Algérie
Nous publions
ci-dessous quelques extraits de la presse algérienne (Réd.)
Les émeutes de la
fin ?
Sofiane Aït-Iflis *
Alger ainsi que d’autres
villes du pays ont connu jeudi et vendredi de violentes émeutes. Des
manifestants, qui se recrutent principalement dans la population
juvénile, ont, partout, au niveau des quartiers comme sur les axes
routiers et autoroutiers, érigé des barricades, brûlé des pneus
et se sont affrontés avec les forces de l’ordre.
Les émeutes, expression
d’un marasme social profond, ont éclaté suite à des
augmentations subites et vertigineuses des prix de certains produits
de consommation, le sucre et l’huile notamment. Mais elles étaient
déjà dans l’air bien avant ce jeudi fatidique. L’embrasement
était prévisible, tant éprouvant était devenu le quotidien, du
fait d’une stagnation salariale parallèlement à une inflation
allant inexorablement crescendo.
D’ailleurs le
soulèvement de ce jeudi dans plusieurs villes du pays n’était
qu’un cran de plus dans une protestation populaire qui a émaillé
toute l’année 2010. La statistique est d’ailleurs édifiante.
Effarante. Il a été dénombré plus de 10'000 émeutes. Tous les
problèmes s’exposent par l’émeute et c’est par elle qu’ils
se résolvent ou se corsent. Qu’il s’agisse de dénoncer une
«hogra», un travers administratif ou de réclamer un logement, le
recours à la barricade a été et poursuit d’être
quasi-systématique. Des partis politiques, à l’instar du RCD
(Rassemblement pour la culture et la démocratie – d’orientation
bourgeoise), ont su lire et décoder le mécontentement social et ont
eu la lucidité d’alerter quant à la menace d’embrasement
généralisé. Ils ont vu juste. Et c’est arrivé plus tôt
qu’attendu, comme pour signifier au Premier ministre que c’est
plutôt lui et son gouvernement et non l’opposition qui se trompent
de société.
Ahmed Ouyahia,
polémiquant avec le RCD, lors du débat autour de sa déclaration de
politique générale, s’était, on se le rappelle, laissé aller à
cette réplique: «vous avez l’habitude de vous tromper de
société.» Le Premier ministre a parlé, donc, tout faux. La rue
qui gronde inlassablement et éructe des colères du genre de celle
vécue jeudi apporte un démenti cinglant au gouvernement qui
s’emploie à vendre, convoquant les chiffres en renfort, son idée
d’une gouvernance éclairée.
Deux quinquennats plus
tard et deux années du troisième bientôt consommées, le président
Bouteflika et ses gouvernements successifs ont raté lamentablement
de réussir le pari promis d’une paix sociale. Pourtant que
d’argent dépensé ! Les deux premiers quinquennats ont été
dotés d’une enveloppe totale de près de 300 milliards de
dollars. Et celui en cours bénéficie de 286 milliards de
dollars. Autant d’argent pour ne produire que… l’émeute, la
performance restera assurément pour longtemps inégalée. Ça
restera le paradoxe d’un pays qui s’enorgueillit de thésauriser
155 milliards de réserves de change, pendant que sa population
se trouve assidûment fréquentée par la mal-vie. Les ratages de la
gouvernance sont là, patents, traduits par les émeutes. Il demeure
juste de savoir s’il faut en entendre un chant du cygne, voir les
signes d’une fin de règne ?
* Publié le 8 janvier
2011 dans Le Soir d’Algérie
*****
Tizi Ouzou: les affrontements se poursuivent
Nordine Douici *
Les affrontements ont
repris, samedi 8 janvier 2011, à travers plusieurs quartiers de
la ville de Tizi Ouzou et certaines localités de la wilaya.
Il est midi. Plusieurs
dizaines de jeunes manifestants se regroupent devant le siège de la
CNEP, situé au boulevard Abane-Ramdane, au centre-ville. Un bac à
ordure fut brûlé. Des barricades sont dressées sur la chaussée à
l’aide de panneaux métalliques et de blocs de pierres. Les vitres
de l’édifice ont été brisées. Quelques minutes plus tard, les
forces de l’ordre sont intervenues, usant de gaz lacrymogène pour
repousser les manifestants.
Les échanges de tires de
gaz lacrymogène, de projectiles et d’insultes entre les deux camps
se sont poursuivis jusqu’à 18h. Dans le même temps d’autres
foyers d’émeutes ont éclaté. Dans les autres localités, à
l’image de Ain El Hammam, des heurts se sont produits dans la ville
de l’ex-Michelet. Les jeunes ont barricadé plusieurs ruelles; ce
qu’à suscité l’intervention de la police. Les émeutiers ont
mis le feu à la banque de développement local (BDL). L’édifice a
été complètement ravagé par les flammes, d’après notre
correspondant sur place. Les jeunes en furie, s’en sont pris, par
la suite au tribunal.
Dans la même localité,
à 5 km du chef-lieu communal, un groupe de jeunes du village
Ath Bouyousef, ont bloqué la RN15 dans la nuit à l’aide de pneus
enflammés. A dix kilomètres l’est de Tizi Ouzou, dans la daïra
de Draâ Ben Khedda, l’agence de la banque d’Algérie (BNA) est
passée à sac par les manifestants qui ont continué le long de
l’après-midi à harceler les brigades antiémeute. Notons en fin,
que dans la nuit de vendredi, le commissariat de la ville de Tademaït
a été la cible des protestataires.
Les jets de pierres ont
causé des blessées parmi les policiers, selon des sources locales.
La rue principale de la commune de Tizi Ghénif, dans le sud de la
wilaya, a été bloquée dans la nuit de vendredi, mais aucun
incident n’a été enregistré.
* Journaliste, publié
dans El Watan, le 8 janvier 2011
******
L’engrenage !
Mohamed Boufatah *
La
nuit de jeudi 6 janvier à vendredi 7 janvier a été témoin de la colère des Algérois.
L’épicentre des
émeutes nocturnes a été Bab El Oued (Alger). Jeudi soir, c’était
un décor quasi apocalyptique. Hier, les émeutes ont laissé place
aux rumeurs les plus folles. L’inquiétude, sur fond d’incertitude,
marquait tous les visages à travers les rues, ruelles et places
publiques. Les rues ont retrouvé leur aspect habituel hier, après
avoir été nettoyées. Les véhicules calcinés avaient été
enlevés à l’aube.
Décidément, Alger qui
s’embrase la nuit, efface ses séquelles pendant la journée.
Mobilisés depuis l’aube, les agents de Netcom et des communes sont
passés par là. Ils ont tout nettoyé, indiquent les citoyens
rencontrés sur les lieux. Seules les traces de fumée sont visibles
sur les murs de certains concessionnaires automobiles, unités
industrielles, et même les agences bancaires, les mairies, et des
institutions publiques. Des magasins sont cambriolés. Des bris de
verre, des cendres, des bacs à ordures brûlés et autres objets
hétéroclites jonchent les rues.
Des plaques de signalisation
arrachées, horloges et abribus détruits sont là pour confirmer la
violence de la veille. Cela contraste avec l’atmosphère régnant à
la fin d’après-midi d’hier. Même si des colonnes de fumée
montaient encore au ciel.
Le calme n’a duré que quelques heures.
Les détonations des
grenades lacrymogènes se font entendre. Des balles sont aussi
tirées.
Parties d’une rumeur relative à une éventuelle
descente de police sur le marché du quartier populaire de Bab El
Oued en vue de déloger les vendeurs à la sauvette, les émeutes
nocturnes se sont étendues à plusieurs quartiers de la
capitale.
Outre Bab El Oued, l’onde de choc s’est propagée
vers l’ouest touchant El Madania, Aïn Benian. El Biar, Chéraga,
Baïnem sont aussi concernés. D’autres quartiers tels Kouba,
Hussein Dey, Belcourt, Bachdjarrah, Bab Ezzouar et Bordj El-Kiffan
ont été le théâtre de violentes émeutes.
L’édifice de
l’opérateur de téléphonie mobile Nedjma, sis cité Aadl de Bab
Ezzouar, a été pris d’assaut par les groupes d’émeutiers
durant la nuit de jeudi à vendredi. Si les forces antiémeute
présentes en force autour de l’édifice, les ont empêchés de le
saccager il n’en demeure pas moins que l’impact des jets de
pierres et les bris de verre des vitres brisées témoignent des
affrontements nocturnes. Les mêmes traces sont constatées sur la
façade de l’hôtel Ibis situé à quelques mètres de là.
En plus des deux à trois
hélicoptères qui survolent le ciel de la capitale, les renforts du
CNS provenant d’autres wilayas continuent d’affluer sur Alger.
Ils sont observés sur la RN 12 et l’autoroute, selon plusieurs
témoignages. Dans un calme précaire précédant la tempête, les
agents du CNS avec des colonnes de camions à leur tête des
chasse-neige et camions pompe à eau chaude, sont postés un peu
partout à proximité des institutions publiques et zones sensibles.
Dans le quartier voisin dit «les Bananiers», l’antenne de police
locale à l’instar de toutes les structures du même corps de
sécurité, a essuyé visiblement, une pluie de projectiles. La
chaussée noircie et les restes de pneus brûlés sur les pénétrantes
de la RN12 et la route menant vers Bordj El Kiffan renseignent sur ce
qui s’est passé la veille. Ces routes ont été barricadées,
avant l’éclatement des affrontements, apprend-on.
Les services de sécurité
surveillaient le nouveau centre commercial, inauguré l’été
dernier et attenant au grand hôtel Mercure.
Quant à l’université
toute proche, elle était sous haute surveillance. Un peu plus loin,
dans un climat de sauve-qui-peut les ouvriers du groupe Etrhb,
s’attellent à rassembler le matériel du chantier pour
probablement le délocaliser et le sauver des déprédations. Sur la
route longeant le quartier «Bateau cassé», les arrêts de bus sont
noirs de monde. Les gens sont là mais les transporteurs, par
précaution, se font très rares, expliquent quelques riverains.
Quant aux concessionnaires ayant élu domicile à Bordj El-Kiffan,
ayant fait l’objet des tentatives d’actes de vandalisme, ils ont
presque tous vidé leurs parkings. Visiblement, aucun véhicule n’est
laissé dans leurs espaces d’exposition respectifs, ni dans leurs
parkings.
Là encore, sous l’effet
de la psychose, des chaînes monstres se sont formées devant les
boulangers. Les pompes à essence sont les autres points où se
bousculent les automobilistes d’autant plus que 3 à 4
stations-service Naftal ont été brûlées la veille à Kouba et El
Biar. Les unités industrielles n’ont pas été épargnées. La
police, sur le qui-vive, encerclait hier, les mosquées des quartiers
sensibles de la capitale. Dans le quartier des Anassers, près de la
localité de Diar el Afia, l’établissement d’un concessionnaire
Renault-Dacia est totalement calciné. Les traces d’un incendie, et
les véhicules caillassés sont encore sur les lieux. Le magasin de
la marque Adidas se trouvant à El-Biar, dont les rideaux ont été
défoncés, est cambriolé, selon plusieurs témoins. Les émeutiers
ont tenté de saccager le bâtiment de l’Eepad et l’agence
Djezzy. Le siège de l’APC d’El-Madania, a essuyé à son tour
des jets de toutes sortes de projectiles. Ceci dit, les activités
économiques dans les infrastructures névralgiques comme le port
d’Alger et l’aéroport ont sensiblement baissé de rythme jusqu’à
la limite du blocage. Quant au quartier de Bab El-Oued, d’où est
partie l’étincelle des émeutes, plusieurs arrestations, des
blessés et des dégâts importants ont été enregistrés. On a
constaté le saccage des établissements Renault à la Baseta et près
de l’hôpital Maillot, le lycée Saïd Touati, l‘établissement
Bellat et l’agence de l’opérateur Mobilis ainsi que l’Inspection
des impôts sise au quartier Raïs Hamidou.
* Publié dans L’Expression, le 8 janvier 2011
(9 janvier 2011)
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