Débats
Julian Assange
En défense de WikiLeaks et de Julian Assange
Editorial de l’International Socialist Review
Le 7 février 2011, le tribunal de Londres devant lequel Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, a comparu le 11 janvier, rendra sa décision s’il doit être extradé vers la Suède qui le réclame pour une accusation de viol. Après que Julian Assange se fut présenté à la police anglaise début décembre 2010, le juge l’avait d’abord, le 14 décembre 2010, maintenu en prison puis, le 16 décembre, lui avait accordé une liberté sous caution de l’équivalent de 373'000 dollars, avec un bracelet électronique, assignation à résidence, et confiscation de son passeport australien.
Le Code pénal suédois définit trois degrés de viol et le degré le moins grave permet de dénoncer comme contrainte sexuelle des actes commis sans accord explicite de la partenaire, à l’intérieur d’un rapport sexuel par ailleurs mutuellement consenti. (Le Temps, 13 décembre 2010). C’est de cette forme moins grave de «viol» que Julian Assange est, selon les informations publiées, accusé par ses deux amantes suédoises de l’été 2010. Anna Lietti écrit dans le quotidien Le Temps du 13 décembre 2010, que la plupart des gens, sans approuver pour autant le comportement incriminé, considéreraient cela comme un manque d’égards ou une indélicatesse de la part de Julian Assange, mais certainement pas comme un «viol». Julian Assange et ses avocats considèrent que ce n’est qu’une machination pour que la Suède puisse ensuite l’extrader aux Etats-Unis. (Rédaction)
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L’arrestation début décembre à Londres du fondateur de WikiLeaks Julian Assange est un épisode d’une chasse aux sorcières dont le but est de fermer le site Internet et de garrotter par un frisson de peur la libre circulation de l’information dans le monde entier.
WikiLeaks a indigné les gouvernants des Etats-Unis en livrant à plusieurs médias dont The New York Times, The Guardian, Le Monde, El Pais, Der Spiegel… plusieurs trésors de documents secrets, en particulier relatifs aux crimes de guerre en Irak et en Afghanistan, ainsi que plus récemment de nombreux câbles confidentiels de la diplomatie étatsunienne.
Les révélations de plus de 1200 documents publiés par WikiLeaks jusqu’à présent sont significatives, même si elles ne sont pas de nature à surprendre vraiment nos lecteurs. Les Etats-Unis espionnent systématiquement les autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU et son secrétaire général. Les dirigeants des monarchies dictatoriales arabes font pression sur les Etats-Unis pour qu’ils attaquent l’Iran mais sont effrayés à l’idée que leurs sujets l’apprennent. Les Etats-Unis ont fait pression sur l’Espagne pour que ses tribunaux abandonnent les poursuites engagées contre des officiers des Etats-Unis accusés de crimes de guerre en Irak et de torture à Guantanamo. Les forces spéciales des Etats-Unis opèrent en territoire pakistanais avec l’accord du gouvernement du Pakistan, etc., etc.
Ce que montrent les révélations de WikiLeaks, c’est la duplicité quotidienne de l’Etat capitaliste. Elles illustrent combien les Etats-Unis et leurs alliés méprisent de façon mesquine non seulement leurs ennemis mais aussi leurs soi disant «amis». Et elles confirment une grande partie de l’analyse que proposent des publications comme la nôtre de ce que sont réellement les objectifs et les méthodes de la politique étrangère des Etats-Unis. Au contraire des grands médias qui font l’apologie des puissants. Ce que craint Washington, ce n’est pas que WikiLeaks va «aider et conforter» les terroristes. Ce que Washington craint, c’est que la publication de son «linge sale» en public va miner sa capacité à maintenir ses dissimulations, y compris sa capacité de pouvoir continuer à tromper le peuple des Etats-Unis.
Le comportement de la presse bourgeoise dans cette affaire a été scandaleux. Alors qu’elle était bien contente de publier le matériel révélé par WikiLeaks, elle a joint sa voix à ceux qui réclamaient la tête de Julian Assange. Nous ne sommes pas surpris que le New York Times reflète la ligne du gouvernement, lui qui avait publié en 2002 l’infâme article de Michael Gordon et Judith Miller prétendant que l’Irak possédait des armes de destruction massive. Mais quelques célèbres journalistes ont fait mieux que cela. L’éditorialiste Mark Thiessen a écrit dans le Washington Post que WikiLeaks «n’est pas une organisation d’information mais une entreprise criminelle.» Comme David Samuels l’a écrit dans la revue Atlantic, «le fait que tant de journalistes de la vieille école attaquent (Assange) avec un tel déchaînement est le symptôme qui révèle l’échec des méthodes d’enquête journalistique traditionnelle à pénétrer une culture officielle du secret qui s’est renforcée par bonds successifs depuis le 11 septembre 2001 et en vient à menacer le fonctionnement d’une presse libre comme clé de voûte de la démocratie.»
Assange a été recherché par la justice suédoise qui veut l’interroger à propos de délits sexuels dont il est accusé. Assange a été la cible de déclarations de plus en plus hystériques de la part de politiciens et de la part des médias, tout particulièrement aux Etats-Unis. Quand Assange a comparu devant le tribunal à Londres, de nombreux militants célèbres, parmi eux le cinéaste de gauche Ken Loach et le journaliste John Pilger, étaient venus l’appuyer et ont offert de déposer une caution de plus de 280'000,00 dollars pour sa liberté. Le tribunal a refusé dans un premier temps.
Étant donné la nature de l’offensive lancée contre Assange par la super-puissance, les accusations sexuelles contre lui ne peuvent pas être prises pour argent comptant. En fait, ces accusations avaient d’abord été portées contre lui en Suède au mois d’août puis abandonnées. Eva Finne, le procureur en chef compétente avait déclaré dans un communiqué que Assange ne faisait plus l’objet d’une citation à comparaître. Mais au mois de septembre, un autre procureur a repris les poursuites, après l’intervention de Claes Borgström, le politicien suédois qui représente les deux plaignantes.
Cependant ce n’est qu’après les dernières révélations de WikiLeaks, c’est-à-dire les câbles diplomatiques US, que la pression pour mettre en arrestation Julian Assange est montée d’un cran. Interpol a publié une “notice rouge” (réservées habituellement aux trafiquants d’armes internationaux et aux parrains de la drogue). Ainsi Interpol plaçait Assange sur la liste des personnes les plus recherchées dans le monde. Et pourtant on nous dit que la justice suédoise ne réclame Julian Assange que pour lui poser des questions.
Les appels à l’arrestation de Assange et l’attitude de la presse des Etats-Unis qui le considère coupable, jusqu’à preuve du contraire, contrastent crûment avec l’absence d’indignation contre les gouvernements et les officiers que WikiLeaks a révélés coupables de permettre des assassinats, des massacres et la torture. Le New York Times a affirmé qu’«il n’y a pas d’indices publics suggérant un lien entre» entre l’arrestation d’Assange et des représailles pour l’action de WikiLeaks. La réalité suggère le contraire.
Les mêmes politiciens et éditorialistes des médias qui ont habituellement bien peu à dire au sujet de la violence faite aux femmes ou au sujet de leurs droits sont tout à coup très pressés de déférer Assange devant «la justice». Entre-temps, tandis que Julian Assange était en prison, les politiciens et les officiers de l’armée que WikiLeaks a révélés avoir autorisé la torture et le massacre de civils en Irak et en Afghanistan n’auront probablement jamais à rendre compte devant un tribunal. Tout cela montre combien l’exploitation du système légal est cynique et hypocrite.
Du fait de la révélation par WikiLeaks de l’affreuse réalité qui se cache derrière la dite «guerre contre la terreur», Julian Assange est devenu une cible depuis des mois. Des politiciens des deux bords du Congrès des Etats-Unis ont exigé que Assange soit poursuivi pour espionnage et autres graves crimes. Parmi eux, la sénatrice de Californie Dianne Feinstein et le sénateur du Connecticut Joe Lieberman. Peter King, membre de la Chambre des représentants pour New York a demandé si WikiLeaks ne pourrait pas être mise sur la liste des «organisations terroristes», ce qui exposerait toute personne travaillant pour le site ou y contribuant à être poursuivie en justice par le gouvernement des Etats-Unis.
Et puis il y a ceux qui ont exigé la tête de Julian Asssange, littéralement. L’ancien candidat à la présidence Mike Huckabee, par exemple, a déclaré que la personne qui a réalisé les fuites des informations vers Assange doit être jugée pour haute trahison et exécutée. Entre-temps, l’ancienne gouverneur de l’Alaska, Sarah Palin, a eu recours à Facebook pour proclamer que «Assange est un agent antiaméricain qui a du sang sur les mains» et «qui doit être poursuivi avec la même urgence avec laquelle nous poursuivons Al Quaeda et les chefs talibans.»
De son côté, l’administration Obama s’est retenue d’appeler à l’assassinat de Julian Assange. Mais le procureur général Eric Holder a ouvert une enquête criminelle sur Wikileaks. Le bruit court que le Département de la Justice aurait déjà fait établir un acte d’accusation sous scellés contre Julian Assange avec une demande d’extradition aux Etats-Unis. Au fond, les dirigeants des Etats-Unis rongent leur frein tant ils souhaitent mettre la main sur Assange et l’amener aux Etats-Unis pour faire un exemple.
Glenn Greenwald du site Salon.com a bien résumé en quoi consiste la «Justice Obama» et cela s’applique tout à fait ici:
«Si vous créez un régime mondial illégal de torture, si vous espionnez illégalement des Américains sans mandat, si vous enlevez des gens sans avoir le pouvoir légal de le faire, ou si vous envahissez ou détruisez un autre pays sous des faux prétextes, vous êtes tout à fait en règle. Mais si vous dénoncez publiquement ne serait-ce qu’un seul des secrets malfaisants perpétrés lors de ces actes illégaux, alors vous êtes un criminel malintentionné qui mérite la persécution judiciaire la plus sévère possible.»
Bien qu’aucun des responsables de WikiLeaks n’ait encore été accusé d’aucun délit en rapport avec la publication des documents, le site, lui, a souffert plusieurs attaques sérieuses. Dans les jours immédiatement avant et après l’arrestation de Julian Assange, le site de WikiLeaks a vu son adresse web primaire désactivée et son compte chez PayPal gelé. Tant Visa que Mastercard ont arrêté de traiter les dons en faveur de WikiLeaks tandis que Amazon annulait les services d’hébergement du site de WikiLeaks après avoir reçu un téléphone directement du cabinet du sénateur Joe Lieberman. Plus tard un responsable de PayPal déclarait que la décision de l’entreprise de geler le compte de WikiLeaks se fondait en partie sur la déclaration du Département d’Etat qui affirmait que WikiLeaks avait agi illégalement en publiant des documents classés. Sauf, bien sûr, que les personnes associées aux activités de WikiLeaks n’ont encore été accusées d’aucun délit.
Un éditorial du Guardian britannique du 10 décembre faisait remarquer que ces entreprises «cherchent à avoir le beurre et l’argent du beurre: dans leur publicité, elles prétendent être des esprits libres qui rendent possible le monde virtuel d’Internet. Mais elles ne restent à la hauteur de cette prétention que tant qu’elles ne dérangent personne d’important.»
L’ironie de la pression des officiels US pour fermer WikiLeaks c’est, bien sûr, que l’establishment des Etats-Unis critique fortement des gouvernements comme ceux de l’Iran ou de la Chine quand ils essayent de censurer Internet. Comme le Washington Post l’a écrit: «Les gouvernements autoritaires et les médias étroitement contrôlés en Chine et à travers le Moyen Orient arabe ont censuré quasiment toute mention des documents, pour éviter le retour de manivelle que pourrait déclencher une révélation aussi franche des idées de leurs gouvernants.»
Mais quand ce sont les Etats-Unis qui censurent et cachent les secrets d’Etat au public, tout à coup un peu «d’autoritarisme» ne semble pas si grave. Comme Glenn Greenwald l’a fait remarquer:
«Nous sommes censés avoir un gouvernement libre – une démocratie – tout ce que le gouvernement fait est censé être public et ne peut être légalement caché que pour des raisons impérieuses. Ce n’est pas qu’une espèce de théorie sublime et abstraite; c’est primordial pour avoir quelque chose qui ressemble au “consentement des gouvernés.”
Mais nous avons complètement abandonné ce principe; nous l’avons transformé en son contraire. Aujourd’hui, tout ce que le gouvernement fait est présumé secret; ce ne sont que les gestes les plus cérémonieux et vides qui sont rendus publics. Cet abus du secret est vaste, intentionnel, répandu partout, dangereux et destructeur. Voilà l’abus que WikiLeaks se consacre à combattre et que ses critiques les plus sévères contribuent - qu’ils le veuillent ou non- à maintenir.»
Le bras long de la surveillance par l’Etat continue de pénétrer toujours plus loin dans la vie de millions de personnes, auto-justifié par la menace «terroriste». Mais comme les révélations de WikiLeaks le montrent bien, la pire menace terroriste (sous la forme d’une violence assassine encouragée par le pouvoir d’Etat) provient essentiellement du gouvernement des Etats-Unis. Ce gouvernement s’arroge même le droit d’assassiner des citoyens des Etats-Unis avec guère plus de procédure légale («due process») qu’un ordre présidentiel soumis à aucun contrôle. Au nom de la lutte contre le «terrorisme», le gouvernement des Etats-Unis maintient qu’il a le droit de connaître jusqu’à la dernière parcelle d’information sur notre vie en même temps qu’il se réserve le droit de restreindre notre accès à l’information à propos de son comportement à lui.
WikiLeaks a dévoilé l’affreuse réalité derrière la guerre des Etats-Unis contre la «terreur» comme le journaliste Daniel Ellsberg avait contribué à dénoncer la brutalité de la guerre des Etats-Unis au Vietnam en livrant à la publication en 1971 les «Papiers du Pentagone». Cela lui avait valu alors d’être accusé par le gouvernement de vol et conspiration – en même temps que des tentatives de vol de son dossier médical chez son psychiatre – le gouvernement s’efforçant de salir sa réputation.
Daniel Ellsberg a déclaré au New York Observer que ceux qui prétendent aujourd’hui que l’action de Julian Assange, et les représailles contre lui, sont différentes, se trompent. «C’est seulement une excuse pour des gens qui ne veulent pas reconnaître qu’ils sont contre toute dénonciation de la politique étrangère même la plus erronée et dissimulée. La vérité, c’est que toutes les attaques qui sont portées aujourd’hui contre WikiLeaks et Julian Assange ont été portées à l’époque contre moi et la publication des Papiers du Pentagone.»
Aujourd’hui, c’est une nouvelle génération de militants à travers le monde qui doit apprendre à nouveau les leçons de ce que Daniel Ellsberg a vécu et qui doit se lever pour défendre Julian Assange et WikiLeaks.
L’éditorial du Guardian conclut: «Au moment où les grandes entreprises et les gouvernements cherchent à tout surveiller et tout contrôler, il est plus que jamais nécessaire qu’Internet reste un moyen de communication libre et universel. Le principal crime de WikiLeaks, c’est d’avoir dit la vérité au pouvoir. Ce qui est en jeu est rien moins que la liberté d’Internet. Tout le reste n’est que manœuvres de diversion pour détourner l’attention de la réelle bataille qui se mène. Nous devrions tous maintenir notre regard concentré sur la vraie cible.» (traduction A l’Encontre)
(4 février 2011)
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