années 2000 et 2001 sont rythmées par les vagues de soulèvements indigènes de l’Altiplano. Le gouvernement est régulièrement obligé d’envoyer l’armée pour briser les barrages routiers tenus par les troupes du chef aymara Felipe Quispe. Divers secteurs socioprofessionnels se radicalisent à leur tour, à l’instar des professeurs et des policiers, et lorsqu’en 2003 le gouvernement annonce sa volonté de confier à un groupe privé l’exportation du gaz naturel national via le Chili, la révolte populaire prend une envergure nationale.

La vente de gaz au rabais via l’ennemi chilien ancestral est vécue par la majorité pauvre de la population comme un nouvel épisode dans une histoire de spoliation des ressources naturelles qui n’a que trop duré. La critique, précédemment sectorielle ou localisée, monte en généralité: des secteurs sociaux disparates s’allient sous la bannière de la «réappropriation des ressources naturelles», réactivant le vieux fond national-populaire latent au sein de l’imaginaire collectif bolivien.

Les paysans de l’Altiplano d’abord, puis les comités de quartiers de la ville d’El Alto [2] , les cocaleros et les mineurs enfin joignent leurs forces pour bloquer les routes qui mènent à la capitale et paralyser le pays. La répression, meurtrière et disproportionnée, qui s’abat sur les manifestants, loin de permettre au gouvernement de reprendre le contrôle de la situation, fait définitivement basculer le rapport de force en faveur des manifestants. Le 17 octobre 2003, le président Gonzalo Sanchez de Lozada fuit la capitale en hélicoptère.

Le président déchu est remplacé par son vice-président, Carlos Mesa, qui accepte de donner suite à «l’agenda d’octobre»: la nationalisation des ressources naturelles et la convocation d’une Assemblée constituante. Un référendum sur le gaz est organisé en juillet 2004, qui voit la population opter pour la récupération de la propriété des hydrocarbures par l’Etat bolivien. Mais les réticences du gouvernement à promulguer une loi sur les hydrocarbures, déjà votée par le parlement, qui prévoit un partage «50/50» des bénéfices et une renégociation des contrats avec les multinationales, lui aliènent le soutien du MAS et des dirigeants sociaux et replongent le pays dans la crise. Les préparatifs d’une deuxième guerre du gaz auront finalement raison du gouvernement Mesa le 6 juin 2005. La voie est libre pour le MAS d’Evo Morales…

MAS: «instrument politique» entre nationalisme et indianisme

Dans la foulée du renoncement de Carlos Mesa, le MAS fait un tabac aux élections de décembre 2005: Evo Morales rafle 53,7% des votes pour la présidentielle et sa formation remporte la majorité absolue à la Chambre des députés et obtient cinq départements sur neuf. Le parti d’Evo a habilement réussi à capitaliser l’effervescence sociale des mois et des années précédentes. En agissant à la fois au niveau institutionnel – Evo Morales est élu au parlement en 1997 où il défend ardemment la cause des cocaleros, au point de se faire destituer en 2002 – et au niveau social – le MAS est dans la rue et participe aux mobilisations.

Deux caractéristiques importantes de ce parti atypique méritent d’être examinées, en ce qu’elles permettent à la fois d’expliquer son succès électoral et de comprendre les difficultés et les tiraillements auxquels il fait face dans l’exercice de ses responsabilités gouvernementales. Tout d’abord, le nom complet du parti d’Evo Morales est «MAS – IPSP», pour «Mouvement vers le socialisme – Instrument politique de souveraineté des peuples». Or dans cette combinaison, «IPSP» a sans doute davantage d’importance que «MAS», car le parti est avant tout considéré comme un «instrument politique» – «leur» instrument politique – par des mouvements sociaux, les syndicats paysans en l’occurrence, qui désirent être «directement» présents au sein des espaces de prise de décision politique. Le MAS-IPSP est donc le prolongement politique d’un mouvement paysan qui entend garder un contrôle direct sur ses élus.

Ce refus de la logique stricte de la représentation, de la séparation entre le social d’un côté et le politico-institutionnel de l’autre, reflète la profonde défiance envers le système politique qui habite le mouvement paysan et les classes populaires boliviennes plus généralement. Il s’explique par la concomitance entre les processus de libéralisation économique et politique – les conditions sociales de larges secteurs de la population n’ont cessé de se dégrader depuis le retour de la démocratie, alimentant l’impression tenace que le jeu démocratique n’est qu’un décor en trompe-l’œil, que le système politique fonctionne au seul profit d’une minorité liée à la classe des politiciens. En Bolivie, cette impression négative est accentuée par l’existence d’une democracia pactada, d’une «démocratie pactée» qui voit les principaux partis multiplier les accords parlementaires pour se partager le pouvoir.

D’où l’insistance d’Evo Morales à présenter le MAS comme un parti «antisystème», qui ne saurait rentrer dans le jeu des négociations entre «partis traditionnels» du fait du lien «organique» qu’il maintient avec le mouvement populaire. Cette différence de «nature» revendiquée par le MAS vis-à-vis des autres organisations partisanes, l’oblige à articuler en permanence dynamique parlementaire et extra-parlementaire, à «toujours se situer dans l’entre-deux d’espaces différenciés» (Casen, 2006). Un exercice délicat et lourd de contradictions à l’heure de décider pour l’ensemble de la société bolivienne, comme nous le verrons plus loin.

Fonctionnant d’abord comme une plate-forme de mouvements sociaux, l’«instrument politique» n’a pas un profil idéologique clairement arrêté. En dépit de ce que laisse entendre la première partie de son sigle – «Mouvement vers le socialisme» –, il ne poursuit pas tant un objectif anticapitaliste, bien qu’il soit clairement situé à gauche, qu’un agenda nationaliste «ethnicisé». En cela, le mouvement politique impulsé par le MAS récupère l’argumentaire du nationalisme révolutionnaire de 1952, tout en le revisitant pour le faire correspondre aux coordonnées de la société bolivienne du début du 21e siècle.

Comme le soulignent justement Hervé Do Alto et Pablo Stefanoni, «si l’idée nationale fut élaborée par la classe moyenne urbaine (qui l’envisageait comme le support du ‘métissage’), puis brandie par les cadres du mouvement ouvrier lors des luttes pour le rétablissement de la démocratie dans les années 1970 et 1980, il s’agit désormais de repenser cette même idée à partir de la vision d’une Bolivie plébéienne ‘ unie dans la diversité’ contre un adversaire: l’impérialisme» (2008). Il s’agit donc d’une part de réaffirmer la souveraineté de l’Etat sur le territoire national, d’autre part de «décoloniser» cet Etat pour qu’il reflète plus fidèlement la réalité pluriethnique de la population bolivienne.

Cet accent sur la «décolonisation» du pouvoir inscrit clairement le MAS-IPSP dans la filiation du katarisme [3] . Mais l’indianisme dont se réclament Evo et les siens, à la fois ouvert et nationaliste, a tiré les leçons des dérives qui ont marqué les courants «néokataristes» qui l’ont précédé. Dérive intégriste, d’une part, postmoderne de l’autre. La première est identifiée à la figure de Felipe Quispe, leader aymara professant un indianisme sans concession, dont l’objectif ultime est la défense de la culture et du mode de pensée aymara, contre les influences occidentales, et la reconstitution du territoire aymara originel, le «Collasuyo». Le «Mallku» [4] n’y va pas par quatre chemins: «nous voulons notre drapeau, nos symboles, notre président, notre système d’éducation, notre armée, notre police, notre justice» (Libération, 14 juillet 2005).

Le parti emmené par Felipe Quispe, le MIP (Mouvement indien pachakuti), qui jouit d’un véritable ancrage au sein de nombreuses communautés paysannes de l’Altiplano, a obtenu jusqu’à 6% des voix à l’échelle nationale en 2002, avant de retomber à 3% lors des élections de 2005 qui consacrent l’hégémonie du MAS au sein de la population indigène et paysanne. Un MAS qui cultive une indianité plus ouverte, une indianité «de référence» comme le note Yvon Le Bot, «moins définie par le monolinguisme, le territoire et l’appartenance communautaire, une indianité fluctuante mais cependant très prégnante», dans laquelle peuvent se reconnaître «les Aymaras, les Quechuas, comme les membres des groupes ethniques des basses terres [5] , les paysans, les colons, les mineurs, les citadins des couches populaires et parfois des couches moyennes, qu’ils parlent ou non une langue indienne» (Le Bot, 2009).

Une indianité plus ouverte donc, mais qui ne se confond pas avec l’indianité «postmoderne» promue dans les années 1990 par le premier gouvernement Sanchez de Lozada. Ce dernier s’était allié avec le dirigeant d’un des principaux courants kataristes, Victor Hugo Cardenas, qui deviendra pour l’occasion le premier vice-président indigène de Bolivie, en vue de conjuguer modernisation économique et promotion du multiculturalisme. Deux projets – ouverture sur la mondialisation et valorisation de la diversité – dont la compatibilité résidait surtout dans l’idée de dépassement de l’Etat-nation.

Ses réformes (inscription du caractère multiethnique et pluriculturel de la nation, loi de décentralisation et de participation populaire, reconnaissance de droits territoriaux), si elles ont constitué une première remise en question des structures assimilationnistes de l’Etat bolivien, étaient cependant trop bureaucratiques et trop en phase avec le projet néolibéral pour emporter l’adhésion du mouvement indigène et paysan. «Les indiens d’aujourd’hui sont (…) des indiens nationalistes, et non les indiens ‘postmodernes’ pleinement intégrés à la société néolibérale dont rêvaient les élites politiques des années 1990» (Do Alto et Stefanoni, 2008).

Défis d’une transformation sociale «en actes»

Dès son arrivée au Palacio Quemado, le gouvernement fraîchement élu du MAS s’est empressé d’engager les chantiers de «l’agenda d’octobre» au nom duquel une large partie de la population bolivienne l’a porté au pouvoir – la réappropriation nationale des ressources naturelles et la mise en place d’une Assemblée constituante. Les premiers mois sont marqués par des succès politiques indéniables – Loi sur les terres, renationalisation du gaz, mise en place de programmes d’aide pour les plus démunis (plan d’alphabétisation, allocation Juancito Pinto [6] , formation de médecins boliviens à l’étranger, etc.) (Poupeau, 2008). Mais cette première impression positive va rapidement être relativisée par une série de blocages et de tensions qui révèlent d’une part l’ampleur des défis que recèle cette expérience de transformation de structures sociales inégales et dépendantes, contre la vision volontariste du changement social, de l’autre les limites et les contradictions de l’organisation politique pilotant cette transformation – le MAS – dans la gestion de ces défis.

Vers un nouveau modèle socio-économique ?

Première constatation qui s’impose à l’observateur – du moins à l’observateur qui prend un minimum de recul par rapport aux narrations, passionnées et polarisées, des acteurs en présence: la portée concrète de certaines transformations est souvent nettement en deçà de la communication de «rupture» et de «révolution» privilégiée par le gouvernement. Cet écart est particulièrement visible dans le domaine économique.

La «nationalisation» des hydrocarbures en est un exemple frappant. De fait la démonstration de force lors de la signature du décret de nationalisation le 1er mai 2006 – sur un champ pétrolier appartenant à Petrobras, avec déploiement de forces militaires à la clé – est en sérieux décalage avec l’esprit de compromis qui a finalement présidé à la renégociation des contrats avec les multinationales dans les mois qui ont suivi [7] . Ce qui n’enlève évidemment rien à la pertinence politique et sociale de la mesure, quand on sait que la Bolivie, pays le plus pauvre d’Amérique du Sud, proposait les contrats les plus avantageux du monde aux multinationales gazières et pétrolifères…

Comme le signale Georges Gray Molina (2007), si le bilan de la nationalisation des hydrocarbures est positif à court terme, en ce qu’elle a permis à l’Etat de tripler ses marges de manœuvre budgétaires en deux ans à peine [8] , le véritable enjeu économique pour la Bolivie réside dans le dépassement d’une stratégie de développement basée sur l’exportation d’un petit nombre de ressources naturelles et donc hautement dépendante de l’évolution du prix de ces quelques produits sur les marchés internationaux. [9] Evolution imprévisible, comme l’ont montré les embardées du marché des matières premières ces trois dernières années. Pour infléchir cette trajectoire historique d’inscription «dépendante» au sein du marché international, la Bolivie doit donc impérativement diversifier sa base économique. Une préoccupation au cœur de l’idée de capitalisme «andin-amazonien» développée par le vice-président bolivien, Álvaro García Linera.

L’enjeu du capitalisme «andin-amazonien» est de faire coexister et d’articuler entre eux des secteurs économiques généralement jugés incompatibles. Le rôle de chef d’orchestre de cette nouvelle configuration économique revient à l’Etat. Ce qu’expliquait le vice-président un mois avant de prendre les commandes du pays (en décembre 2005): «il s’agit de construire un État fort, qui puisse articuler de manière équilibrée les trois plates-formes ‘économico-productives’ qui coexistent en Bolivie: la communautaire, la familiale et la ‘moderne-industrielle’. Il s’agit de transférer une partie de l’excédent des hydrocarbures nationalisés pour encourager la mise en place de formes d’auto-organisation, d’autogestion et de développement commercial proprement andines et amazoniennes» (García Linera, 2005).

Ce capitalisme d’Etat d’un genre nouveau connaît un début d’application dans la politique d’investissement productif menée par le gouvernement depuis 2006. Une politique dont les résultats sont défendus par le même Álvaro García Linera après deux ans et demi de gouvernement: «grâce à l’investissement public, le gaz est industrialisé (usine de LPG à Campo Grande, usine séparatrice de gaz dans le Chaco, usine thermoélectrique dans le Chapare), des activités métallurgiques liées aux mines sont relancées (Huanuni, Vinto, Coro Coro, etc.), les petits producteurs dépendants du marché interne sont soutenus via l’Entreprise publique d’appui à la production agricole (EMAPA) et des usines sont créées en vue d’approvisionner le marché national en papier, carton, etc.» (García Linera, 2008).

Une tendance «industrialisante» semble cependant s’imposer au sein du ministère de l’économie, au grand dam des partisans de la promotion de modes d’organisation économiques «populaires», «indigènes» ou «communautaires». Elle assimile la modernisation de l’économie bolivienne au développement d’une grande industrie contrôlée par l’Etat, dans la tradition «nationale - développementaliste».

Pour les principaux décideurs en matière de politique économique, l’objectif numéro un est donc la mise en place d’unités de transformation des matières premières que la Bolivie exporte traditionnellement sous une forme brute. D’où les gros investissements dans l’industrialisation du gaz ou des mines, ainsi que les immenses ambitions affichées par le gouvernement dans l’exploitation du lithium, ce métal essentiel dans la fabrication des batteries de voitures électriques de demain, dont la Bolivie détiendra plus de la moitié des réserves mondiales. [10]

Outre les tensions entre tendances «industrialisantes» et «communautaires», le tableau est obscurci par un certain nombre de faiblesses en matière de gestion, qui jettent un doute sur les capacités du gouvernement «masiste» à gérer la transition économique dans la cohérence et la durée. En cause, d’une part le manque cruel de cadres qualifiés dans les rangs du MAS, de l’autre l’absence de ligne politique claire de la part d’un gouvernement excessivement sensible aux pressions contradictoires des différents groupes d’intérêts qui le soutiennent. Des pressions qui expliquent la tendance, récurrente au sein du gouvernement, d’envisager l’investissement public comme un mode de redistribution de la rente gazière davantage que comme l’impulsion d’un plan rationnel et coordonné de diversification du tissu économique.

Sur un autre plan, force est de constater que la rupture avec les pratiques de l’ère néolibérale ne va pas nécessairement de soi au sein des entreprises fraîchement renationalisées. Dans son étude du processus de déprivatisation du service de distribution d’eau à La Paz et El Alto (l’entreprise Aguas del Illimani, appartenant au groupe Suez, a été remplacée par l’Empresa Pública y Social de Agua y Saneamiento), Franck Poupeau a constaté combien la dépendance de la nouvelle entreprise publique vis-à-vis des financements de la coopération internationale l’amenait à reproduire des formes de participation communautaire de type Banque mondiale dans l’équipement des zones insolvables, qui contribuent à renforcer la dualisation du système de distribution: «à côté du réseau historiquement installé dans les quartiers les plus prospères, les populations insolvables des secteurs périurbains bénéficient d’un système adapté à leurs moyens» (Poupeau, 2008).

Heurts et malheurs du processus constituant

La tenue d’une Assemblée constituante visait à concrétiser la «révolution démocratique et culturelle» promise par Evo Morales, à «décoloniser» l’Etat bolivien afin de rendre leur légitimité et toute leur place aux peuples «indigènes, originaires et paysans». Et de fait, la «Nouvelle Constitution Politique de l’Etat» dont a accouché le processus constituant en décembre 2007 à Oruro (elle a été adoptée par référendum en janvier 2009) contient des avancées historiques, en matière de reconnaissance de la nature plurinationale de l’Etat [11] , de droits sociaux et économiques ou d’interdiction de toute privatisation des ressources naturelles.

Mais ces dispositions favorables à la majorité indigène et populaire voient leur légitimité sérieusement entamée par le fait que le texte ne repose pas sur un consensus national digne de ce nom, une minorité importante de Boliviens ayant l’impression de se l’être vu imposée de force par le camp d’en face. Bien qu’Evo appelait de ses vœux une «une Assemblée constituante pour unir les Boliviens, une Assemblée constituante où l’on respecte la diversité», le processus constituant a davantage pris la forme d’une bataille rangée, d’une lutte sans merci, majorité contre opposition, que celle d’une instance de délibération permettant «d’unir mieux encore les Boliviens» (Morales, 2006).

La tournure belliqueuse prise par les événements est d’abord à mettre sur le compte des élites possédantes des départements de la «Demi-Lune» (la partie orientale du pays qui concentre l’essentiel des réserves d’hydrocarbures et les grands domaines), décidées à tout mettre en œuvre pour faire barrage à un projet politique qui les aurait obligées à partager les richesses du sol et du sous-sol avec les populations des Andes, comme d’ailleurs avec les groupes indiens autochtones ou les petits colons d’origine andine qui peuplent les basses terres (Le Bot, 2009). Battue à l’échelle nationale, c’est en appui à la revendication d’autonomie de cette élite orientale, incarnée par les préfets et les «comités civiques» de Santa Cruz et des autres départements orientaux [12] que l’opposition politique s’est réorganisée.

Forts d’une minorité de blocage au sein de l’Assemblée constituante, où le texte doit être adopté à la majorité des deux tiers, les représentants des partis conservateurs vont subordonner l’évolution du processus constituant à l’application des statuts d’autonomie. Ces derniers doivent leur permettre d’échapper aux mesures gouvernementales qu’ils jugent contraires à leurs intérêts, telles que la décision d’augmenter l’impôt sur les revenus que les départements tirent de l’extraction des hydrocarbures en vue de financer une pension vieillesse universelle (la Renta Dignidad), la «Loi sur la répartition des terres» visant à redistribuer les grandes propriétés non productives ou encore la reconnaissance de territoires «indigènes, originaires, paysans» autonomes au sein des départements disposant d’un droit prioritaire sur leurs ressources naturelles.

Face à l’intransigeance du gouvernement (la «dictature du gouvernement central»), la «minorité active» conservatrice opte pour la stratégie de la tension et déploie une offensive tous azimuts: manifestations monstres à Santa Cruz (largement financées par les élites économiques de la région), boycott des travaux de l’Assemblée par les parlementaires de l’opposition, blocage des bâtiments où siègent les constituants pour empêcher les délibérations, tenue de référendums sur les autonomies départementales non reconnus par la Cour électorale nationale, mise à sac des bâtiments gouvernementaux par des groupes de choc proches des comités civiques… et passage à tabac des supporters supposés – «au faciès» – du MAS, dans une atmosphère chargée de relents racistes anti-indiens.

La mainmise de l’opposition sur les principaux médias du pays a considérablement amplifié la capacité de nuisance des élites orientales, en surdimensionnant le mécontentement populaire contre La Paz [13] , en diabolisant chacune des initiatives d’un président accusé de dérives «autoritaires» et en montant en épingle toute rumeur sur des fraudes supposées lors des référendums révocatoire (août 2008) et constitutionnel (janvier 2009) largement favorables au MAS à l’échelle nationale.

Face à la stratégie d’opposition à outrance des autorités départementales de la «Demi-Lune», le gouvernement du MAS va manquer de cohérence et multiplier les erreurs stratégiques qui vont l’empêcher de briser le «match nul catastrophique» (empate catastrofico, une expression du vice-président García Linera) qui paralyse le système politique bolivien depuis plusieurs années. Son manquement principal a certainement consisté à méconnaître la lettre et l’esprit d’une série de dispositions constitutionnelles et de principes démocratiques élémentaires, au nom de la légitimité historique de son projet, afin d’imposer ses points de vue à la minorité réfractaire – en approuvant en quelques heures la quasi-totalité des plus de 400 articles de la nouvelle Constitution sans permettre aux représentants de l’opposition de s’exprimer ou en encourageant les «débordements spontanés» de ses propres troupes syndicales.

Le recours à des formes extralégales de pression et d’intimidation de l’adversaire en vue de modifier le rapport de force en sa faveur a non seulement sapé les bases de l’autorité gouvernementale, mais a également discrédité le projet de démocratisation de la société porté par ce même gouvernement auprès d’une large frange de l’opinion publique. En définitive, ce sont les institutions démocratiques boliviennes elles-mêmes, paralysées ou instrumentalisées par l’un ou l’autre des camps en présence, qui sont les véritables perdantes de cette dynamique d’affrontements incontrôlée (Thede et de la Fuente, 2008).

A un autre niveau, le gouvernement a fait preuve de bien peu de sens stratégique dans sa gestion des velléités autonomistes cruceñas. En effet, au lieu de concéder au mouvement régionaliste des statuts d’autonomie qui auraient répondu à certaines de leurs aspirations tout en préservant le cœur du projet du MAS [14] , ce qui aurait pu diviser et/ou affaiblir un camp conservateur plus hétérogène qu’on ne le croit, Evo et son entourage se sont entêtés à présenter les initiatives des courants autonomistes comme des conspirations sécessionnistes ourdies par des oligarchies ne représentant qu’elles-mêmes.

Or le sentiment régionaliste oriental est plus qu’un séparatisme des riches, il repose sur une mémoire partagée d’une réalité historique indiscutable: le faible intérêt de l’Etat central pour le développement des départements orientaux (Do Alto, 2009). En condamnant en bloc cette volonté autonomiste, le gouvernement a paradoxalement renforcé la légitimité des élites qui l’incarnent aux yeux de la population des départements orientaux.

Entre mouvementisme, clientélisme et centralisme

A la différence d’autres partis de gauche ou de centre-gauche au pouvoir en Amérique latine, le MAS ne s’est pas émancipé de sa base lorsqu’il est arrivé aux affaires. Le mouvement paysan et indigène a continué à peser sur les principales décisions de «son» instrument politique, dans le cadre de consultations régulières des instances du MAS, comme à travers les mobilisations. La détermination dont a fait preuve le gouvernement bolivien à l’heure d’affronter l’immense pression déployée par les oppositions internes et externes sur des dossiers tels que la nationalisation des hydrocarbures ou la répartition des terres est sans conteste le résultat de cette relation organique qui le lie au mouvement populaire. Mais cette capacité d’influence des mouvements sociaux sur les faits et gestes de l’exécutif charrie aussi son lot d’effets pervers.

Pour bien comprendre la nature ambiguë du type de relation qui prédomine aujourd’hui entre le MAS au pouvoir et les organisations sociales, il est nécessaire de rompre avec une certaine image idéalisée de ces dernières. Comme Pablo Stefanoni le démontre bien dans cette livraison d’Alternatives Sud. [15], si dans la période de convergence des luttes contre les gouvernements néolibéraux de Gonzalo Sánchez de Lozasa et de Carlos Mesa, «un ensemble d’organisations syndicales, indigènes et de quartiers se sont articulées (…) autour d’objectifs communs à fort contenu universaliste», et ont partiellement perdu leur caractère corporatiste, «il est courant d’observer, une fois passé le climax des mobilisations, de forts replis corporatifs, une sorte de retour ‘à la normale’» de ces organisations représentatives d’intérêts locaux ou sectoriels. On passe du «Le gaz est de tous les Boliviens» au «Où est notre part ?».

Le sentiment de (co-)propriété des secteurs sociaux à l’égard du MAS se double d’un sentiment de (co-)propriété, de type prébendier, à l’égard de l’appareil d’Etat aujourd’hui dominé par le parti. D’où la tendance, chez de nombreux militants à considérer le MAS comme une nouvelle «agence d’emploi» devant permettre de décrocher un poste au sein de l’administration publique. L’augmentation des revenus tirés des hydrocarbures a radicalisé la compétition entre organisations plus ou moins liées au MAS autour des ressources publiques. Le critère redistributif étant largement déterminé par la capacité de pression sur le gouvernement, on assiste à une surenchère mobilisatrice entre organisations qui amène certaines d’entre elles à en revenir aux manifestations et aux barrages de rue pour voir leurs demandes particulières satisfaites.

Comment gérer le bien public dans le sens de l’intérêt général face à la mobilisation permanente et potentiellement déstabilisante d’intérêts corporatistes ou locaux ? Qui plus est quand ces intérêts s’expriment au sein même du parti tenant les rênes du gouvernement ? Reconnaissons-le, le MAS n’a pas résisté à la solution clientéliste, qui permet de satisfaire – pour un temps – l’appétit des groupes d’intérêt mobilisés et de garantir (d’acheter ?) leur adhésion. Mais la succession de situations de quasi-ingouvernabilité a également décidé Evo Morales à limiter le périmètre d’influence des mouvements sociaux au sein de son gouvernement. Une centralisation des décisions sans doute nécessaire pour gagner en cohérence et en prévisibilité.

Il n’en reste pas moins que le double mouvement de personnalisation du pouvoir (el evismo) et d’affaiblissement des institutions publiques boliviennes renforce le profil populiste du régime et hypothèque le processus de démocratisation du système politique bolivien qu’il prétend incarner. Est-ce à dire que toute expérience de réformisme socio-économique radical soit incompatible avec l’approfondissement de la démocratie en Amérique latine ? Peut-être, mais en Bolivie comme ailleurs, la dégradation des conditions d’exercice du pouvoir démocratique a autant, si pas davantage, à voir avec la guérilla institutionnelle et médiatique menée par des classes possédantes minorisées politiquement, qu’avec les limites des gouvernements mandatés par les majorités pour s’attaquer aux inégalités historiques des sociétés latinos.

Bibliographie
• Alternatives Sud (2008), «Etat des résistances dans leSud – 2009 (Face à la crise alimentaire)», Paris-Louvain-la-Neuve, Syllepse-CETRI, Vol. 15, n°4.
• Bajoit G., Duterme B. et Houtart F. (2008), Amérique latine: à gauche toute ?, Bruxelles, Couleur livres.
• Casen C. (2006), «Les partis ‘antisystèmes’ en Bolivie: une remise en cause de l’architecture des rapports sociaux ?», Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines, 2006, tome 35 n°2, 207-222.
• Do Alto H. et Stefanoni P. (2008), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie, Paris, Raisons d’agir.
• García Linera A. (2005), «Le MAS est de centre-gauche», entretien publié par le site RISAL http://risal.collectifs.net.
• García Linera A. (2008), «El Estado en transicion – Bloque de poder y punto de bifurcacion», in La potencia plebeya (anthologie de textes d’Álvaro García Linera présentée par Pablo Stefanoni), Buenos Aires, Clacso.
• Le Bot Y. (2009), La grande révolte indienne, Paris, Robert Laffont.
• Molina G. G. (2007), «El reto posneoliberal de Bolivia», Nueva Sociedad, n°209, mai-juin.
• Morales E. (2006), Discours d’investiture présidentielle, Paris, L’Esprit frappeur.
• Perrin B. (2009), «La Bolivie prend le sillage de l’auto électrique», article publié le 16 mars 2009 sur le site http://risal.collectifs.net.
• Poupeau F. (2008), Carnets boliviens 1999-2007. Un goût de poussière, Montreuil, Au lieux d’être.
• Thede N. et de la Fuente M. (2008), «Bolivie - Chronique d’un affrontement annoncé», Chronique des Amériques, n°15, septembre.

* François Polet .Sociologue, Université de Louvain-La-Neuve (Belgique). Chargé de rédaction, recherche et formation au CETRI. Coordonne les publications Etat des Résistances dans le Sud. Cet article fait partie du numéro de la revue XVI -2009/3, de la revue du CETRI, titré La Bolivie d’Evo. Démocratique, indianiste et socialiste ?

1. La Révolution nationale de 1952, première irruption des classes populaires sur la scène politique bolivienne, a accouché de trois réformes qui ont mis un terme au règne sans partage des oligarchies: la réforme agraire, la nationalisation des mines et le suffrage universel.
2. Immense ville-banlieue de l’altiplano qui surplombe la capitale La Paz.
3. Le katarisme, en référence au leader indien Tupak Katari, chef de la dernière grande rébellion anticoloniale à la fin du 18e siècle, est un courant syndical identitaire qui émerge dans les années 1970 en réaction aux politiques assimilationnistes de la République. Pour les kataristes, la majorité de la société paysanne souffre non seulement d’une oppression de classe, justement dénoncée par les mouvements ouvriers et paysans de gauche, mais aussi d’une oppression ethnique. Le katarisme deviendra hégémonique au sein du syndicalisme paysan avant de décliner au début des années 1980, parallèlement au syndicalisme ouvrier auquel il a lié son destin.
4. Nom d’une autorité traditionnelle dans les communautés aymaras.
5. La population indigène de la partie orientale du pays (les «basses terres») est composée d’une trentaine de groupes ethniques de faible dimension démographique. A la différence des ethnies aymara et quechua des Andes, elles sont en minorité sur leur propre territoire. A noter que cette population a connu un processus de mobilisation distinct des indiens des Andes – ces derniers se sont organisés à travers le syndicalisme paysan dès les années 1950 (le katarisme) tandis que celle-là a «émergé» dans les années 1980 grâce à des soutiens «externes» (ONG internationales, secteurs ecclésiastiques, etc.). Les deux mouvements ont opéré un rapprochement en 1990 en dépit de leurs divergences sur une série de thèmes, à commencer par celui de la décentralisation, perçu comme une menace par le syndicalisme andin, mais comme une opportunité pour les petites ethnies des basses terres.
6. Allocation de 20 euros par enfant scolarisé.
7. Un esprit de compromis qui résulte d’une part des pressions exercées par les pays «amis» (Brésil et Argentine) d’où sont originaires certaines des multinationales, d’autre part de la conscience, dans le chef des négociateurs boliviens, de la dépendance vis-à-vis de l’investissement et du savoir-faire étrangers pour l’exploration et l’exploitation de nouveaux champs.
8. Les revenus de l’Etat sont passés de près de 600 millions de dollars en 2005 à un peu plus de 1 milliard 900 millions de dollars en 2007. Une bonne partie de cette augmentation est cependant due au renchérissement du gaz et du pétrole sur le marché international.
9. En 2006, les hydrocarbures représentaient 49% des exportations et les mines 19%.
10. Pour Evo Morales, le lithium devra être industrialisé sur le sol bolivien et son exploitation sera strictement contrôlée par l’Etat bolivien, avec pour objectif de fabriquer les batteries, voire les voitures électriques elles-mêmes, en Bolivie. C’est dans cette perspective que le gouvernement a investi 6 millions de dollars dans une usine pilote à Rio Grande, sur les bords du désert salé d’Uyuni, bien qu’il soit conscient que le développement du projet dépend des investissements et de la technologie des grands groupes étrangers (Perrin, 2009).
11. Reconnaissance des langues indigènes, reconnaissance des droits des nations et peuples indigènes à l’exercice de leur propre système politique, juridique et économique, établissement de Territoires indigènes originaires paysans dotés de compétences en termes de définition de forme propre de développement, d’administration de la justice indigène, de gestion des ressources naturelles, etc.
12. Les départements orientaux sont ceux de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija. Ensemble ils représentent 36% de la population bolivienne pour 45% du PIB. Notons que les grandes villes des départements de Cochabamba et de Chuquisaca présentent elles aussi des tendances pro-autonomie.
13. Or les résultats du référendum révocatoire d’août 2008 montrent que la popularité d’Evo Morales, indiscutable à l’échelle nationale (67,4% des votes !), est aussi relativement forte dans les départements de l’Orient majoritairement favorables aux statuts d’autonomie et opposés à la nouvelle Constitution (il obtient 52,5% dans le Pando, 49,8% à Tarija, 43,7% dans le Beni et 40,7% à Santa Cruz).
14. D’autant que plusieurs examens minutieux des quatre statuts d’autonomie départementaux (qui diffèrent fortement en termes de compétences réclamées, soit dit au passage) en viennent à la conclusion qu’ils pourraient pour l’essentiel être rendus compatibles avec le projet de nouvelle Constitution (Thede et de la Fuente, 2008).
15. Lire dans la même revue l’article «‘Indianisation’ du nationalisme ou refondation permanente de la Bolivie» (résumé sur le site du CETRI)

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

(17 décembre 2009)


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